Les laboratoires SERVIER condamnés

La Cour d’Appel a condamné le 20 décembre 2023 le groupe Servier à verser plus de 9 millions d’euros. Les six sociétés composant le groupe Servier ont été condamnées à  rembourser 415 Millions d’euros aux organismes de la Sécurité sociale et aux Mutuelles, 1M€ pour préjudice subi au titre de la désorganisation ainsi que 5 Ms€ pour frais de procédure.

Jean Philippe SETA ex-bras droit du fondateur s’est vu infliger une peine de 4 ans de prison dont 1 an ferme, sous bracelet électronique et à près de 90.000 euros d’amende.

C’est la conclusion d’un procès en appel qui a duré six mois. 7650 personnes s’étaient constituées parties civiles pour ce procès historique.  La cour d’appel a confirmé la culpabilité du groupe Servier pour les délits de tromperie aggravée, d’homicides et blessures involontaires, escroquerie, dans la commercialisation du MEDIATOR (Benfluorex).

ET C’EST JUSTICE !

« C’est une immense victoire pour les victimes que je représente et que je défends depuis la première plainte, de novembre 2010 », a commenté Charles-Joseph Oudin, un des avocats des parties civiles.

Lors de la présentation en détail du jugement, le président de la cour, Olivier Géron, a relevé que le laboratoire avait « privilégié son intérêt financier sur l’intérêt des patients ».

Le Mediator, commercialisé en 1976 pour le traitement du diabète, mais largement détourné comme coupe-faim, a été prescrit à quelque cinq millions de personnes. Il a été retiré du marché en 2009, après qu’un lien avec des lésions cardiaques et de l’hypertension artérielle pulmonaire a été établi par la pneumologue Irène Frachon. Il est tenu pour responsable de centaines de morts.

Les parties civiles au procès se sont constituées la plupart dans le volet tromperie. Quelque 5 000 autres dossiers pour homicides ou blessures involontaires sont toujours à l’instruction au parquet de Paris, ouvrant la voie à un probable second procès Mediator dans les prochaines années.

Écouter

[Vidéo] Mediator : le sourire et les mots d’Irène Frachon à l’annonce du verdict

L’Humanité · Alexandre Fache

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiLvoSM1-aDAxWwfKQEHZiYCB0QwqsBegQIDhAB&url=https://www.humanite.fr/societe/justice/video-mediator-le-sourire-et-les-mots-direne-frachon-a-lannonce-du-verdict&usg=AOvVaw3DkDzGqwq4Z7K05m8EX-NV&opi=89978449

Une loi contre les droits humains

Telle est la nature de la nouvelle loi sur l’immigration qui veut supprimer l’Aide médicale de l’État (AME), une couverture maladie pour les étrangers en situation irrégulière. Elle serait remplacée par une simple aide médicale d’urgence, beaucoup plus restrictive et conditionnée au paiement d’un forfait annuel fixé par décret.La santé des exilés (immigrés, réfugiés, demandeurs d’asile ou étrangers en situation irrégulière) se dégradera rapidement en raison des difficultés d’accès aux soins.

Cette loi sur l’immigration bafoue toutes les déclarations et engagements sur le droit à la santé :

– Celle de la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) créée en 1948 sous l’égide de  l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour la santé publique, qui définit la santé comme un « état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité».

– Le préambule à la Constitution de 1946 qui garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.

– La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui énonce dans l’Article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »

La protection de la santé, définie dans l’Article 35 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2009 :

« Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. »

A cette loi sur l’immigration s’ajoute l’attaque violente contre les médecins étrangers qui travaillent en France et qui sont indispensables pour maintenir à flot notre système de santé.

Plus de 3000 praticiens à diplôme hors Union Européenne (PADHUE) ont été recrutés à l’occasion de l’état d’urgence sanitaire et assurent depuis, le maintien et le renfort de l’offre de soins avec des contrats disparates et fragiles. Ils exercent en tant que Praticiens Attachés Associés (PAA, rémunérés 2200€ mensuels), ou faisant fonction d’interne (FFI) ou encore stagiaire associé (SA), (1.500 €). Ils sont nombreux à faire fonctionner les services des hôpitaux et EHPAD de Gériatrie et de Psychiatrie et donc à maintenir l’offre de soins aux populations les plus vulnérables.

Aujourd’hui, on exige de ces praticiens de passer le concours des épreuves de vérification des connaissances(EVC). Les épreuves étant particulièrement discriminantes, 80% d’entre eux sont non lauréats, ce qui signifie que 2000 PADHUE perdront leur contrat, au mépris des services rendus et de la continuité des soins qu’ils assurent dans les unités de santé.

Pour le maintien de tous les PADHUE dans leur poste, pour la reconnaissance de leurs compétences justement rémunérées, une pétition est à disposition :

https://www.change.org/p/r%C3%A9int%C3%A9grons-les-m%C3%A9decins-%C3%A0-dipl%C3%B4me-hors-union-europ%C3%A9enne-dans-nos-services-hospitaliers

Le gouvernement maintient son objectif de réduire les dépenses de santé, de promouvoir une santé « payante » (nouvelle mesure d’augmentation des franchises sur les médicaments), même au prix d’une dégradation de l’accès aux soins pour toute la population.

Il est urgent d’agir pour le peuple, de faire monde, de refuser cette loi qui aggrave l’accès aux soins, indispensables à la santé, et remet en cause un droit universel.

Le collectif Médicament Bien Commun, qui milite pour l’accès aux soins pour toutes et tous, entend pleinement y contribuer.

Sanofi spécule sur la santé

Pas étonnant que l’on se perde dans l’image et la stratégie du groupe Sanofi tant les messages proclamés sont contredits par les faits.

Tantôt il se décrit comme « l’alliance de l’innovation et de la force industrielle, le groupe qui partage avec les français la volonté d’avancer, d’apprendre et de repousser les limites pour les patients /la médecine de demain, l’amélioration de la vie des gens » et tantôt il multiplie les ruptures, se désengage de nombreux médicaments utiles, ferme ou vend la moitié de ses sites, réduit les effectifs de recherche, de production et de distribution, continue à intoxiquer salariés et riverains à Mourenx et passe à côté du vaccin Covid. Recherche et activité, sacrifiées sur l’autel de la finance.

Certains sont sensibles au storytelling patronal et croient sur parole la communication du groupe, tels nos ministres qui allègent les « charges *» et les impôts du fleuron national (plus de 100 millions par an de crédit d’impôt perçus par Sanofi). Tout cela pour aboutir à l’explosion des dividendes et à celle de la rémunération des dirigeants

Enterré, le rapport sur les ruptures de médicaments du Sénat et ses causes ; mises au placard, les alertes multiples des organisations syndicales, dont tout particulièrement celle de la CGT. Ce n’est plus de la naïveté mais de la complicité. Ainsi, Sanofi et le gouvernement utilisent l’externalisation de l’activité production de principes actifs du groupe, renommée Euroapi, en la commuant en un exemple de relocalisation. Quand la communication étendue au marché sert d’élément de langage politique !

Feront-ils de même pour l’externalisation de son secteur santé grand public et pour la vente de la distribution à DHL annoncé cette année ? C’est toute la chaîne de la découverte à l’élaboration du médicament et sa distribution au plus près des patients qui est cassée. C’est un véritable démantèlement scientifique et industriel du principal groupe pharmaceutique français qui est en cours et le gouvernement applaudit.

Sanofi, « Janus aux deux visages », au service de la spéculation boursière mais certainement pas au service de la santé des patients en France et dans le monde.

Les pratiques des grands groupes pharmaceutiques, leurs restructurations permanentes déstabilisent les équipes de recherche quand elles ne sont pas démantelées, dégradent et cassent les savoir-faire industriels et de distribution en cédant et fermant les sites. Résultats les flux financiers sont en effervescences et les médicaments se délitent sur les présentoirs des officines. C’est l’angoisse pour les soignants et les patients, en perte et profits les pertes de chances.

Pour 2024/2025 Sanofi lance son cinquième plan d’économie (depuis 2008) de 2 milliards sur deux ans.

Quelles coupes sombres allons-nous découvrir au détriment de la santé ? Le citoyen doit-il attendre comme un rat de laboratoire dans son bain d’eau à température croissante ?

Le savoir-faire scientifique et industriel doit être mis au service de la santé des populations. Il est urgent que les forces syndicales, politiques, associatives et simples citoyens travaillent ensemble et fassent du médicament un bien commun, sous la responsabilité des citoyens via la sécurité sociale. Le collectif Médicament Bien Commun, qui milite pour l’accès aux soins pour toutes et tous, entend pleinement y contribuer.

*les cotisations sociales

Faire du médicament un bien commun : Une alternative aux Big Pharma ?

Restitution de la Rencontre-débat

Organisée par Médicament Bien Commun

Paris, 21 octobre 2023

Introduction de la journée

Éliane Mandine, membre du collectif Médicament Bien Commun (MBC)

Le collectif Médicament Bien Commun est né à la suite du manifeste « pour une appropriation sociale du médicament »écrit en 2018. Le manifeste est consultable en ligne sur le site www.medicament-bien-commun.org, où il est encore possible de le signer.

Dans ce collectif, nous sommes un groupe de militants.es en lutte contre l’extension de la propriété intellectuelle (PI), propriété exclusive, à la connaissance et au vivant, et contre l’extension du marché au domaine de la santé (droit à la santé – soins de santé – médicaments).

PI, propriété privée et marchandisation sont liées. Les produits et soins de santé sont devenus des marchandises relevant du commerce international à la suite des accords de Marrakech, en 1994, légitimant les droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) et leur application aux médicaments. Nous contestons ces accords pour leurs effets négatifs sur l’accès aux médicaments et le droit à la santé.

Ce que nous voulons, c’est que le médicament puisse bénéficier d’un statut juridique particulier, reconnu dans le droit international, qui le rende non appropriable, de sorte qu’il puisse échapper aux échanges marchands, être hors des lois du marché, du profit et de la concurrence. Ce statut pourrait être celui de bien commun. Les soins de santé, les médicaments et les vaccins, parce qu’ils contribuent à garantir l’effectivité du droit à la santé, peuvent prétendre au statut de bien commun. Ce qui permettrait d’aller vers une plus grande égalité d’accès aux soins de santé, dans le cadre d’une solidarité internationale.

Nous mesurons le chemin à parcourir entre ce que nous voulons et ce que nous subissons dans le quotidien : le droit à la santé, l’accès aux soins de santé, ont été confiés aux entreprises privées, lesquelles sont devenues des monstres financiers, en grande partie grâce aux ADPIC, qui, en donnant une exclusivité commerciale aux industries pharmaceutiques (IP), leur ont permis de se positionner en situation de monopole, les brevets s’étant avérés de véritables outils d’accumulation du capital. En témoigne le chiffre d’affaires global de l’industrie pharmaceutique qui pesait 63 milliards d’euros en 2022. Avec une telle puissance financière, les IP peuvent imposer leurs stratégies industrielles et commerciales aux États. Ce ne sont plus les États qui mettent les entreprises en concurrence, mais les entreprises qui mettent les États en concurrence, usant au besoin de chantage, notamment du maintien de l’emploi sur le territoire, pour exiger de meilleurs prix, et plus d’avantages fiscaux. Ainsi les IP bénéficient du Crédit impôt recherche (CIR) à hauteur de 710 millions d’euros.

Par ailleurs, les médicaments sont solvabilisés par la Sécurité sociale : 8 à 9 milliards d’euros par an venant de la Sécurité sociale, sont perçus par le top 5 des IP (Novartis, BMS, MSD, Pfizer, Sanofi). Le modèle d’affaire de la pharmacie actuel est très performant pour dégager de la valeur pour les actionnaires : par exemple, 4 à 5 Mds d’euros par an, pour les actionnaires de Sanofi. Il est beaucoup moins performant pour satisfaire les besoins de santé de la population. Un tiers de la population française est confrontée aux pénuries de médicaments. Les ruptures de stocks ont été multipliées par 300 en dix ans, pour atteindre 3700 en 2023 (selon l’ANSM). Les IP ont annoncé vouloir renoncer à produire 700 autres médicaments.

La production de vieux produits, même lorsqu’ils sont utiles et d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), est abandonnée par les IP, qui les considèrent insuffisamment rentables. Les entreprises préfèrent se tourner vers les innovations thérapeutiques (très soutenues par les finances publiques) pour lesquelles elles exigent des prix exorbitants qui les rendent inaccessibles aux plus démunis, et, de plus,grèvent le budget de la Sécurité sociale.Les professionnels de la santé sont obligés de sélectionner les patients pouvant bénéficier du traitement. Exemple du Sovaldi-Sofobuvir, traitement de l’hépatite C : seuls les patients au stade le plus avancé de la maladie ont droit au médicament, afin d’éviter de faire exploser l’enveloppe budgétaire de la Sécurité sociale. Nous avons, d’une part, des pertes de chance lorsque le patient ne peut se procurer le traitement qui lui a été prescrit, et d’autre part, des inégalités de traitement. Ce qui nous amène à considérer le système comme défaillant.

Face à cette défaillance, quelles solutions avons-nous ? Pour « déboulonner » les Big pharma, il faut opposer une certaine force, une puissance, qui nécessite la mise en mouvement de l’ensemble des parties prenantes, depuis les salariés de l’IP jusqu’aux citoyens bénéficiaires des traitements thérapeutiques, en passant par les professionnels de la santé, les syndicats, les politiques. Pour tenter de transformer le mode actuel de production et de distribution des médicaments, il nous faut gagner l’opinion publique et pouvoir compter sur une volonté politique forte.

L’objet de notre rencontre aujourd’hui est de mettre en débat les possibles alternatives au système actuellement en place : comment imposer les changements, quelles actions entreprendre, quelles démarches, quels leviers mobiliser ? Notre souhait est qu’en fin de journée, nous ayons quelques pistes de travail, quelques perspectives pouvant donner naissance à une dynamique collective de travail à un projet alternatif commun.

Nous avons prévu deux tables rondes :

  • Une première, consacrée à comprendre et analyser les enjeux du modèle économique actuel, avec quatre intervenants. Thierry Bodin en est l’animateur. Il présentera chacun des intervenants.
  • La deuxième table ronde porte sur des propositions alternatives de production de médicaments, avec également quatre intervenants. L’animatrice est Danielle Sanchez. Elle présentera les intervenants.

Entre les 2 tables rondes, en fin de matinée, nous avons réservé un temps pour aborder une alternative particulière, qui est l’approche par les communs. Nous avons demandé à un pionnier des communs, Frédéric Sultan, de venir nous en parler. Je le remercie beaucoup d’avoir accepté notre invitation.

Les communs, les biens communs sont de plus en plus souvent évoqués, parfois à tort et à travers. Il existe un risque de récupération de l’idée des communs, de commonwashing, au même titre que le greenwashing.

Faire un point sur ces notions nous semble important. Elles ne sont pas toujours bien comprises, notamment dans leur dimension politique de transformation. Dire que la santé est un bien commun, ou que le médicament est un bien commun, ou encore que la Sécurité sociale est un bien commun, qu’est ce que cela signifie? En provocation, je dirai qu’il s’agit de passer d’une société marchande régulée par le consommateur via le mécanisme des prix, à une société plus inclusive associant les citoyens. C’est à débattre.

***

1re table ronde
La caractérisation du modèle économique du médicament
dans ses dimensions économique, sanitaire et sociale.
Le rôle de la propriété intellectuelle et l’application des brevets
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Animée par Thierry Bodin, membre du collectif MBC, ancien syndicaliste Sanofi.

Thierry Bodin

Pour comprendre les enjeux du modèle économique actuel et ses conséquences pour les populations, nous avons sollicité 4 invités :

  • Fabien Mallet, coordinateur CGT du groupe Sanofi, nous fera part des choix stratégiques du groupe Sanofi et ses conséquences pour les salariés et les patients ;
  • Laurence Cohen, sénatrice communiste groupe CRC ; durant 12 années, a assuré la vice-présidence de la commission des affaires sociales. Son dernier rapport sur les pénuries de médicaments et les responsabilités des Big pharma, a fait grand bruit. Elle nous fera part de son analyse et de la conception de son engagement sur cette question ;
  • Michael Sankara, avocat, auteur d’une thèse sur l’accessibilité des médicaments dans le contexte du commerce international, nous parlera des moyens délétères utilisés par les laboratoires pharmaceutiques, concernant les brevets et les droits de propriété intellectuelle, pour empêcher la concurrence et maximiser les profits ;
  • Christophe Prudhomme, médecin urgentiste et syndicaliste, nous exposera la réalité du vécu à l’hôpital par les personnels de santé et les patients, les difficultés d’accès aux soins, les prix élevés des médicaments et plus généralement notre système de santé mal en point, de par les choix des gouvernements successifs.

A l’issue de ces 4 interventions, vous pourrez poser vos questions à nos intervenants.

Je vais donc passer la parole à Fabien Mallet.

Ces dernières années, Sanofi a été sous les feux des médias, plus particulièrement à propos des vaccins anti-Covid mais aussi des restructurations incessantes. En tant que syndicaliste, comment analyses-tu cette stratégie des dirigeants et ses conséquences pour les patients et les salariés ?

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Fabien Mallet, coordinateur CGT du groupe Sanofi

Pourquoi les pénuries de médicaments, vu de l’intérieur d’une Big pharma

Même si Sanofi a son siège social en France, c’est une multinationale. Qu’on arrête de dire que Sanofi est français : avoir le siège social en France ne suffit pas pour dire que l’entreprise est française. Le CA de Sanofi est de 41 milliards d’euros, son bénéfice net de 9 milliards d’euros. Historiquement son cœur de métier est la pharmacie d’usage, dont le produit le plus connu est le Doliprane, les vaccins et l’oncologie, qui disparaît petit à petit.

C’est une société dirigée par des actionnaires : ce n’est pas Paul Hudson le patron, c’est le « pack » d’actionnaires Sanofi qui a recruté un mercenaire appelé Paul Hudson pour venir diriger la société.

A sa création, ex-Roussel-Uclaf-Aventis-Sanofi-Synthélabo, fleuron de la recherche et de l’industrie pharmaceutiques, le groupe avait pour objectif d’assurer l’indépendance de la France dans le domaine. C’est l’époque d’Elf et compagnie. Depuis on est passé du fleuron à un système bancaire, c’est-à-dire que c’est une entreprise qui est gérée comme une banque, pour rapporter le plus d’argent possible, avec, pour conséquences des abandons successifs de différentes parts de marché (selon les patrons), plus précisément de soins pour les patients (selon les syndicats).

Les conséquences de cette stratégie sont visibles : vous avez pu le constater avec la pandémie ! Sanofi, historiquement, est un leader des vaccins. On s’attendait à ce que Sanofi soit à l’appel face à cette nouvelle pandémie, eh bien non ! Ceci s’explique par une réduction de la puissance de recherche, divisée par 7 entre 2012 et aujourd’hui. L’entreprise est passée de 22 sites à 8, le nombre de chercheurs a été divisé par 7. Donc s’il n’y a plus de chercheurs, c’est difficile de trouver. Depuis 2012, la stratégie est celle des actionnaires. Le pack d’actionnaires a décrété que Sanofi devait être rentable à hauteur de 2 chiffres pour le bénéfice net par action ; chaque année vos actions vous rapportent un peu plus que l’année précédente, le montant fixé devant être de 10% au moins chaque année.

Deux façons pour arriver à cela : soit être de petits génies de l’innovation, capables de sortir un nouveau médicament tous les 6 mois ; soit vous décidez que la recherche coûte trop cher (payer les chercheurs, leur fournir les locaux…), donc vous élaguez un peu tout, pour ne garder que ce qui rapporte. C’est l‘option deux qui a été choisie. De ce choix, Sanofi est devenue une entreprise qui n’a plus de pieds pour marcher. Ils ont d’abord détruit la recherche ; ils sont en train de détruire les outils industriels. C’est une volonté actionnariale, pour que les actions rapportent plus chaque année, qui conduit à détruire un outil de santé. Pour nous syndicalistes, Sanofi est un outil de santé car le cœur de Sanofi est de faire des médicaments pour soigner.

Si on revient à la pandémie, les dirigeants de Sanofi expliquent que c’est une « grippette », cela va passer, pas utile de mettre des moyens pour cela. Neuf mois ont ainsi été perdus. Quand les dirigeants réalisent que c’est une épidémie mondiale qui tue, Sanofi essaie alors de sortir un vaccin. Mais quand il n’y a plus de chercheurs, vous ne pouvez rien sortir. C’est là qu’on s’aperçoit que le roi est nu. Bricoler un vaccin, comme on savait le faire il y a 25 ans, ne suffit pas face aux technologies modernes utilisées par d’autres labos. Ce qui n’a pas empêché Sanofi de recevoir des millions de la part de l’UE et des États-Unis, pour finalement sortir un vaccin sous une forme pas efficiente, ce qu’on savait dès le départ.

Autre exemple, parlant et plus cynique, c’est l’arrêt de l’Immucyst, un vaccin (BCG) surdosé utilisé pour soigner le cancer de la vessie. Ce vaccin était fabriqué par une petite usine au Canada, que le pack d’actionnaires a considérée comme trop coûteuse. Elle a été fermée, sans que la production du vaccin ne soit rapatriée ailleurs. Aujourd’hui, il est démontré que le fait qu’Immucyst n’existe plus a un impact non négligeable sur le nombre de décès par cancers de la vessie – fortement quantifiable. Et cela, à la suite d’une décision des actionnaires qui ne veulent pas faire ce qui ne rapporte pas assez. Le vaccin n’étant plus breveté, tout le monde peut le produire (production peu chère) ; le nombre de cancers de la vessie n’étant pas suffisamment élevé, etc.

Pour conclure, je voudrais rappeler notre positionnement syndical, celui de la CGT. La bataille, que nous menons en interne, est de dire que ce qui nous intéresse chez Sanofi, c’est que l’entreprise ait des usines qui produisent des médicaments pour les patients, et réponde aux besoins des patients. C’est cette orientation syndicale qui s’oppose aux décisions d’abandon des médicaments, même quand ils sont jugés trop vieux, inutiles, plus rentables. Le but n’est pas d’être rentable, mais de soigner. La CGT est le premier syndicat au sein de l’IP à porter l’idée du pôle public du médicament, ce qui nous est reproché par la direction (créer un concurrent à Sanofi !). Sanofi est aujourd’hui une entreprise sans chercheurs, ou quasiment, qui est en train de se déshabiller complètement. Quand on nous explique que c’est par Sanofi, un fleuron de l’IP, que la souveraineté européenne du médicament va être réalisée, j’ai envie de dire : ” Bon courage ! “

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Thierry Bodin

Laurence [Cohen], au travers de ton mandat, tu as pu interroger des dirigeants de l’industrie pharmaceutique, mais aussi, heureusement, des syndicalistes et professionnels de santé. Au cours de diverses commissions d’enquêtes, tu as pu recueillir un grand nombre d’informations sur les choix délétères conduisant à l’explosion des pénuries de médicaments, mais aussi des prix des médicaments nouveaux. Peux-tu en quelques minutes nous livrer ton analyse de la situation ? 

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Laurence Cohen, sénatrice

Modèle économique du médicament dans toutes ses dimensions

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Thierry Bodin

Michael Sankara, vous avez, au cours de votre travail de thèse, mis en évidence les techniques utilisées par l’industrie pharmaceutique pour contourner la faible réglementation existante, en vue d’empêcher la concurrence et pour maximiser les profits, et qui a eu pour conséquence de priver des milliards d’individus des traitements adaptés. Vous rappelez que l’accès aux médicaments est un droit et une obligation. Je vous cède la parole.

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Michael Sankara, avocat

Focus sur la propriété intellectuelle et son rôle pivot du modèle économique de l’industrie pharmaceutique.

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Thierry Bodin

Je vais maintenant laisser la parole à Christophe Prudhomme pour exposer son analyse de la situation concernant la pénurie de médicaments et, plus généralement, sur l’état de notre système de santé.

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Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au SAMU 93 de Bobigny 

Entre les prix élevés et les pénuries, les difficultés d’accès aux soins

Avec les médicaments, on est au cœur du réacteur. La question est : est-ce que la santé relève du service public et est-ce que l’on respecte le droit constitutionnel du droit à la santé pour tous ? La santé est un droit constitutionnel ; c’est inscrit dans le préambule de la constitution de 1946 et repris dans la constitution de 1958. C’est donc à l’État d’assurer ce droit à la santé pour tous. Or l’État est défaillant pour assurer ce droit effectif. Ce n’est pas si vieux que cela, que les choses ont changé : la brevetabilité date de 1967. L’Insuline (1922 –  ndlr) a été mise par leurs découvreurs à disposition mondiale. Si elle avait été brevetée, quelle catastrophe sanitaire !

Aujourd’hui, il y a une stratégie très bien organisée, avec une duplicité totale du gouvernement vis-à-vis de l’industrie pharmaceutique. Cette duplicité ne date pas d’hier mais elle s’accentue avec le gouvernement Macron, qui est un ultralibéral, là pour faciliter le monde des actionnaires, qui sont ses amis et ont financé sa carrière politique.

Sous la pression du rapport de la commission sénatoriale sur les pénuries de médicaments, le gouvernement, dans le débat sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale déclare qu’il va prendre des mesures, notamment pour la production de médicaments par les pharmacies hospitalières (il est prévu une augmentation des effectifs pour répondre à cette production) ; ou l’exemple de la production d’Amoxicilline par une pharmacie parisienne qui sait faire des préparations magistrales.

Pourquoi ? Parce que produire les médicaments essentiels n’intéresse pas l’industrie pharmaceutique. Laisser au privé ce qui est rentable, donner au public ce qui ne l’est pas.

Il y a conjonction entre les gouvernements libéraux et les médias, qui utilisent la population pour aller dans le sens de l’industrie pharmaceutique. L’appel à se faire vacciner contre le Covid est une publicité Pfizer et non plus une annonce du Ministère de la santé ! Au journal télévisé est annoncée l’arrivée d’un nouveau médicament, alors que nous, médecins, n’avons pas l’information. Et sur cette avancée thérapeutique annoncée, nous ne pouvons pas avoir d’éléments car les différentes lois françaises et européennes du droit des affaires permettent de ne plus fournir aux médecins l’intégralité des études.

Lorsqu’on se réfère aux experts indépendants, qui sont très peu nombreux, comme la revue Prescrire, par exemple, on se rend compte que les innovations thérapeutiques sont très peu nombreuses. Alors que les médicaments essentiels, tels le Paracétamol (ex Doliprane), sont vendus à 1,16 € la boite de 8 comprimés de 1g, un anticancéreux, c’est 4 500€ l’ampoule. Le cancer est la première cause de mortalité. L’administration de nouveaux traitements pour prolonger la vie des patients de quelques mois, avec de nombreux effets secondaires, pouvant nuire à la qualité de vie du patient, peut poser des problèmes éthiques. Mais les associations de patients font pression pour prescrire. Il y a un problème avec les associations de patients. Alors que le paritarisme a été cassé à la Sécurité sociale, les associations de patients y sont entrées. Et dans le budget de la Sécu il y a une ligne “financement associations de patients” ! Ils sont donc peu revendicatifs, pour un certain nombre, s’ils veulent conserver leur subvention. Sans compter que, bien souvent, leur subvention est complétée par l’industrie pharmaceutique, de manière détournée, par le biais d’ associations, qu’elle a créées et qu’elle finance. Il y a donc des dérives problématiques.

Je reviens sur mon métier d’urgentiste : dans les véhicules du SAMU, nous avons besoin de 30 médicaments, la plupart ne sont plus brevetés. Ces sont des médicaments très efficaces, et nous rencontrons des difficultés à maintenir notre pharmacie parce que, régulièrement,  l’industrie pharmaceutique nous informe de difficultés de fabrication : la Digitaline, par exemple (molécule de traitement cardiaque très efficace), parce que la digitale importée d’Inde n’est pas de bonne qualité. On est donc obligé de bricoler. En Seine-Saint-Denis on vaccine les enfants contre la tuberculose : Sanofi n’a plus la capacité de fournir ces vaccins, on doit donc importer de Pologne des flacons multidoses, au lieu des seringues unidoses, ce qui complique le travail. Aujourd’hui, il faut être clair : Il y a quelques années, avec une collègue pharmacienne, nous avons écrit un article sur « 100 médicaments pour tout soigner en médecine de ville ». On n’a pas trouvé les 100 médicaments…

L’éducation populaire est importante car il y a des bons et des mauvais médicaments. Quels sont les médicaments utiles, pour lesquels il faut se battre ? Quels sont ceux dont on doit   éliminer l’autorisation de mise sur le marché ? On a des ordonnances longues comme le bras qui posent problème : 10% des urgences sont dues aux effets secondaires et interactions entre traitements médicaux. On prescrit trop. Le problème n’est pas de produire toujours plus mais de produire mieux et justement rémunéré.

A Romainville, il existait une entreprise pharmaceutique, Roussel-UCLAF (1920 – 2004 ndlr). Elle a mis au point le Claforan, un antibiotique très actif. Aujourd’hui, il y a de nombreuses multirésistances aux antibiotiques existants et Sanofi a abandonné les recherches en antibiothérapie. Or les maladies qui tuent le plus au niveau mondial, ce sont les maladies infectieuses. Les recherches sont orientées vers des médicaments qui peuvent être vendus très chers (régénération des cartilages par exemple).

Le problème est plus global : oui au pôle public du médicament, mais il faut y inclure la recherche. Car les ultralibéraux sont très organisés. La loi Sarkozy sur la réforme des universités a créé les instituts hospitalo-universitaires, qui sont des structures de droit privé, dont le personnel est en partie sous statut public. Mais ces instituts sont adossés à des fondations créées par les universités, qui récoltent des fonds et des dons auprès des industriels. L’industrie pharmaceutique est très intéressée car cela lui permet d’avoir un outil de recherche pour pas cher. De plus, l’industrie influence les orientations des sujets de recherche car “qui paie décide” ! Ils ont donc mis en place un système permettant à l’industrie d’utiliser la recherche universitaire et de fermer ses propres structures. Par exemple, le Zolgensma, molécule mise au point par les équipes du Généthon sur fonds publics et dons du Téléthon, est récupéré par Novartis.

Donc, aujourd’hui, nous avons besoin d’un pôle public de recherche et de production de médicaments, identique pour les essais cliniques, qui sont aussi orientées au plus rentable.

On doit mener un débat avec les médecins, pour qu’ils travaillent différemment, avec la population, pour qu’elle soit consciente de ce que sont les médicaments, à quoi ils servent, que l’on a besoin de médicaments de qualité mais que les axes privilégiés par l’industrie sont sur les médicaments rentables, vendus en grande quantité, dans les pays riches et développés, et surtout lorsqu’il y a une solvabilisation comme la Sécurité sociale. Là, c’est bingo !

Aujourd’hui, un médecin généraliste “coûte” à la Sécurité sociale un peu moins d’un million d’euros (150 000 pour sa rémunération, 750 000 pour les examens et les médicaments qu’il prescrit). Trop de prescriptions, trop d’examens, alors qu’il faut rendre du temps aux médecins pour qu’ils puissent travailler sur la prise en charge globale du patient. “La santé est un état de bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité” (extrait de la constitution de l’Organisation mondiale de la santé – ndlr). Pour redonner du temps au personnel soignant, il faut sortir de la rémunération à l’acte, qui est un échec constaté dans le cadre des négociations conventionnelles – c’est une revendication de la CGT.

On a changé de système de santé entre le 20ème et le 21ème siècle. Deux tiers des dépenses de la Sécurité sociale, aujourd’hui, ce sont pour des patients de plus de 50 ans atteints de maladies chroniques. La prise en charge globale ne peut pas être assumée par le médecin seul, c’est un travail pluriprofessionnel, il faut une équipe (infirmière, kiné, orthophoniste, etc.). Et ces structures multi-professionnelles s’appellent centres de santé, même s’ils sont dévoyés par le privé, qui a bien compris les profits qu’il peut en tirer via la Sécurité sociale (voir les scandales).

Il faut un meilleur contrôle sur ce que l’on prescrit et, en particulier sur les médicaments, c’est lié à la manière dont l’information est donnée par l’industrie, dont les médecins sont tributaires. Les agences mises en place : ANSM, HAS, ne sont pas efficaces. Il doit y avoir un organisme indépendant qui donne l’information aux professionnels de santé sur la qualité des médicaments. La Sécurité sociale devrait mettre en place une structure paritaire d’information sur les médicaments, pour avoir une information fiabilisée, indépendante des laboratoires privés. Le chemin à parcourir est long, mais aujourd’hui au regard des scandales qui se succèdent…

Ma conclusion : monsieur Macron nous propose des référendums. Eh bien : « Banco ! ». On propose un référendum simple, avec une question : est-ce que le domaine de la santé doit relever exclusivement du service public et d’un financement public et en exclure toutes les activités marchandes ?

Si on pose cette question, avec tous les scandales, les dérives de l’industrie pharmaceutique etc., ce referendum, on le gagnerait, largement, et le Conseil constitutionnel, la législation européenne, on leur coupe l’herbe sous le pied. Partons de la réalité concrète auprès des populations et des professionnels, posons les questions d’une manière claire, pour une politique de rupture réelle vis-à-vis du capitalisme. Parce que capitalisme et droit à la santé, aujourd’hui, c’est antinomique.

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La discussion

D’emblée, une participante précise que le lobby de l’industrie pharmaceutique atteint jusqu’au Président de la République, puisqu’Emmanuel Macron est lié aux actionnaires de Sanofi. On parle d’une nécessaire éducation populaire, car beaucoup de gens ne comprennent pas comment fonctionne notre système de santé. Des confusions se sont installées jusque dans la considération de la carte vitale (prise pour une carte de paiement).

Elle souligne que l’on n’arrivera pas collectivement à arrêter les multinationales, si l’on n’a pas une masse de citoyens suffisante pour changer le système. C’est pour cela que ce genre d’initiatives est important et qu’il faut les multiplier. Pour comprendre comment fonctionne l’industrie pharmaceutique, il faut revenir à la base du capitalisme. Il y a une spoliation du droit à la santé à des fins de profits. Il est nécessaire de différentier innovation et marketing. Des recherches sont également méconnues, comme celle, aujourd’hui non exploitée, de la fabrication et de la conservation de l’insuline par un procédé qui n’utilise pas de gros moyens de maintien au froid. Cela fait 50 ans que l’on sait faire une insuline qui se conserve sans froid et aucune IP ne le fait. Les salariés de Sanofi savent faire mais le groupe ne veut pas faire. En revanche, l’utilisation du curcuma pour la protection des cartilages est devenue un nouveau filon de ressources financières.

Il est aussi question de revoir les financements, ainsi que les rôles respectifs de l’OMS et de l’ONU. Le bilan de l’OMS n’est pas brillant, est-il réformable ? L’OMS et l’OMC sont au service des multinationales, puisqu’elles les financent. C’est aussi le cas de nombre de fondations, qui vivent par le financement de dons des États et de sociétés pharmaceutiques. Le problème de l’OMS, c’est le problème de l’ONU, puisque ce sont les États qui financent donc qui font pression. Pendant le 20e siècle, l’OMS a travaillé à des perspectives mondiales progressistes. Aujourd’hui, cela ne fonctionne plus car les nominations par les États ne permettent pas à l’OMS d’être dans une dynamique progressiste pour le système de santé mondial. Il va falloir trouver autre chose.

Laurence Cohen précise que la commission du Sénat a fait l’objet d’un bras de fer avec Bercy, car les personnes n’ont pas la capacité de communiquer des informations rapidement et facilement exploitables. Ce sont des organismes qui travaillent en silos, sans liens transversaux. Un certain nombre de grands groupes font de l’optimisation fiscale. Il faut être clair : il y a une différence entre les Big pharma et les petits labos qui cherchent à faire autrement mais auxquels on met des bâtons dans les roues. Il faut un pilotage politique clair, un secrétariat en lien direct avec le premier ministre par exemple. La Sécurité sociale a été dans l’incapacité de nous fournir le coût de la pénurie de médicaments, ni en termes de santé publique ni en termes de coût financier pour la Sécu.

Les grands labos dépensent des milliards dans le marketing et la publicité (20 à 25% du CA), avec un manque de transparence sur le prix des médicaments. Les négociations avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) s’annoncent « transparentes » mais les coûts de R&D et de fabrication sont masqués.

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Danielle Sanchez, membre du collectif MBC

Après avoir caractérisé le modèle économique du médicament dans ses dimensions économique, sanitaire et sociale, le rôle de la propriété intellectuelle ou l’application des brevets, avec l’aide de nos 4 intervenants de la matinée, nous allons aborder le thème de la seconde table ronde de cet après-midi : « Quelles approches possibles pour rendre le médicament non-appropriable ».

Nous avons demandé à Frédéric Sultan, animateur du réseau Remix The Commons, d’introduire en fin de matinée ces alternatives possibles, par l’approche des communs – ou : comment et selon quelles conditions sortir du paradigme capitaliste, dans le domaine de la santé et du médicament. En réaffirmant quelques principes mais aussi en détaillant plus concrètement d’autres modes d’organisation et de partenariats pour construire cette démarche par les communs.

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Frédéric Sultan, animateur du réseau Remix The Commons

Introduction à l’approche par les communs comme modèle alternatif au modèle économique capitaliste sur cette question de la santé et du médicament

(à venir )

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La discussion 

Marmar KabirRecherche clinique Sanofi – critique le schéma simplifié du processus de production de médicaments présenté. La vie du médicament ne s’arrête pas une fois mis sur le marché ; vient ensuite le suivi dans la vraie vie : quelle est son efficacité, sa tolérance, etc. L’IP fait un amalgame entre la commercialisation et la pharmacovigilance. Ce qui n’est pas exact.

Frédéric Sultan précise que le processus de production a été présenté de manière simplifiée pour définir de quoi on parle, quelles sont les choses qui font l’objet du commun. Le terme de communs appelle des sens très variés. Il est important de bien définir de quoi on parle pour construire une stratégie politique, avec des modalités d’organisation, des organisations sociales. Ce qu’on veut, c’est passer d’une économie à une autre.

Christophe Prudhomme rappelle que la particularité de la santé, c’est l’interdépendance. On ne peut pas être en bonne santé tout seul. Face au libéralisme, qui pousse à l’individualisme, il faut retrouver le commun, le sens du collectif. La santé, c’est beaucoup d’acteurs. Mais ceux qu’on doit mettre au centre pour définir les besoins, ce sont les patients. Les experts qui s’expriment à leur place ne sont pas tout-à-fait légitimes. Il faut s’interroger sur la liberté individuelle. Exemple : refuser de se vacciner peut nuire à la collectivité. C’est toute une politique à discuter.

Jean-Luc Maletras – consultant Thalès Geris – précise que, pour créer du commun, il faut arriver à converger. Sur le projet d’imagerie médicale (11 ans de travail), il a fallu convaincre les professionnels de la santé que les matériels qu’ils utilisaient n’étaient pas adaptés, qu’il fallait les penser en fonction de la pratique professionnelle. Tels quels, ils ne sont pas « démocratisables ». Tout ne peut pas être standardisé. Il a fallu parler avec tous les corps de métiers, et avec les patients, pour construire ce projet, en adaptant à chaque fois l’argumentation. Il faut construire un faisceau. Un outil très utile a été le site Web, un moyen de se faire connaître, d’être contacté, de faciliter les interactions.

Frédéric Sultan revient sur l’idée qu’on ne peut pas être en bonne santé tout seul.  Pareillement, on ne peut pas produire un médicament bien commun tout seul, au milieu des autres, qui seraient produits par le système tel qu’il est.  On a besoin de l’ensemble des interdépendances, ce qui rend la chose complexe. La difficulté est de savoir par quel bout commencer. Il faut commencer par tous les bouts et aussi constater qu’il y a déjà des bouts commencés. Ne pas chercher un modèle unique, qui serait celui d’une entreprise de production de médicaments en commun. Prendre en compte cette dimension, intégrer le déjà là, le prendre tel quel. L’ensemble des acteurs, à partir du moment où ils partagent les mêmes valeurs, ont un horizon politique commun, peuvent se mettre d’accord pour construire une communauté de santé en commun. On ne pourra pas faire un médicament bien commun tout seul.

Gaëlle Krikorian : C’est la logique de notre collectif « Produire des médicaments comme communs » ! On essaye d’agréger des compétences et des profils différents, et de s’acculturer les uns les autres, gens du médicament, gens du commun, pharmaciens, juristes, etc.

Il s’agit de réussir à penser quelque chose qui soit à la hauteur des enjeux (ce n’est pas si facile), qui puisse faire sens pour les différentes communautés d’acteurs.

Commentaire sur le suivi en vie réelle : dans notre travail, il y a l’échelle du site de production et celle du réseau du commun pharmaceutique (une communauté qui peut inclure du privé, à partir du moment où il accepte de se plier aux règles). Un des enjeux, au niveau du site, vrai aussi au niveau du réseau, est la restitution. On peut penser le réinvestissement d’une partie de ce qui a été généré dans un certain nombre d’actions et de services mutualisés entre les gens du réseau. Ce pourrait être de générer des infos sur les produits, qui soient neutres, permettre la collecte du retour sur l’utilisation de ces produits, pour informer sur ce que cela donne dans la vie réelle. Aspect sur lequel nous avons des problèmes, avec le contrôle par les multinationales de l’économie du médicament : soit on n’a pas accès aux infos (à cause du secret des affaires), soit on a affaire à des tas de pratiques de falsification, de dissimulation d’infos.

Ce sont des aspects qui n’intéressent pas directement la production, mais l’usage du médicament. Du coup, on discute sur : “C’est quoi un médicament, on veut faire quoi avec ?”. C’est une façon de le remettre à une certaine place au sein de la santé. Bien sûr que les médicaments peuvent être très utiles, mais beaucoup ne le sont pas, voire certains peuvent être dangereux. Le médicament est un élément de la santé, notre objectif c’est la santé, pas seulement avoir des produits et pouvoir les utiliser.

Cette démarche est longue et complexe mais on avance. Nous avons cette conversation entre les différentes catégories d’acteurs. Sur cette base, on peut construire quelque chose, ce qui veut dire quelque chose pour la plupart des gens, sur ce que veut dire le droit à la santé. Nous sommes dans un paradoxe : à la fois penser, avec le sens commun, qu’on a droit à des choses, que l’État est sensé faire des choses et, en même temps, cohabiter avec une réalité qui est de toute façon de moins en moins ça. Le plus gros de la population est un peu comme la grenouille en train de se faire cuire dans une casserole dont la température de l’eau monte graduellement – il n’y a pas de réaction massive. Je rejoins l’opinion émise, que par l’éducation populaire ou d’autres moyens, on a vraiment besoin que chacun, individuellement, en tant que patient potentiel, s’en mêle. Si on ne s’en mêle pas, on a beau avoir des alliés dans certaines institutions, qui font parfois le job super bien, ça ne va pas suffire.

Laurence Cohen : C’est plein de paradoxes. Les choses ne sont pas figées. Il faut mettre le pied dans la porte et, quand on le met, sachant qu’on est dans un système capitaliste, cela peut être dévoyé. Avec le bruit qu’a fait le rapport sénatorial, mais aussi les scandales qui ont eu lieu, la réaction des patients, il y a des choses qui font que le gouvernement se doit d’agir, mais c’est toujours avec une optique capitaliste.

Quand ils nous ont dit que les établissements pharmaceutiques, les hôpitaux, doivent avoir plus de moyens pour produire, qu’il faut donner plus de moyens aux préparations hospitalières ou aux préparations magistrales, cela va être dévoyé pour que le privé se débarrasse d’un certain nombre de médicaments, qu’il juge non rentables, et continue à faire des profits juteux. Est-ce que cette perversité du système doit nous laisser les bras ballants ? Je pense qu’il faut continuer à mettre le pied dans la porte pour essayer de généraliser et transformer les choses. Mais il faut donner des exemples qui fonctionnent, pour démontrer, à ceux qui opposent des arguments de rentabilité, que c’est possible. Nous avons intérêt à réfléchir à comment cela se passe dans d’autres pays : il y a des exemples de production publique, avec des histoires diverses, qui fonctionnent.  C’est vrai au Brésil, en Égypte, en Suisse, aux États-Unis.

Il nous faut arriver à démontrer ces contradictions – Macron défend les IP, est pieds et poings liés avec Sanofi – pousser le gouvernement à dire qu’il y a des choses qui peuvent être différentes.

Aujourd’hui de plus en plus de médicaments sont impactés par les pénuries, cela touche les patients. Pour les patients, il faut de l’éducation populaire. Car les labos se servent aussi des patients. Exemple : quand un médicament est sur le point de voir le jour, les labos disent qu’il y a des lenteurs administratives, que c’est trop lent, qu’il faut une mise sur le marché précoce. C’est la porte ouverte à des profits extrêmement juteux. Les patients, qui attendent le traitement, vont aller dans le même sens, ils vont faire pression.

Il faut nous appuyer sur ces contradictions pour montrer qu’autre chose est possible, donner des exemples.

Marmar Kabir précise que les bases de données de la Sécurité sociale sont des bases de données exhaustives, c’est-à-dire qu’elles contiennent toutes les données de patients. Les labos utilisent ces bases de données,  prétendument pour surveiller la tolérance, l’efficacité des médicaments dans la vraie vie. En réalité, ils ont beaucoup d’infos super-importantes sur les patients, y compris pour des utilisations commerciales. La condition, pour avoir accès à ces données, est d’avoir une question scientifique, par exemple : suivi de la prise en charge des angines en France.

Nous aussi, nous pourrions demander de pouvoir utiliser, en alternative, ces données (données personnelles des patients) pour suivre le médicament, savoir si l’efficacité prétendue au moment de la mise sur le marché est réelle en vraie vie. Cela peut nous aider.

C’est une question complexe. Il n’y a pas que les bases de la Sécurité sociale. Il y a aussi celles que les académiciens ou les universitaires créent à partir des données des patients. Exemple : vous faites un infarctus, vous allez à l’hôpital, vos données sont collectées dans une base de données, qui appartient à une société savante, qui peut vendre vos données à l’IP. Vos données sont vendues à l’IP ! Piste alternative à ce que disait précédemment Gaëlle.

Frédéric Sultan : Bien sûr qu’il faut mettre le pied dans la porte chaque fois que c’est possible. Notre point de vue est que tout le monde ne peut pas être partout en même temps. Du coup il faut s’articuler. Ces stratégies-là doivent se déployer. On doit peut-être élargir le cercle ici. C’est important de ne pas hiérarchiser ces questions. Oui, on a besoin de batailles politiques, on a besoin d’être présents sur ces sujets dans des arènes politiques, à différent endroits, à différentes échelles.

En même temps, on a besoin d’expérimenter, de développer des pratiques, qui nous permettent de faire la preuve (ce sera montré cet après-midi) qu’il y a des choses qui marchent, que l’on peut développer pour que ça fonctionne. Parce que sinon, on est toujours dans l’opposition, et on sait que cela peut être contre-productif. On a besoin de ces expérimentations au niveau de la production de médicaments, des mécanismes de la protection sociale, au niveau de l’hôpital, au niveau de la place des patients dans cet ensemble-là.

Tout cela n’est pas du tout concurrent, bien au contraire. Pour nous, l’enjeu est d’arriver à se positionner de façon harmonieuse. Bien entendu, chaque acteur peut prendre la place qu’il décide, qu’il est à même d’occuper dans cette lutte sociale. C’est une chose à prendre en considération.

Une des clés, quand j’affichais qu’il faut remplacer la recherche telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, accaparée par le privé, alors qu’elle est largement financée par le public, par des mécanismes de recherche « open sciences », des mécanismes qui mettent en commun la science, la technologie, les données, l’ensemble des ressources, des matériaux, qui sont utilisés pour les médicaments, c’est de définir ensemble ce qu’on entend par là, concrètement, quelles sont les valeurs qu’on défend, et du coup de se mettre d’accord pour dire : “Ok, moi si je participe à la production de médicaments en commun, c’est parce qu’elle répond à ces critères-là”. Et ces critères, on les définit en entrant dans le détail. Ce n’est pas en ayant un grand schéma, en disant que c’est produit en commun, parce que ça répond à une économie coopérative, économie qui redistribue peu ou pas ses bénéfices. Pour moi, ça ne suffit pas. Il faut qu’on aligne un ensemble d’éléments qui nous permettent d’expliciter ce qu’on entend par commun, de voir comment on fait adhérer à ces mécanismes les acteurs qui sont dans la production ou dans la communauté concernée, et comment on fait que ce mécanisme-là fait récit commun, fait un nouveau récit de la santé, autrement qu’aujourd’hui avec les Big pharma.

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2e table ronde
Quelles approches possibles pour rendre le médicament non-appropriable ?

Animée par Danielle Sanchez, membre du collectif MBC 

Nous proposons de poursuivre cette démarche en entrant dans le vif du sujet, par l’exposé d’expériences concrètes, en France et dans le monde, mais aussi, de manière politique, d’une autre façon de penser l’articulation entre santé publique, recherche et production de médicaments, pour répondre aux besoins, pour s’extraire de la domination de l’industrie pharmaceutique.

Pour commencer, nous avons demandé une contribution à 4 intervenants, que je vais vous présenter :

  • Gaëlle Krikorian, sociologue, autrice de plusieurs publications, dont ce livre récent « Des Big Pharma aux communs : petit vadémécum critique de l’économie des produits pharmaceutiques » (Lux Editeur, 2022), et Bernard Dubois, ancien salarié Sanofi et syndicaliste. Tous deux vont nous faire partager une expérience concrète pour produire autrement du médicament comme un commun
  • Maurice Cassier, sociologue au CNRS, auteur du livre récemment paru : « Il y a des alternatives, une autre histoire des médicaments (19e au 21e) » (Seuil, 2023), qui va illustrer cet enjeu de l’appropriation sociale du médicament par 3 expériences alternatives dans le domaine de la R&D et de la production pharmaceutique
  • Frédérick Stambach, médecin généraliste, coauteur avec Julien Vernaudon, praticien hospitalier, de plusieurs articles dont « Pour un Pôle socialisé du médicament » (LVSL, 6 octobre 2021) et « Pour un service public de santé territorial » (ResPublica, 29 mai, 6 et 13 juin 2022)

Bernard Dubois, membre du collectif MBC

Produire autrement du médicament comme un commun, cas concret

Ce matin les interventions de Fabien Mallet (coordinateur CGT Sanofi), Laurence Cohen (ex-Sénatrice PCF, rapporteuse d’un rapport au Sénat sur les ruptures de médicaments) et Christophe Prudhomme (médecin urgentiste et syndicaliste) ont témoigné des conséquences sociales et des effets des choix d’entreprise sur la santé publique (Cf. leurs interventions).

Le fonctionnement des grands laboratoires pharmaceutiques est dicté par les actionnaires (fonds de pension, Black Rock …) : il s’agit d’organiser l’entreprise comme un système de production d’argent. La stratégie est financière, il n’est pas question dans ce modèle de répondre aux besoins de santé des populations – ou alors de façon très subsidiaire.

Tous les chapitres du bilan sont analysés pour réduire les dépenses : achats, salaires, passifs sociaux, gestion des stocks en flux tendu, spéculation sur les effets de change, réduction de la recherche interne pour user de la recherche publique ou de start up, optimisation fiscale exacerbée… Ensemble de mesures scrutées par les organismes de notations, comme Standard & Poor’s et autres Moody’s, pour un accès aux meilleurs taux de crédit. Et pour veiller au grain, les grands cabinets comptables (Mc Kinsey) mettent en œuvre la partition.

On est loin de la libre entreprise, de la libre concurrence et des secrets d’entreprise, ce ne sont que des formules de politique néolibérale, l’essentiel étant le business.

Ce système d’entreprises mondialisées, nous en mesurons les effets, le chantage sur le prix et l’opacité exigée des négociations, sur l’emploi, l’augmentation du travail précaire, les conditions de travail, les fermetures de sites, les exonérations fiscales et de cotisations sociales, d’où altération des finances publiques et dégradation des systèmes de protection sociale : santé, retraite, indemnités chômage… Et tout cela produit des ruptures de stocks de médicaments et un accès aux soins rendu difficile, voire impossible.

A l’actif du bilan figure la propriété, on y trouve le brevet. Cela confère à l’entreprise un terrible pouvoir, celui de décider de sa commercialisation ou non et d’en négocier le prix.

Médicament Bien Commun (MBC), dans son manifeste, a dénoncé les effets délétères du brevet sur l’accès aux soins (cf. medicament-bien-commun.org).

Ce mode de fonctionnement d’entreprises transnationales se retrouve dans tous les secteurs d’activités : santé, énergie, transport, agroalimentaire, gestion de l’eau, des ordures ménagères etc. Les dommages « collatéraux » sur les choix de société doivent faire l’objet d’un débat politique.

Dans cette attente et, plus prosaïquement, parce que blessés, scandalisés par la fermeture de nos ateliers, nos labos et par les ruptures de médicaments, nous avons constitué un groupe de travail (ex-salariés de l’industrie pharmaceutique, sociologues, économistes, syndicalistes, groupes comme MBC et Capitalexit médocs…), dont l’ambition est de créer une unité de production de médicaments gérée dans le cadre de l’économie sociale et solidaire (ESS : SCIC, SCOP…). C’est-à-dire avec un mode de gouvernance piloté par les salariés, les banques de l’économie sociale, les mutuelles, les hôpitaux, les associations de malades, les universités et organismes de formation, etc. Nous avons travaillé deux pistes. Une à partir d’un terrain nu situé sur la commune de Romainville, en lien avec la Mairie, qui affiche publiquement une volonté de création d’une structure de l’ESS dans le secteur de la pharmacie, et l’autre à partir d’un site industriel existant mais à l’avenir incertain.

Nous avons travaillé sur les ruptures de médicaments, sur les molécules abandonnées, sur les montants d’investissements…

Au fil de nos réunions, un réseau actif s’est étoffé ; nous avons rencontré Gaëlle Krikorian et Frédéric Sultan, qui travaillaient eux aussi  dans cette visée. Nous avons de fait renforcé nos capacités et méthodologie de travail, rencontré et échangé avec des chercheurs britanniques travaillant sur les publics/communs. Le 14 septembre, nous avons présenté nos travaux et perspectives à un auditoire élargi et réactif.

Aujourd’hui, nous réfléchissons à l’étape d’après, à savoir la mise en œuvre de la production de médicaments comme commun à partir d’un site industriel disponible tout en imaginant des interactivités en réseau avec des structures ayant les mêmes valeurs. Cela suppose de définir quel travail technique nous devons poursuivre (industriel, réglementaire, économique…), quelles actions mener pour obtenir l’assentiment d’une opinion publique scandalisée par l’état de notre service public de santé et par les ruptures chroniques croissantes de médicaments.

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Gaëlle Krikorian, sociologue

Transformer l’économie des médicaments: produire des communs pharmaceutiques.
Un réseau de communs pharmaceutiques

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Maurice Cassier, sociologue

Trois expériences d’appropriation sociale des médicaments

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Frédérick Stambach, médecin généraliste

Le pôle socialisé du médicament, un projet politique global.

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La discussion 

Les 3 expériences décrites par Maurice Cassier (Brésil, Afrique du Sud, Etats-Unis), illustrent de manière éclairante les possibles. Elles montrent que l’on peut affronter, bousculer la toute-puissance des labos, en particulier sur la détention des secrets ou processus de fabrication, problème d’accessibilité, auquel se sont confrontés les hospices de Lyon, en pleine épidémie Covid, pour produire le curare si nécessaire aux services de réanimation.

La discussion a fait ressortir le souhait qu’il y ait une confrontation de contenu entre les projets de pôle public et de pôle socialisé, ne pas s’en tenir à l’énoncé de slogans, mais intégrer l’approche des communs. En s’accordant sur le fait que cette entité doit intégrer la recherche et la production, associer l’ensemble des acteurs selon les principes de la démocratie sanitaire.

Une participante précise qu’actuellement, avec les Big pharma, nous sommes confrontés à une gestion néolibérale essentiellement aux USA et en Europe. Si nous sommes dans une visée de coopération alternative, pourquoi ne pas penser, interroge-t-elle, ce pôle socialisé, dès sa conception, dans des relations avec des pays autres que ceux de l’occident (Cuba, Iran, pays sous embargo ou BRICS), qui, bien entendu, sont des pays de gouvernement totalitaire, mais où les problèmes de santé existent.

La proposition de service public territorial de santé a été jugée intéressante, en précisant la nécessité de faire la différence entre centre de santé (qui relève d’un service public) et maison de santé (qui relève d’une démarche libérale et dont on voit la multiplication aujourd’hui pour palier au déficit médical). De même pour les médecins et les usagers-patients, l’exercice salarial diffère de l’exercice libéral.

Un participant souligne qu’il y a des possibles qui, s’ils ne remettent pas en cause entièrement le système, sont, comme cela a été dit, « un pied dans la porte ». Mais pour que cela marche, comment assure-t-on l’articulation, entre travailler des projets et en même temps faire avancer les idées, donc comment travailler d’une façon élargie ? Nous avons besoin, précise-t-il, de réussir des choses petitement, pour démontrer que c’est faisable, et les faire grandir aux niveau national et international. Il ne faut pas opposer la visée et la mise en place de projets qui permettent de faire la démonstration du possible.

Les camarades de Sanofi expriment cette idée : ne pourrait-on pas se manifester devant les entreprises avec des collectifs existants (MBC, Notre santé en danger, …) pour capter l’intérêt des salariés de l’IP et créer des rassemblements. Ceci en partant des problèmes concrets, comme les pénuries de médicaments.

En ce qui concerne le secret des affaires, il est rappelé que l’État, au travers du dépôt des AMM, a toutes les « recettes » et conditions de fabrication, un dossier complet. Le blocage vient de la HAS (Haute autorité de santé), organisme d’État. Il s’agit pour nous d’être plus agressif sur la revendication d’accessibilité.

Un intervenant informe de l’existence d’une instance, le CIH (Conseil international d’harmonisation des exigences techniques pour l’enregistrement des médicaments à usage humain – ndlr) dont la mission est de parvenir à l’harmonisation des données et des règlements et de s’assurer ainsi de la sûreté, de la qualité et de l’efficacité des médicaments développés et enregistrés par les différents pays participants. Il évoque également l’existence de l’exception Bolar, qui permet, 5 ans avant la fin du brevet, face aux pénuries, de surseoir à son application. Pour cela, il faut anticiper les besoins.

A été mise en débat la vision dans laquelle s’inscrivent ces projets : vision franco-française ou vision européenne, voire mondiale, pour une coopération alternative ? Quels seraient les relations entre ce pôle socialisé et d’autres pays, notamment en dehors de l’occident ? Indépendamment des régimes politiques, il existe de forts potentiels de recherche dans d’autres pays…

En réponse à ces questions, il est suggéré qu’un pôle public, ou un pôle socialisé, ne pouvait pas être conçu sans s’inscrire dans une construction européenne, pour certains participants un pôle public européen. Plus généralement, le besoin de réfléchir à l’échelle régionale et continentale a été souligné comme nécessaire. Il est rappelé que la charte des Nations Unies est toujours juste mais peu utilisée. Le contenu de notre journée, avec les différentes interventions, montre l’intérêt d’articuler les expériences locales et internationales. Il s’agit bien d’un projet politique global. Nous remarquons que chaque expérience alternative repose sur une entité de production, ce qui confirme le bien-fondé de ce projet.

Pôle public, jusqu’où ? Y compris sur la fixation des prix des médicaments ? D’une manière plus générale, ces projets de pôle public et pôle socialisé doivent prendre en compte l’expérience des 40 dernières années avec les dénationalisations dans le secteur pharmaceutique, sans résistance majeure.

***

En guise de clôture (provisoire !)

Francis Sitel, membre du collectif MBC

Bien que très honoré de la demande qui m’a été faite d’intervenir en cette fin du colloque, j’avoue me sentir privé de toute légitimité pour le faire. En effet, à la différence des oratrices et orateurs que nous avons entendus, toutes et tous fort informés et savants, je ne peux me revendiquer d’aucune compétence dans les sujets qui viennent d’être débattus.

Je n’ai aucune connaissance médicale, ni pharmaceutique.

Disons que je peux parler à titre de patient. Même pas au titre d’une association de patients, finalement c’est peut-être mieux, ayant entendu Christophe Prudhomme dire qu’en la matière il convenait d’y regarder de près. Donc juste comme titulaire d’une carte Vitale.

En tant que patient, j’ai partagé des illusions.

Illusion que le médicament est certes un objet complexe, mais en permanence disponible (au moins ici, on sait que ce n’est pas le cas partout). Bref, un sentiment de sécurité : le médicament est disponible quand on en a besoin, pour une anesthésie, des soins, des remèdes à la douleur…Il doit alors être fourni en urgence. Et si tel n’est pas le cas, du fait d’une pandémie, parce qu’il y a pénurie…, la sécurité cède à la panique.

Autre illusion : la confiance en la puissance publique, celle de l’État protecteur, qui assure cette disponibilité. Bien sûr, on sait qu’il y a des limites, celles qu’impose le développement de la science. Mais il faut parier sur les progrès de celle-ci. Les laboratoires y travaillent, ce qui leur vaut, à bon droit, crédits et investissements, et donc de justes retours… sur investissements.

Ces illusions, vous les avez fait voler en éclats.

Vous m’avez fait comprendre que ça ne fonctionne pas comme cela.

Le médicament est dans la main du Capital. Un capital qui n’est pas un simple parasite, comme la notion de « finance » peut le faire croire, mais une puissance qui opère une vampirisation de la santé. Cette « spoliation de la santé » qui conduit à sacrifier la recherche, et à abandonner certaines productions.

Du coup, le sentiment de sécurité cette fois laisse place à l’inquiétude.

Mais vous m’avez aussi convaincu qu’on peut ne pas céder à la désespérance. Car, comme l’a dit Thierry, il y a des « possibles ».

Et donc qu’il faut se mettre au travail.

D’abord éclairer la société. Fabien l’a expliqué, la société et les patients ne perçoivent pas ce qu’est le système de santé, n’ont pas les moyens de le connaître. Il a évoqué une nécessaire « éducation populaire » en la matière. Oui, faire tomber les murs de ce système, briser les « silos » plusieurs fois évoqués : les connaissances de celles et ceux qui sont dans ce système sont à faire partager à l’extérieur.

Et aussi construire le « sujet du commun », pour reprendre la formule de Frédéric Sultan.

Autour d’exigences dont on a repéré quelques-unes. Par exemple cette question de l’insuline plusieurs fois évoquée (qui existe sans la chaîne du froid, dont les prix peuvent être diminués de moitié…). On a aussi évoqué l’abandon du paiement à l’acte médical, dont on parle aussi dans d’autres espaces. Ou encore le coût financier des pénuries de médicaments, dont Laurence Cohen nous a dit que la Sécurité sociale se disait dans l’incapacité de l’évaluer.

Il est intéressant de noter que pénurie ne veut pas dire rareté, mais bien spoliation, du fait de la politique prédatrice de Big pharma et d’une gouvernance déresponsabilisée.

On a souligné l’écart entre le discours gouvernemental (« il faut que ça change », il y a nécessité de « relocaliser », de « réindustrialiser »…) et la réalité. Entre l’un et l’autre, le maillon manquant est celui de la mobilisation.

Mobilisation pour le droit à la santé, pour un « commun pharmaceutique », pour l’objectif du pôle public, socialisé, de la recherche et production du médicament.

Un problème a été finalement soulevé, celui de la dimension internationale. La logique n’est pas celle d’un repli national, mais celle du déploiement d’une dynamique internationale. Dès lors qu’on brise avec la logique du profit et de la guerre commerciale, pour chevaucher celle des réponses aux besoins sociaux, qui pour l’humanité sont immenses, on n’est plus dans la compétition mais dans la coopération… Cette brisure, elle s’applique à différentes échelles, du plus proche au plus distant, du local au mondial, de l’individu à l’humanité.

Beaucoup de travail devant nous !

 

 

 

Modèle économique du médicament dans toutes ses dimensions

Laurence Cohen, sénatrice

Rapporteure de la commission d’enquête sénatoriale sur la pénurie de médicaments et les choix de l’industrie pharmaceutique française

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Bonjour à toutes et tous,

La pénurie de médicaments n’est pas un épiphénomène mais est structurelle et ne fait que croître. Ainsi, depuis le 1er quinquennat d’Emmanuel Macron, la France a connu des niveaux inédits avec  3700 déclarations de ruptures de stock et de risques de ruptures en 2022.

La commission d’enquête qui a vu le jour au sénat sur initiative de mon groupe, le groupe communiste, et dont j’étais rapportrice , avec à mes côtés une présidente centriste, Sonia de La Provôté, a débouché sur un rapport sévère, adopté à l’unanimité, pointant la faillite gouvernementale et la responsabilité des grands labos : Big pharma. Ce vote était loin d’être gagné d’avance puisque, sur 19 sénatrices et sénateurs la composant, seulement 5 sont de gauche  (1 Communiste, 3 PS et 1 EELV).

Évolution certaine depuis le 9 décembre 2020, où, en pleine pandémie, la proposition de loi que je présentais, avec mon groupe, intitulée : « Un pôle public du médicament et des dispositifs médicaux », était rejetée par le sénat.

Notre commission d’enquête a duré 5 mois, durant lesquels nous avons procédé à 54 auditions, entendu 119 personnalités, transmis plus de 70 questionnaires, effectué de nombreux déplacements, aussi bien à Roussillon, sur le site de l’usine Seqens (paracétamol ), et à EuroApi à Vertolaye, qu’à Amsterdam, au siège de l’Agence européenne des médicaments, ou encore, dans un tout autre registre, à Bercy pour recueillir des éléments précis sur l’utilisation du crédit d’impôt recherche (CIR) par les entreprises pharmaceutiques. Il a d’ailleurs fallu beaucoup d’insistance et d’opiniâtreté de notre part pour obtenir des informations précises sur ce sujet.

Si toutes les classes thérapeutiques sont touchées, 70% des médicaments anciens connaissent des pénuries, contrairement aux médicaments innovants dont les prix s’envolent ( Exemple du Zolgensma,  produit par Novartis : 1,9 millions d’euros)

Et, durant nos auditions , nous avons appris que 700 médicaments, parmi les MITM ( médicaments d’intérêt thérapeutique majeur) , allaient être abandonnés par les Labos, dans les mois et les années à venir. Le Leem, lobby des grands labos, n’a pas apprécié que nous donnions cette information et a tenté de me discréditer dans un communiqué, ce qui lui a valu une réponse cinglante du sénat s’appuyant sur les propos filmés d’une audition, que chacun peut consulter sur le site de notre Haute Assemblée.

Je veux insister ici sur la différence qui existe entre les grands labos : Big Pharma et les petits labos qui ne sont pas du tout sur la même logique et avec lesquels nous avons des convergences.

Le dysfonctionnement profond, structurel révélé par les pénuries massives, est dû aux choix des grands laboratoires pharmaceutiques qui, pour maximiser leurs profits, ont délocalisé depuis 30 ans la production de médicaments dans des pays à moindres exigences sociales et environnementales. Aujourd’hui, 80% des principes actifs sont produits en Asie, Chine et Inde essentiellement .

Depuis les années 80, la France est passée de 470 entreprises de médicaments à seulement 247 et en 10 ans, l’industrie pharmaceutique a supprimé 10 000 emplois !

La France n’est plus aujourd’hui une puissance pharmaceutique : même les labos implantés en France se tournent vers l’export pour la moitié de leur production.

Le gouvernement a annoncé sa volonté de relocaliser cette industrie, c’est une très bonne chose. Mais sur 106 projets financés par le Plan de relance et France 2030, 18 sont une réelle relocalisation et seuls 5 portent sur un médicament stratégique.

Alors que l’on connaît un nombre exponentiel de pénuries, on apprenait, par la CGT de Sanofi, que 135 postes seraient supprimés d’ici 2025 à Aramon et Sisteron, ce qui nous priverait de la production de 50 tonnes de principes actifs !  Il a fallu convoquer madame Audrey Derveloy, PDG de Sanofi France, à 2 reprises, pour avoir confirmation de cette information qui avait fuité dans la presse !

La stratégie des grands labos repose sur des choix essentiellement économiques, ils réduisent non seulement leurs unités de production en France mais préfèrent acheter des start-up dont les recherches ont abouti et se séparer de leurs propres chercheurs.

Malheureusement, le gouvernement ne tire aucun enseignement de ces choix désastreux pour la santé de toutes et tous. Les mesures prises ne sont pas de nature à endiguer les pénuries.

Ainsi, l’ANSM ( Agence nationale de sécurité du médicament) a des pouvoirs de contrôle largement insuffisants, qui sont mis en œuvre une fois la tension signalée. De plus, en étudiant de très nombreux PGP (plan de gestion des pénuries), grâce aux administrateurs de la commission d’enquête, nous avons pu constater qu’ils sont particulièrement inégaux, les petits labos n’étant pas les plus mauvais élèves. Prenons le Sabril, antiépileptique souvent en tension et pourtant essentiel, produit par Sanofi: son PGP ne comporte aucune analyse sur les risques de rupture !

Quant aux sanctions infligées par l’ANSM, elles sont insignifiantes : entre 2018 et 2022, ce sont seulement 8 pénalités financières qui ont été prononcées pour un total de 922 000 euros. Quand on connaît les milliards de profits réalisés par ces grands labos, on mesure le manque à gagner…

Il faut donner plus de moyens à l’ANSM qui fait déjà un gros travail mais à qui on donne toujours plus de missions.

Le gouvernement ne veut ni utiliser ni se doter d’outils lui permettant de pouvoir opposer une autre politique à l’industrie pharmaceutique. S’il est vrai que les industriels possèdent la pleine propriété des médicaments via les brevets, la France n’a jamais utilisé la licence d’office ni, plus récemment, la réquisition des labos, pourtant  votée par le Parlement, parmi les mesures d’urgence pendant la pandémie du COVID.

Il faut cesser de distribuer des aides sans aucune conditionnalité  au secteur pharmaceutique, particulièrement bien doté !

En effet, ce secteur  est l’un des principaux bénéficiaires des aides et incitations fiscales. C’est le second bénéficiaire du CIR ( crédit impôt recherche) avec 710 millions d’euros, ce qui constitue une source d’attractivité reconnue par tous nos interlocuteurs !

À la lumière de tous ces éléments, la commission d’enquête, qui a fait 36 recommandations, a souligné qu’il serait nécessaire d’avoir une production publique de médicaments essentiels.

S’il existe plus de 6000 MITM, le gouvernement s’est enfin décidé à établir une liste plus restreinte de 454 médicaments essentiels. Aussitôt publiée, cette liste a été remise en cause du fait d’un manque de transparence dans les choix opérés et d’un travail jugé trop peu collectif.

Pour notre part, nous avons proposé d’établir une liste d’une cinquantaine de médicaments critiques et de nous appuyer sur les établissements pharmaceutiques (EP) hospitaliers, singulièrement celui de l’AGEPS (Agence générale des équipements et produits de santé) de l’AP-HP pour les produire. Elle a prouvé son efficacité puisque, face à la pénurie de curare durant la pandémie, l’AGEPS, en partenariat avec d’autres EP, a fabriqué 400 mille unités de Cisatracurium. Il faut donc arrêter son démantèlement, qui a commencé en 2018, lui faisant perdre une partie de ses missions et de ses compétences. Ce sont ainsi près de 80 millions d’euros qui sont récupérés par l’industrie pharmaceutique sur la base des produits de l’AP-HP, moyennant une redevance de 15 millions d’euros ( soit une perte sèche de 65 millions pour la puissance publique !)

Et nous avons appris qu’une suppression de 40 à 50 ETP (équivalent temps plein), sur un effectif de 120 personnes, était programmée. Interrogé par nos soins, le ministre de la santé, monsieur François Braun était incapable de nous fournir des explications.

D’autres pays ont réussi à développer des politiques s’appuyant sur des productions publiques : Brésil, Égypte, Inde, Suisse ou encore États Unis avec le projet Civica. Pourquoi pas la France ?

Cette commission d’enquête a permis de démontrer que les causes des pénuries étaient multifactorielles et qu’il fallait agir sur plusieurs fronts sans raccourci simpliste.

Si l’explication du prix trop bas de certains médicaments matures était avancée, nous avons pu constater que des pays comme l’Allemagne, aux prix bien plus élevés, connaissaient les mêmes pénuries ! Il est donc indispensable qu’il y ait de la transparence dans la fixation des prix, afin de ne pas laisser le CEPS ( Comité économique des produits de santé) dans une sorte de huis clos  avec les grands labos.  Il faut notamment une véritable prise en compte de l’intérêt thérapeutique du médicament, du respect des normes sociales et environnementales.

Le médicament doit relever de choix politiques, d’où la proposition de création d’un secrétariat général pour piloter sous l’autorité du ou de la Première ministre ( Bercy ne doit plus avoir la main).

Enfin, nous avons pu démontrer l’urgence d’une intervention publique, face aux pénuries de médicaments et aux choix du secteur pharmaceutique, ainsi que la nécessité d’une coopération européenne.

Sans aller jusqu’au pôle public du médicament, que je porte depuis longtemps avec ma famille politique, cette commission d’enquête est un point d’appui, un tremplin pour faire sortir, de la loi du marché , le médicament, bien commun de l’Humanité.

Focus sur la propriété intellectuelle et son rôle pivot du modèle économique de l’industrie pharmaceutique

Me Michael SANKARA, avocat

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Ce n’est plus un secret pour personne, la santé, ce bien précieux et indispensable à tout être humain, érigé comme un droit, voire un droit fondamental, normalement accessible à toute personne indépendamment de sa condition économique et sociale, a fait son entrée depuis très longtemps dans les règles du marché, compliquant ainsi son accès par tous.

Si, aujourd’hui encore, les problèmes de pénuries des médicaments se posent encore avec acuité pour bon nombre d’Etats, c’est aussi parce que les politiques publiques nationales et internationales sont largement influencées par un levier important : les propriétés intellectuelles.

Quel rôle joue ce levier dans le modèle économique de l’industrie pharmaceutique ?

Un tour d’horizon du cadre juridique des brevets sur le médicament (II) après un rappel historique de l’introduction des propriétés intellectuelles dans le médicament (I) permettra d’appréhender la remise en cause questionnée de l’utilité des brevets sur ce bien de santé (III).

I / RAPPEL HISTORIQUE DE L’INTRODUCTION DES PROPRIETES INTELLECTUELLES DANS LE MEDICAMENT

A/ Une absence de brevetabilité justifiée par la nature de « bien de santé » du médicament

Considérés comme étant des biens de santé dont il faille permettre l’accès au plus grand nombre, les médicaments ont longtemps été proscrits du champ de brevetabilité dans de nombreux pays, classés aujourd’hui pays développés.

C’est le cas de l’Allemagne, la France, l’Italie, la Suisse, et la Suède, qui ont adopté tardivement une législation en matière de brevets sur le médicament.

En 1967 en France, 1968 par l’Allemagne, et 1970 par l’Italie et la Suède ; le Japon et la Suisse, quant à eux, n’en ont adopté qu’en 1976 et 1977.

En France, par exemple, le médicament n’a pas toujours été protégé par le brevet, et cela en raison de la logique forte de santé publique qui prévalait à l’époque et empêchait la subordination de l’intérêt général du grand nombre à la propriété exclusive d’un inventeur ou d’un industriel.

Le déclassement du médicament sur le terrain de la brevetabilité s’expliquait très clairement par le fait que la primauté de la santé publique sur les intérêts mercantilistes des entreprises pharmaceutiques ne souffrait d’aucun débat jusque dans les années 1968 en France[1]..

L’éthique avait encore voix au chapitre, et pouvait dénoncer le totalitarisme économique car la santé publique représentait l’intérêt supérieur, et le médicament, parce qu’il concernait le bien-être de la population, n’était pas considéré comme un produit ordinaire.

Toutefois, l’industrie pharmaceutique naissante de l’époque, chargée de la fabrication de ces produits nécessaires à la protection de la santé publique, était déjà, comme aujourd’hui, une industrie partagée « entre logique économique et logique sociale »

C’est ainsi qu’après une tentative de réglementation générale d’un droit des brevets par l’édit royal du 24 septembre 1762, c’est finalement après la grande révolution de 1789, que la loi du 7 janvier 1791 est venue reconnaître un droit de l’inventeur sur son invention.

Et seuls les remèdes approuvés par les écoles et sociétés de médecine étaient autorisés par la loi du 21 GERMINAL an XI (11 avril 1803), à être commercialisés[2].

C’était en quelque sorte une forme de reconnaissance officielle à l’égard des inventions méritantes sur le médicament qui donnait lieu à une proposition de rachat par la Nation.

Dans le souci d’éviter les abus des détenteurs de brevets sur les médicaments, un décret du 18 août 1810 avait institué une commission chargée de l’évaluation des valeurs des formules avant de soumettre une offre de rachat de la formule au grand profit de la Nation.

Par la suite, la loi du 5 juillet 1844, est revenue supprimer les brevets sur les « compositions pharmaceutiques ou remèdes de toutes espèces »[3], les auteurs de cette loi craignant, au nom de l’intérêt supérieur de la santé publique, que le brevet accordé soit non seulement perçu comme un certificat de l’innocuité du produit, mais aussi que le monopole d’exploitation qui en découle n’entraîne une fixation de prix excessifs.

A travers ce bref rappel historique[4], nous faisons le constat que la protection des inventions pharmaceutiques a connu une certaine évolution dans le temps.

Elle semble avoir eu du mal à être reconnue à cause de la prédominance d’une certaine logique sociale et éthique qui voulait que l’intérêt de la santé publique soit un motif suffisant pour limiter ou suspendre le droit d’un inventeur.

Cette logique, le jurisconsulte et homme politique français Félix BARTHE[5], l’avait défendue avec hargne depuis le XIX siècle lorsqu’il soutenait qu’« Il y a d’après la loi et le simple bon sens, incompatibilité entre une composition pharmaceutique utile à l’humanité et une exploitation exclusive au profit d’un seul…Messieurs, le seul argument vrai, c’est que les compositions pharmaceutiques ou spécifiques ne sont pas susceptibles d’une exploitation privilégiée ».[6]

Cette vision a aussi été défendue aux Etats-Unis par un célèbre bactériologiste de l’Université de HARVARD qui soutenait en substance que « les biens nécessaires à la santé individuelle ou publique sont d’une autre catégorie que les automobiles. Dès lors que ces biens s’appliquent au soulagement ou à la prévention de la maladie ou de la douleur, leur libre utilisation devient une nécessité publique »[7].

Toutefois, la logique économique semble avoir pris le dessus dans les années 70 avec l’adoption des différentes législations sur la brevetabilité du médicament.

B/ Une introduction du brevet légitimée par la nature industrielle du médicament 

Un droit patrimonial n’existe que parce qu’il a un titulaire qui le possède comme un bien.

En ce qui concerne le médicament, il s’identifie de par son apparence, comme une chose matérielle, saisissable et palpable. C’est aussi un produit final issu d’une transformation ayant une valeur thérapeutique[8].

Et qui dit transformation industrielle, sous-entend, en arrière-plan, un travail inventif d’une structure spécialisée, entreprise industrielle dans notre cas.

Le médicament s’analyse donc sous cet angle comme une chose industrielle, le fruit d’une invention d’une industrie, qui regroupe en son sein un ensemble d’activités de recherches, de fabrication et de commercialisation.

Et c’est l’appropriation de cette chose industrielle à valeur thérapeutique par l’industrie pharmaceutique et les motivations commerciales pour le retour sur investissement qui ont prévalu sur la brevetabilité du médicament.

Toutefois, cette nature de bien industriel n’a pas réussi à faire disparaître la nature hybride du médicament comme bien de santé. C’est pourquoi, l’adoption d’un cadre juridique spécial des brevets sur le médicament s’est imposé par la suite dans les instances internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

II / CADRE JURIDIQUE DES BREVETS SUR LE MEDICAMENT

A/ Un système des brevets posé par les accords ADPIC et renforcé par les accords ADPIC +

Sur le plan institutionnel, l’OMC, en sa qualité d’enceinte de négociations sur la politique commerciale internationale, a permis, à travers ses différents cycles, d’édicter des règles pour régir le commerce international du médicament.

Jugée à l’origine trop favorable aux intérêts des firmes pharmaceutiques en leur « garantissant des prix de vente élevés pendant de nombreuses années grâce à la protection conférée par le brevet », l’OMC a dû réaménager ses dispositions, pour tenir compte de la problématique d’accès aux médicaments. C’est précisément au cours des accords de DOHA signés en 2001 que cette prise de conscience du caractère prioritaire de la santé apparaîtra véritablement dans l’enceinte de l’OMC.

Il a clairement été précisé à cette réunion que « les médicaments n’étaient pas des marchandises comme les autres et qu’une certaine flexibilité des droits de propriété intellectuelle était possible pour un pays, en cas d’urgence sanitaire ou si la protection de la santé publique était en jeu ».  

Autrement dit, en fonction de l’urgence du contexte national dans un État donné, un pays pourrait se voir octroyer une licence de fabrication, ou encore prendre d’office la décision de recourir à une licence d’office afin de fabriquer ou d’importer des médicaments génériques d’une spécialité pharmaceutique toujours brevetée.

Depuis lors, les rencontres se sont multipliées pour résoudre le problème de l’accessibilité au médicament par une réflexion sur l’effectivité des flexibilités contenues dans les accords ADPIC. C’est ainsi que des aménagements de standard minimum (des règles que les États devraient s’efforcer de garantir) en faveur de l’accessibilité au médicament ont été instaurés au grand avantage des pays en développement (PED) et de ceux classés les moins avancés.

L’article 30 des accords ADPIC vient donc consacrer une exception aux droits exclusifs des propriétés intellectuelles, qui devraient permettre aux États de maintenir un certain pouvoir d’action au niveau national afin de veiller au respect des principes d’intérêt général de santé publique tels que posés par l’article 8 du même accord.

En référence donc à ces articles de l’accord, les médicaments sont des produits qui, au nom de la santé publique, devraient pouvoir faire l’objet des exceptions prévues à l’article 30 de l’accord.

Ainsi, en cas d’urgence sanitaire, un Etat pourra en toute légalité prévoir l’exclusion de la protection par brevet des médicaments à caractère vital. Il pourra tout de même, en cas d’absence ou exploitation insuffisante, ou encore en présence d’abus de monopole, faire usage des flexibilités prévues pour favoriser l’accessibilité des médicaments à ses populations.

Au titre de ces flexibilités, nous citerons : 

  1. Le recours à la licence obligatoire 

Le principe de la licence obligatoire est consacré à l’article 31 de l’accord ADPIC intitulé « Autres utilisations sans autorisation du détenteur du droit ». Même si le texte de l’accord n’emploie pas expressément l’expression « licence obligatoire », il importe de relever que la licence obligatoire est une flexibilité qui s’inscrit dans l’objectif de recherche d’un équilibre entre la promotion de la recherche et développement de nouveaux médicaments et celle de l’accès aux médicaments existants. En quoi consiste-t-elle exactement ? Pour le savoir, nous nous référons au commentaire de l’OMC sur l’article sus-cité qui précise qu’il « y a délivrance d’une licence obligatoire lorsque les pouvoirs publics autorisent un tiers à fabriquer le produit breveté ou à utiliser le procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet ».[9]

  1. Les importations parallèles

Les importations parallèles constituent un mécanisme permettant l’importation et la revente dans un pays, sans l’accord du titulaire du brevet, d’un produit protégé par un brevet et commercialisé à l’étranger par le détenteur du brevet lui-même ou par une autre personne ayant reçu son autorisation.

De manière concrète, ce mécanisme revient à dire que « si un médicament X est commercialisé dans les pays A et B et s’il l’est à un prix plus faible dans le pays A, alors le pays B sera tenté de l’importer depuis le pays A pour bénéficier d’un prix plus intéressant »[10].

  1. L’exception Bolar

L’exception Bolar est une flexibilité aux droits des propriétés intellectuelles qui permet de résoudre un tant soit peu l’inaccessibilité des médicaments de référence. Ces produits étant à prix prohibitif et inaccessibles pour les PED, cette exception permet d’anticiper ce problème en préparant des médicaments génériques qui seront commercialisés dans ces pays dès l’expiration de la protection conférée par le brevet. La commercialisation des médicaments génériques entraîne une concurrence accrue sur le marché pharmaceutique ; cela se traduit par une baisse des prix pour le consommateur et rend donc les médicaments plus abordables.

 S’il est vrai que ces flexibilités ont déjà le mérite d’exister, il est cependant malheureux de constater que d’énormes entraves sapent leur efficacité, notamment les accords ADPIC +.

Et c’est l’occasion de préciser que les accords ADPIC de l’OMC établissent des règles minimales de droit des propriétés intellectuelles que les États, parties de l’accord (au sens juridique), doivent impérativement garantir.

Il s’agit donc de règles de standard minimum car elles laissent la liberté aux Etats membres de prévoir une protection plus large que l’accord ADPIC ne prévoit.

Cette faculté laissée aux États s’est révélée être la boite de Pandore au regard de la prolifération des accords ADPIC + suscités dans les accords bilatéraux et multilatéraux.

Vous aurez donc compris qu’il s’agit principalement des accords de libre échange négociés de manière bilatérale et comportant « un volet de renforcement de la propriété intellectuelle »[11].

Le véritable enjeu de ces accords est qu’ils tendent à limiter le recours aux flexibilités prévues aux articles 30 et 31 des ADPICS. Ils entravent donc fortement la production de médicaments génériques.

Dans le rapport du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur l’accès aux médicaments, il est possible de relever certaines clauses ADPIC+ dans les Accords commerciaux conclus par les Etats Unis avec des Etats. On y retrouve des clauses qui interdisent, soit le recours aux importations parallèles, soit l’approbation d’une version générique d’un médicament faisant l’objet d’un brevet, sans l’autorisation du titulaire du brevet. Il y figure également des clauses qui limitent les motifs de recours aux licences obligatoires au seul motif de limitation des pratiques concurrentielles, et aussi des clauses qui interdisent la remise en cause d’un brevet avant son octroi. Pour finir, on n’oubliera pas de mentionner les clauses qui accroissent les périodes d’exclusivité pour les périodes de test d’équivalence des génériques, empêchant ainsi le recours à l’exception Bolar.

Voilà autant de clauses ADPIC+ régulièrement insérées dans les accords commerciaux qui constituent des pressions constantes et colossales visant à anéantir les effets des flexibilités de l’accord ADPIC.

Outre le cadre juridique posé par les flexibilités prévues par les accords de l’OMC, la brevetabilité sur le médicament a aussi favorisé le développement de techniques offensives et défensives, s’analysant comme des obstacles substantiels à la disponibilité des médicaments.

B/ Un renforcement de la brevetabilité par les techniques offensives et défensives du droit des brevets

Dans la pratique, le brevet a connu beaucoup d’évolutions dans ses usages. Longtemps proscrit dans le domaine du médicament, il est désormais perçu par l’industrie pharmaceutique comme une arme défensive et/ou offensive qui l’utilise contrairement à sa finalité première d’incitation à l’innovation.

C’est ainsi que l’on pourra relever certaines pratiques d’obtention d’une protection supplémentaire indue :

  1. La technique de « l’evergreening patents » ou« brevets de seconde génération»

Cette technique consiste, pour une entreprise pharmaceutique ayant obtenu une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), à procéder à une nouvelle demande de brevet, à travers une faible modification du produit de base à quelques années de la fin de l’exclusivité conférée par le brevet initial, de manière à perpétuer la période de protection du « nouveau médicament ».

Le « nouveau médicament » n’en est pas un en réalité, car la modification apportée au produit de base ne constitue pas véritablement une amélioration dans le traitement de la maladie.

Cette technique a donc pour particularité de maintenir le droit exclusif d’exploitation pendant des années supplémentaires et d’empêcher les concurrents du générique de développer des médicaments abordables pour les patients sans tomber sous le coup de la contrefaçon.

2. La stratégie des « grappes de brevets »ou « patent fences » 

Dans ce cas de figure, pour un même médicament, plusieurs brevets « s’enchevêtrent comme des branches pour former un buisson épais et broussailleux »[12].

Ce qui pose problème, dans ce type de stratégie, est précisément la détermination par les concurrents de leur liberté d’exploitation, compte tenu du nombre pléthorique de brevets que peut revêtir une seule invention.

Tout concurrent ou, plutôt, toute autre entreprise pharmaceutique innovatrice aurait du mal à déterminer sa liberté d’exploitation, les grappes de brevets ayant entraîné un climat d’incertitude juridique qui pourrait malheureusement, non seulement décourager les efforts d’innovation des uns, mais aussi bloquer le désir d’entrée des autres sur le marché.

3. Le retrait du médicament de référence

Il s’agit d’une stratégie visant à empêcher l’accès des médicaments génériques au marché. Cette stratégie consiste à faire recours au cadre réglementaire pour demander l’annulation de l’enregistrement d’une AMM à l’approche de l’expiration de la protection conférée par le brevet.

Le retrait du médicament princeps juste avant la possibilité d’entrée des génériques sur le marché est jugée redoutablement abusive dans le sens où la vente du générique devient impossible en l’absence du produit de référence sur le marché.

A ce niveau, les affaires Gaviscon (médicament de la famille des antiacides d’action locale-ndlr) et AstraZeneca sont très illustratives. La concurrence du Losec (inhibiteur de la pompe à protons (IPP) qui ralentit ou prévient la production d’acide-ndlr), par des produits génériques et parallèlement importés a été rendue impossible par l’annulation stratégique de l’enregistrement de son AMM. Dans cette affaire, Astrazeneca a fait usage de la directive 65/65 qui en vertu du droit exclusif d’exploiter lui donnait le droit de retirer l’AMM du Losec[13].

4. Brevet de barrage

La finalité de ce type de brevet est d’entraver l’accès d’une technologie à un concurrent. La technique consiste à faire une demande de brevet sans une volonté réelle d’exploitation. L’accumulation de ce type de brevets aura pour objectif de « geler » des technologies de substitution (par rapport à celles d’ores et déjà exploitées). Les brevets triviaux et les brevets leurres sont des variantes de ce type de brevet.

5. Les accords de report d’entrée de médicaments génériques

Les accords de report d’entrée, encore appelés contrats « pay for delay », dits aussi, « Reverse Payment Patent Settlement », constituent un type particulier de contrat assez développé aux Etats-Unis, conclus entre entreprise pharmaceutique de princeps et entreprise du générique, et ayant pour objet de reporter l’entrée des médicaments génériques dans un marché, cela, en contrepartie soit d’un versement d’indemnité ou de la délivrance d’un service à travers une convention de coopération.

Ce type d’arrangement permettra in fine au détenteur du princeps d’écarter la concurrence et de toujours continuer à tirer profit de l’allongement de son exclusivité d’exploitation. Pour le producteur de générique, cela constitue également une belle opportunité de réalisation de bénéfices importants, sans toutefois entrer sur le marché.

III/ UNE REMISE EN CAUSE QUESTIONNEE DE L’UTILITE DES BREVETS SUR LE MEDICAMENT

A/ Une incompatibilité de principe entre l’utilité thérapeutique du médicament et les principes directeurs du droit des brevets[14]

Le brevet a pour rôle premier de protéger une innovation en accordant à son propriétaire un monopole temporaire d’exploitation, cela, en contrepartie de la diffusion de l’innovation pour le bien-être social. Ce privilège de protection sous forme de propriété intellectuelle, attribué par la société, s’analyserait donc comme une récompense pour la contribution à l’innovation.

Cette exclusivité offerte constitue, en définitive, une incitation à l’innovation car elle permet d’assurer au détenteur du brevet, un retour sur investissement.

Toutefois, il est permis de constater que ce rôle premier a été dévoyé, le brevet dans le secteur pharmaceutique étant devenu une arme défensive et offensive à l’encontre des concurrents, et créant in fine un lourd préjudice pour les patients, privés de biens de santé d’utilité publique à coût abordable.

Le système actuel du droit des propriétés intellectuelles, comme nous l’analysions dans notre thèse[15], en raison des prérogatives d’exclusivité accordées au propriétaire, est caractérisé comme étant un système individualiste, faisant la promotion de l’intérêt individuel, en l’occurrence celui des  actionnaires de l’industrie pharmaceutique, et cela au détriment de l’intérêt de la communauté.

Cet exclusivisme qui caractérise ce droit présente de grands risques pour l’accessibilité à des biens privés d’utilité publique, comme l’est le médicament, de sorte qu’un changement dans le mode de fonctionnement des brevets s’impose.

En rappel, comme le consacre le droit des propriétés intellectuelles, l’exclusivisme sur la chose objet de brevet, est une prérogative reconnue de principe à tout propriétaire qui l’exerce librement selon son bon vouloir. De ce pouvoir absolu du propriétaire sur « sa chose », découle indirectement, le deuxième caractère du droit de la propriété, en l’occurrence celui du « pouvoir envers autrui », qui serait expressément un pouvoir d’exclure.

Ce pouvoir d’exclure est l’expression de la liberté du propriétaire de choisir de se prémunir de toute interférence arbitraire d’autrui sur la chose dont il exerce toutes les prérogatives.

En vertu donc de cette exclusivité, des patients pourraient se voir interdire toute atteinte à ce bien. Et nous le constatons aujourd’hui, avec les pénuries des spécialités portant sur des médicaments dont les brevets sont déjà tombés dans le domaine public.

Conformément à la conception civiliste de la propriété, l’individu étant l’unique garant de la satisfaction de ses intérêts privés, il lui revient en vertu de la situation de monopole conférée par le droit de propriété, d’en tirer la meilleure utilisation possible de son bien, quelle que soit sa rareté ou son utilité ; d’où l’intérêt de la remise en cause de ce monopole ; car avec un « droit d’exclure », qui s’est imposé comme le critère déterminant de la propriété et un pouvoir d’appropriation qui obéit à un principe unique de protection des intérêts individuels du propriétaire, l’on est en droit de s’inquiéter pour l’accessibilité de tous aux biens d’utilité publique.

En définitive, le problème qui se posera est que la satisfaction de ces biens d’intérêt collectif dépendra du droit subjectif absolu de leurs propriétaires, les industriels.

Alors quoi faire lorsqu’un propriétaire, du fait de son monopole sur un bien, fixe des conditions très élevées, rendant ainsi ce bien inaccessible à ceux qui ont juste besoin de ce bien de santé pour se soigner et survivre ?

B/ La prédominance d’une logique de rentabilité économique aux antipodes du droit d’accès au soin

Le constat, aujourd’hui, est que le marché du médicament s’est imprégné d’une logique de rentabilité qui entrave fortement l’accès et la disponibilité des médicaments.

La structure du marché, fortement accentuée par un monopole exclusif de commercialisation par l’entremise du brevet donne une liberté économique totale à l’industrie pharmaceutique dans la fixation des prix des produits de santé.

En raison des coûts de production du médicament, les industriels, qui disposent dans la majorité des Etats d’une liberté de fixation des prix, exigent de fortes sommes.

La justification rapportée en est principalement l’incitation à la recherche, et la nécessité de compensation des investissements réalisés.

Autrement dit, selon leurs explications, la préservation de la grande profitabilité de l’industrie pharmaceutique est la condition sine qua non de la promotion de recherches futures.

 Il est temps de réfléchir à d’autres mode de fonctionnement des industries pharmaceutiques, car le mode de fonctionnement actuel, par des actionnaires privés, voudrait, malheureusement, signifier que l’indisponibilité des médicaments pour des millions de personnes pourrait se justifier par la nécessité de garantie de la survie de l’entreprise, gage de continuité d’accumulation de profits pour les actionnaires.

François COLLART DUTILLEUL définissait le droit comme étant « le langage social qui porte les valeurs qu’une société se donne à elle-même ». Cette définition interpelle notre responsabilité dans la hiérarchisation des valeurs en fonction de leur priorité.

Alors, entre l’intérêt économique que représente les médicaments pour les industries pharmaceutiques et l’intérêt sanitaire en matière de santé publique, à nous de lutter pour la logique qui devrait primer.

[1] Claude MFUKA, Accords ADPIC et brevets pharmaceutiques : le difficile accès des pays en développement aux médicaments antisida. In : Revue d’économie industrielle, vol. 99, 2e trimestre 2002. Les droits de propriété intellectuelle : nouveaux domaines, nouveaux enjeux, sous la direction de Benjamin CORIAT. pp. 192.

[2] Voir note de bas de page n°28 de la thèse de Michael SANKARA sur « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international » p.9.

[3] Antoine LECA, Droit pharmaceutique, 6ème éd., Préface de Georges VIALA, Les études hospitalières, Bordeaux, 2012, n°15, p. 55. (Voir également cet ouvrage pour meilleur approfondissement sur l’histoire de la pharmacie depuis son invention médiévale à sa conceptualisation contemporaine).

[4] Pour aller plus loin sur l’histoire du droit français des brevets, voir Jacques AZEMA, Jean-Christophe GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, 8ème éd., Paris : Dalloz, 2017, p. 139-143.

[5]Un avocat et homme politique français du 19e me siècle (né en 1795 et mort en 1863), qui fut successivement député, ministre à mainte reprise, sénateur et premier président de la Cour des comptes.

[6] Cité par Maurice CASSIER in: Maurice CASSIER, Brevet et santé, Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, 2004, halshs-01970644, p.5.

[7] Voir Maurice CASSIER, Brevet et santé, Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, 2004, halshs-01970644, p.5.

[8] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue par le 11 décembre 2020.

[9] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue, le 11 décembre 2020, p. 72-74.

[10] Voir Para. 33 de l’article de l’article de Samira GUENNIF, Julien CHAISSE, « L’économie politique du brevet au sud : variations Indiennes sur le brevet pharmaceutique », Revue internationale de droit économique, 2007/2 (t. XXI, 2), p. 185-210. DOI : 10.3917/ride.212.0185. URL : https://www-cairn-info.proxy-scd.u-bourgogne.fr/revue-internationale-de-droit-economique-2007-2-page-185.htm.

Pour aller plus loin dans la thématique des importations parallèles, voir p. 74-90 de la thèse sur « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue par Michael SANKARA, le 11 décembre 2020.

[11] Bruno BOIDIN, Lucie LESAFFRE, « L’accès des pays pauvres aux médicaments et la propriété intellectuelle : quel apport des partenariats multi-acteurs ? », Revue internationale de droit économique, 2010/3 (t.XXIV), p. 325-350. Para. 6, DOI : 10.3917/ride.243.0325. URL : https://www-cairn-info.proxy-scd.u-bourgogne.fr/revue-internationale-de-droit-economique-2010-3-page-325.htm.

[12] Laure MARINO, « Les patent thickets : du brouillon de l’innovation à la poudrière », in les nouveaux usages du brevet d’invention entre innovation et abus, sous les directions de Jean-Pierre GASNIER et Nicolas BRONZO, Aix-Marseille, PUAM, Innovation et brevets, p. 17.

[13] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue, le 11 décembre 2020.

[14] Extraits choisis dans notre thèse sur « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », soutenue, le 11 décembre 2020.

[15] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue, le 11 décembre 2020.

Produire des communs pharmaceutiques

Transformer l’économie des médicaments
Un réseau de communs pharmaceutiques

Gaelle Krikorian, sociologue

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Je voudrais partager ici une partie de nos résultats, sur l’aspect réseau des communs pharmaceutiques.

Nous avons travaillé à partir de deux sites pour essayer de conceptualiser de quelle façon pourrait être réalisée la production de biens communs pharmaceutiques.

Sachant que, plus largement, si on essaie de réfléchir à cette logique de communs pharmaceutiques, il ne s’agira pas de produire juste un produit ou même une poignée, mais beaucoup plus.

C’est une discussion qu’il serait intéressant d’avoir : combien de produits estime-t-on qu’il faudrait arriver à produire pour satisfaire un certain niveau de besoins essentiels : peut-être 30 ou 50 produits, par exemple.

Si l’on part sur 30 produits, cela signifie qu’au moins autant de sites devraient participer. On sait bien que, pour faire un produit, le plus souvent tout ne se passe pas en un seul endroit. La matière première vient de quelque part. Ensuite, il peut y avoir plusieurs étapes dans le processus de fabrication de produits intermédiaires, dans différents ateliers qui ne sont pas forcément sur un seul site. Bref la production repose sur un réseau. C’est la logique dans laquelle nous nous sommes placés, celle qui est la plus adaptée d’un point de vue industriel.

On se place dans une logique industrielle parce que, pour au moins certains produits, on ne pourra pas se limiter à la fabrication, par exemple, dans un centre hospitalier, ni s’appuyer sur la préparation pharmaceutique dans une pharmacie. Ces pratiques sont possibles pour certains produits, et c’est important de savoir lesquels, de pouvoir les cibler, mais pour d’autres, clairement, on a besoin de l’échelle industrielle.

Il s’agit donc de travailler à l’échelle industrielle, et afin d’assurer une autonomie sanitaire pour des produits particulièrement essentiels, de ne pas s’enfermer dans une logique nationale, qui n’aurait pas tellement de sens, mais se placer dans une logique territoriale régionale, au niveau européen par exemple. Tout en prenant en compte la logique écologique.

Il faut éviter de se retrouver dans une logique d’économie globalisée, de flux tendu, de concentration à quelques sites de production à travers le monde, système qui, comme on l’a vu dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ne marche pas en cas de crise. Mais cette logique, en réalité, ne marche pas non plus hors des crises. Les mises en concurrence des acheteurs, que ce soient des États ou d’autres types d’acheteurs, pénalisent certains acheteurs, en permanence, pas seulement pendant une crise. Ainsi, pour certains petits pays d’Europe, ou pour certaines pathologies, des patients n’ont pas accès aux traitements parce que la production est dirigée vers les meilleurs payeurs.

Le réseau qu’on essaie d’imaginer s’appuie sur différents types de production. Des productions qui vont être publiques : par exemple, au travers de l’AGEPS, cette capacité de production au sein du réseau de l’AP-HP, ou de la pharmacie centrale des armées. Ou encore des productions hospitalières – dans d’autres pays européens on a voté, d’ailleurs, des dispositifs publics intéressants pour certains produits anti-cancéreux, par exemple.

Mais les producteurs peuvent aussi être des sites coopératifs. En France, dans le domaine pharmaceutique, il y a, par exemple, l’entreprise Bioluz, qui fait des consommables hospitaliers ; mais il existe aussi des expériences de coopératives dans d’autres domaines industriels. C’est une des pistes dont on discute, notamment pour des sites de production qui sont menacés ou en train de battre de l’aile en ce moment. Du point de vue des salariés de ces entreprises, il peut y avoir la volonté d’essayer de faire autre chose, à partir de sites existants.

Nous avons également besoin de nous appuyer sur des producteurs privés au sein du réseau. Il est important de distinguer les différents types d’acteurs qui existent au sein de l’industrie pharmaceutique. Les problèmes que l’on connaît sont dûs à la logique monopolistique, la volonté de contrôle et de niveaux de profit très importants d’une grosse poignée de multinationales qui contrôlent l’écosystème pharmaceutique, que ce soit à travers les brevets ou d’autres façons.

Mais lorsqu’on y regarde de plus près, concrètement beaucoup des actions nécessaires dans le domaine pharmaceutique sont réalisées par de petites et moyennes entreprises : recherche, développement, production. Parmi ces entreprises, il en existe avec lesquelles il serait possible de faire autre chose que ce qui se pratique actuellement ; des entreprises qui pourraient être prêtes à fonctionner avec d’autres types de règles que celles que favorisent les grands groupes, que ce soit le monopole, le secret, etc., ou cette logique de prix et de profit sans limite, pour laquelle il s’agit de faire toujours plus. Certains acteurs économiques qui veulent certes faire des profits, mais dans une certaine limite et accepter certaines limites aux profits.

Notre démarche vise à réfléchir à la constitution d’un réseau qui s’appuierait sur ces différents acteurs. Le schéma, ci-dessous, en donne une représentation.

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Dans ce document, chaque petit carré ou rond violet, à l’intérieur du diagramme, représente un bien commun qui correspond à un produit. Ces produits peuvent être fabriqués par des Scop/ Scic, des groupes coopératifs, par des organismes publics, dans différents pays. Mais ils peuvent aussi, ponctuellement, être fabriqués par des organismes privés, de petites ou moyennes entreprises (ronds verts à l’extérieur du diamant) travaillant seules ou en collaboration avec d’autres pour fabriquer des produits qui vont être des biens communs, c’est-à-dire produits selon un certain nombre de règles émises par le réseau.

C’est sur quoi nous travaillons : établir ce que devraient être ces règles, qui détermineront des pratiques au sein du réseau, mais aussi définiraient une espèce de label de « communs pharmaceutiques ». Des règles sans lesquelles il ne peut pas y avoir de communs.

Nous n’avons pas encore déterminé le nombre de produits qu’on pourrait essayer de produire de cette façon-là. Si nous pouvions en identifier une cinquantaine, ce serait une bonne base.

Nous cherchons à identifier les acteurs qui pourraient être agrégés dans un fonctionnement de ce type-là, qui soient en totalité orientés vers la production de communs pharmaceutiques, ou en partie seulement, pour certains produits seulement, au sein de leur catalogue, dans le cas d’entreprises privées.

Comme il ressort des travaux récents menés au Sénat sur les pénuries, il y a encore beaucoup d’acteurs PME pharmaceutiques en France, environ 200. Au sein de ces acteurs-là, que ce soit en partenariat avec les salariés de ces entreprises, ou directement avec les entreprises elles-mêmes, on peut essayer d’aller dans le sens de cette production de communs pharmaceutiques. C’est possible dès lors qu’on s’entend sur des règles, qu’on les aura fixées au travers d’une sorte de charte.

Pour ce faire, il faut travailler sur les points de blocage de l’économie pharmaceutique telle qu’on la connaît aujourd’hui, notamment ceux sur la transparence.

Il y a d’énormes problèmes de transparence dans l’économie pharmaceutique, que ce soit sur les investissements, les coûts ou les prix, sur les données à propos des effets positifs ou négatifs des médicaments. Il y a de l’opacité sur les brevets, il y a de l’opacité à tous les niveaux.

Travailler sur cette transparence est très important : que ce ne soit pas juste au niveau du CEPS qu’on ait des infos, mais qu’on arrive à savoir ce qu’est le prix au regard de ce que sont les coûts.

A partir des investissements des uns et des autres, du public comme du privé, des coûts de fabrication des produits, on peut établir des prix, en déterminant un niveau de marge, donc de profit, qui doit être une donnée partagée.

Que certains médicaments soient des biens essentiels ne doit pas être le moteur qui permet d’avoir des niveaux de profit, ou un appétit de profits jamais limité. Au contraire, ce doit être un domaine pour lequel le niveau de profit est fixé, et qu’on ne puisse le dépasser. Autrement, la fuite en avant se poursuivra, et on continuera à alimenter l’idée que c’est un domaine intéressant pour les spéculateurs, parce que qu’il n’y a jamais de limites au profit.

Au travers de la définition d’une charte des communs pharmaceutiques, ces questions peuvent être travaillées, ainsi que celles de la gouvernance, c’est-à-dire la gestion et le contrôle des ressources qui sont impliquées.

Ce sont autant de sujets autour des médicaments qui émergent comme centraux, politiquement, aujourd’hui : par exemple, la question de qui participe, qui est autour de la table. Il faut sortir de la négociation entre hauts responsables politiques et hauts responsables industriels qui vont s’entendre dans le cadre de partenariats qui ne sont jamais transparents. Ces questions de transparence, de contrôle démocratique, et aussi celles de travailler dans le cadre de normes écologiques et sociales qu’on estime bien ou, au minimum, acceptables, sont importantes à appréhender.

Comment peut-on tendre, de façon très concrète, assez rapidement, vers une nouvelle économie ?  Ces questions ont été soulevées à travers des travaux de la commission sénatoriale sur les pénuries, et aussi par le travail des experts désignés par la Première ministre. La modélisation sur laquelle nous travaillons nous permet de travailler ces questions et d’y apporter des réponses.

Trois expériences d’appropriation sociale des médicaments

Maurice Cassier, sociologue

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

 Je voudrais évoquer trois expériences d’appropriation sociale des médicaments : 1) au Brésil pour copier les médicaments contre le VIH/sida et les hépatites virales, à partir du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui ; 2) en Afrique du sud, où l’OMS a mis en place une plateforme de partage des technologies des vaccins à ARNm en juin 2021 pour copier le vaccin de Moderna ; 3) aux Etats-Unis avec l’expérience de Civica de regroupement des hôpitaux pour maîtriser les prix des médicaments et pour produire des médicaments génériques, en premier lieu l’insuline.

1. L’expérience brésilienne de copie des médicaments contre le sida et les hépatites virales (1990)

En 1971, le Brésil supprima toute propriété intellectuelle sur les inventions thérapeutiques. En raison de la suppression des brevets de produit et de procédé en 1971 et des politiques de subvention des opérations de « reverse engineering », l’industrie domestique créa de nouvelles capacités technologiques et industrielles dans les années 1980, lesquelles furent remobilisées en réponse à l’épidémie de VIH/sida pour produire des génériques, dans les années 1990. La non-brevetabilité des médicaments s’appliqua jusqu’en 1997, date à laquelle le Brésil rejoignit les accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle, qui prescrivaient des brevets de médicament.

L’intégration entre les besoins de santé et la politique industrielle fut particulièrement forte lorsque des grandes villes du Brésil puis le gouvernement fédéral entreprirent, sous la pression des associations de patients « VIH/sida » et de leurs avocats, de distribuer gratuitement des antiviraux, au début des années 1990. La tension sur les prix alors très élevés de l’AZT puis des trithérapies à acquérir pour les programmes de distribution universelle incita très vite les industriels brésiliens à réaliser le reverse engineering de ces médicaments. C’est un laboratoire privé, Microbiologica, qui mit le premier l’AZT sur le marché, avant qu’un laboratoire public du Nordeste ne le suive. C’est ensuite le laboratoire fédéral Farmanguinhos qui étendit cette politique de copie, en coopération étroite avec des laboratoires privés, qui fournissaient les principes actifs aux laboratoires publics chargé de produire les formulations, tandis que des universitaires épaulaient les uns et les autres.

En janvier 2001, le New York Times fait l’éloge du modèle brésilien de lutte contre l’épidémie de sida : « Look at Brazil ».

Cette politique repose tout d’abord sur un droit d’accès universel et gratuit des patients à des molécules nouvelles, les antirétroviraux, distribués via le système public de santé (le SUS).

Pour assurer la viabilité́ économique de cette politique, ce modèle s’appuie sur un programme de production nationale de ces molécules afin de remplacer les médicaments propriétaires par des médicaments génériques. Les prix des 8 ARVs copiés par les laboratoires brésiliens entraînent une forte baisse des prix (- 72%).

Cette politique de production locale mobilise les laboratoires publics et privés à capitaux nationaux. En 2004, le laboratoire public Farmanguinhos rachète une usine pharmaceutique à GlaxoSmithkline pour augmenter ses capacités de production (sa capacité de production quintupla).

Les laboratoires pharmaceutiques publics constituent un fait remarquable du Brésil. L’État se fait ici entrepreneur et producteur pharmaceutique. On compte 18 laboratoires publics qui produisent des médicaments génériques au stade de la formulation et 2 laboratoires publics de fabrication de vaccins qui réalisent la totalité de la production de vaccins du pays à destination du programme national d’immunisation.

La politique du ministère de la Santé ne s’arrête pas aux portes des laboratoires publics. Les années 2000 voient émerger une politique de consortiums et de partenariats de développement de produit (PDP), qui vise à associer systématiquement laboratoires publics et entreprises privées de chimie pharmaceutique, prioritairement à capitaux nationaux, pour produire sur place les principes actifs d’une liste de « médicaments stratégiques » établie par le ministère de la Santé.

Quels sont les mécanismes de ces PDP ?

L’établissement d’un PDP permet d’introduire une exception de prix comparée au prix mondial, soit une majoration d’au plus 25 %, dès lors qu’il supporte des investissements de R&D pour apprendre une nouvelle technologie, ainsi que la création de capacités industrielles, y compris en termes d’emplois, pour installer une production locale du médicament jugé stratégique.

Le capital public avancé pour produire des médicaments essentiels vise prioritairement à augmenter le pouvoir d’achat des dépenses publiques du ministère de la Santé, à l’opposé de l’optimisation de la profitabilité́ du capital privé financiarisé qui prélève des rentes de monopole sur les payeurs publics. Le conflit entre ces deux régimes de valorisation est apparu sur la scène internationale lorsque les génériques brésiliens ont fait baisser les prix des antirétroviraux contre le VIH/sida de 72 % entre 1996 et 2000 et, plus récemment, entre 2018 et 2019, lorsque le laboratoire fédéral a bénéficié́ de la suspension des brevets sur les antiviraux contre l’hépatite C de Gilead, pour produire une version générique du Sofosbuvir 75 % moins chère que le médicament propriétaire.

La globalisation des brevets de médicament à la faveur de l’installation de l’OMC en 1994 et le changement de la loi brésilienne en 1997 ont en grande partie fermé cet espace de la copie, sauf à obtenir des dérogations pour suspendre les brevets ou à engager des épreuves de force juridique pour faire tomber les molécules dans le domaine public. En 2007, Le gouvernement du Brésil a décidé d’une licence obligatoire pour défaire l’exclusivité de Merck sur un antirétroviral très disputé et rouvrir ainsi une fenêtre de copie. Des fabricants de génériques alliés aux associations de patients ont fait opposition pour faire tomber des brevets médicaments dans le domaine public, ce qui autorise leur libre copie.

2. La plateforme OMS de transfert des technologies ARNm dans les PED lancée en 2021 en Afrique du sud.

Pour contourner les monopoles sur les vaccins Covid à ARNm, l’OMS a entrepris en avril 2021 de créer une plateforme de transfert de ces technologies. En juin 2021, L’OMS et le Medicine Patent Pool ont passé un accord avec le gouvernement sud-africain et avec deux firmes semi-publiques de production de vaccins, Afrigen et Biovac, pour copier le vaccin de Moderna et ensuite l’industrialiser. L’Afrique du Sud est justement le site de l’implantation de la première plateforme de transfert choisie par l’OMS et le Medicine Patent Pool. Le pays a l’avantage d’offrir un environnement scientifique et industriel propice à l’implantation de cette plateforme. Celle-ci est un outil de la politique de production locale visant à renforcer l’autonomie du pays et de la région.

Pourquoi avoir choisi le vaccin Moderna plutôt que Pfizer-BioNTech ? Le vaccin Moderna a été choisi parce que, initialement, la firme a déclaré́ qu’elle n’opposerait pas ses brevets à d’éventuels imitateurs, du moins le temps de la pandémie. Sollicitée par les initiateurs du centre de transfert de technologie pour les vaccins à ARNm de l’OMS, Moderna a néanmoins refusé tout partage de sa technologie, ce qui a contraint les opérateurs du centre de transfert à se lancer dans un processus plus fastidieux de copie du vaccin. Reproduire un vaccin sans bénéficier d’échanges directs avec le détenteur du savoir industriel allonge notablement le délai de duplication.

La réplication de la technologie suppose de partir de l’information disponible dans les brevets et de reconstituer en laboratoire les savoirs non divulgués ou incomplètement décrits, mais qui sont indispensables pour reproduire la technologie protégée. Il faut aussi s’assurer de la similarité́ avec le vaccin de référence.

En février 2022, Afrigen et le directeur général de l’OMS ont annoncé la mise au point d’une version sud-africaine du vaccin de Moderna, en cours de validation. Il faut insister sur le fait que le centre de transfert de l’OMS permettra d’implanter une industrie intégrée de production, de la substance active du vaccin jusqu’à sa formulation et son embouteillage, ce qui est une nouveauté́ en Afrique.

Cette alternative, lancée en Afrique du Sud, se déploie dans un réseau de 14 laboratoires de pays en développement répartis dans plusieurs régions du monde, en Afrique (Égypte, Tunisie, Sénégal, Nigeria, Kenya), en Amérique latine (Argentine et Brésil), en Asie (Pakistan, Inde, Indonésie, Bangladesh), en Europe orientale (Serbie et Ukraine). Les technologies sont partagées à l’intérieur du réseau de laboratoires.

Ce réseau de laboratoires construit autour des vaccins ARNm devrait permettre la création de capacités de recherche et de production de vaccins, distribuées dans les différentes régions du monde qui ont souffert de l’inégalité d’accès aux vaccins du Covid‐19, avec la perspective, également, de nouvelles applications thérapeutiques à long terme.

Si la copie donne lieu à un apprentissage très efficace dans cet écosystème d’innovation sud-africain, elle allonge notablement le délai de production du vaccin, encore augmenté du délai des tests cliniques pour sa mise sur le marché. Les acteurs locaux estiment qu’une coopération active avec Moderna aurait permis de réduire ce délai par deux (12 mois au lieu de 24). De plus, la situation de la propriété́ intellectuelle est incertaine : si Moderna a annoncé qu’elle ne poursuivrait pas les contrefacteurs « le temps de la pandémie », elle conserve ce droit.

La reproduction d’une technologie peut également déboucher sur des innovations, de procédé́ ou de produit, ce qui pourrait favoriser le contournement du monopole légal de Moderna ou des négociations avec la firme américaine comme l’espère le directeur général du MPP : « Il est possible qu’Afrigen développe plutôt un vaccin à ARNm de deuxième génération qui, en fin de compte, ne viole pas les brevets de ces compagnies » (Charles Gore). Des universitaires sud-africains s’attachent actuellement à développer un vaccin ARNm original, plus facile à conserver et moins cher que les technologies existantes, qui pourrait alors ne plus tomber sous le coup des revendications des brevets. Le hub sud-africain serait alors tout à fait libre de redistribuer cette nouvelle technologie vaccinale dans tous les PED.

3.L’expérience Civica aux Etats-Unis

Civica est une organisation de santé non profitable, une sorte d’association à but non lucratif, montée par des hôpitaux, des cliniques et des mutuelles, soutenue également par des fondations du monde de la philanthropie et de la recherche. Elle représente aujourd’hui plus de 1000 hôpitaux, soit 1/3 de la capacité hospitalière des Etats-Unis.

Les membres de Civica bénéficient d’un tarif unique et commun sur les médicaments qu’ils achètent, quel que soit le volume acheté. En contrepartie, ils prennent un engagement ferme et pluriannuel sur les volumes achetés. Cette visibilité́ sur les produits que Civica doit se procurer, lui permet une négociation avec les fournisseurs sur une base de volumes garantis par des contrats pluriannuels à prix fixe.

Les produits visés par Civica sont des produits en risque de rupture fréquente, critiques pour les patients, dont le prix a augmenté de plus de 50% au cours des 3 dernières années ou qui ne sont vendus que par un petit nombre de vendeurs.

Civica s’est également doté d’une usine pour intervenir au stade de la production des médicaments génériques. L’usine de Civica coopère avec un fournisseur de principe actif, Phlow corporation, qui a pour tâche de relocaliser aux États Unis une production de principes actifs utilisant les meilleurs procédés de fabrication, tandis que l’usine de Civica effectue le travail de formulation et de conditionnement.

Civica a passé un accord avec le gouvernement de Californie pour produire de l’insuline biosimilaire avec une réduction de prix de 90% sur les prix de référence ($30 l’unité au lieu de $300). Le gouvernement de Californie a investi 50 M $ pour le développement, la production et la distribution de l’insuline à bon marché de Civica.

C’est une expérience très originale d’auto-organisation des hôpitaux pour fonder une Compagnie pharmaceutique non profitable et intervenir sur la chaine d’approvisionnement, sur la production et sur les prix des médicaments génériques.

Le pôle socialisé du médicament, un projet politique global.

Frédérick Stambach, médecin généraliste

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Introduction

L’article que nous avons écrit avec mon ami et confrère Julien Vernaudon, médecin gériatre, s’intitulait “Pour un pôle socialisé du médicament” (paru initialement dans la revue Pratiques repris ensuite par le site Le Vent Se Lève[1]). Il s’inscrivait dans un contexte particulier puisque nous étions en pleine pandémie de COVID-19, qui avait montré l’état dramatique de notre industrie sanitaire.

D’ailleurs, même le président Macron avait été obligé de l’admettre devant plus 30 millions de français lors d’une allocution. Nous savons, trois ans après, ce que beaucoup d’entre nous savaient déjà en 2020 : il ne s’agissait que d’un discours complètement creux, du Macron pur sucre.

Les différentes interventions, ce matin, ont permis de mettre en évidence, à plusieurs niveaux, la financiarisation des grands groupes pharmaceutiques, notamment de Sanofi, comme le reste de l’économie occidentale en général et française en particulier. Il s’agit d’une tendance structurelle de fond du capitalisme néolibéral débutée, à partir des années 70, qui s’est accélérée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, pour s’épanouir pleinement sous la présidence Hollande puis Macron.

Nous oublions souvent que la France a été un grand pays industriel ayant employé jusqu’à 30% de la population active, contre 15% actuellement. L’industrie pharmaceutique a suivi la même pente, en France comme en Europe, puisque dans les années 90, 80% des principes actifs étaient produits en Europe, contre 20% actuellement, nous rendant dépendant de pays tiers, en particulier la Chine et l’Inde, ce qui n’est pas sans créer de grandes inquiétudes stratégiques, dans un contexte où les tensions internationales montent (en particulier le conflit sino-américain) et où les populations européennes vieillissent, entraînant de plus en plus de pathologies chroniques nécessitant des traitements réguliers. En cas de conflit commercial ou militaire, la dépendance pharmaceutique des pays occidentaux (et de la France dans le cas qui nous occupe) à l’égard du reste du monde nous place dans une position de grande vulnérabilité.

Si nous nous trouvons dans cette situation en 2023, c’est parce que des décisions politiques extrêmement néfastes pour notre tissu productif ont été prises avec constance depuis 1983 et entérinés dans les traités européens. En revanche, ces décisions étaient parfaitement adaptées à l’objectif réel qui était poursuivi : la financiarisation de notre économie.

Pour que la finance, qui n’avait qu’un rôle négligeable dans le capitalisme d’après-guerre, puisse devenir dominante et imposer ses desiderata à toute la société, il est nécessaire d’évoluer dans un régime de libre-échange intégral, en particulier une libre circulation des capitaux. Cette liberté donne aux acteurs de marché, donc in fine aux actionnaires un pouvoir démesuré, tant sur le politique que sur les travailleurs. Cela permet de rentrer dans l’ère de la théorie de la valeur actionnariale qui a été évoquée ce matin plusieurs fois, ce qui signifie que toute la stratégie de l’entreprise est mise au service de l’augmentation de la valeur des actions, sans aucune autre considération, en particulier aucune considération de santé publique ou d’intérêt général pour le pays.

Il est nécessaire également d’avoir une monnaie forte et surévaluée (on considère que l’euro est actuellement surévalué [en 2023 –ndlr] d’environ 30 % par rapport à la productivité de l’industrie française). Cette surévaluation permet de justifier ensuite les délocalisations ou les fermetures d’unités de production en France. Toute dévaluation étant rendue impossible par la monnaie unique, dont la banque centrale est indépendante.

Il faut enfin “discipliner” les gouvernements par la dette, en obligeant les États à s’endetter auprès des marchés financiers[2]. Les États sont alors dans l’obligation de respecter les demandes de leurs créanciers, aiguillés par les fameuses agences de notation. C’est un point capital dans la compréhension de la situation actuelle car les demandes des acteurs de marchés ne sont pas compatibles avec la démocratie et les aspirations populaires en général. Par exemple, attaquer la protection sociale est une bonne chose du point de vue des acteurs financiers car cela ouvre des perspectives de profits (assurances privées, retraite par capitalisation, etc.) et donc cela rend les titres de la dette française attractifs, avec un taux d’intérêt bas. En revanche, augmenter la protection des travailleurs en améliorant le système de santé public ou en renforçant les retraites par répartition est très mal vu et entraînera une réaction inverse et des difficultés, pour le trésor public, à emprunter sur les marchés.

Cette architecture économique met les États européens, donc la France, dans un état de soumission complète vis à vis des marchés financiers. Ces structures sont agencées pour favoriser les intérêts des grands groupes trans-nationaux qui se portent d’ailleurs à merveille, avec des profits record en 2022. Ce n’est pas un effet collatéral mais bien le but qui était recherché par les différents gouvernements, ces contraintes structurelles sont dorénavant sanctuarisées dans les traités européens.

Il est donc important d’avoir cela en tête avant d’aborder la suite car il faut bien comprendre qu’un gouvernement qui aurait le projet de créer un pôle socialisé du médicament, tel que nous l’entendons, se heurterait très durement à ces contraintes. En effet, les acteurs financiers l’analyseraient, à juste titre d’ailleurs, comme un acte d’hostilité et utiliseraient tous les moyens à leur disposition pour s’y opposer (chantage à la dette notamment).

Il faudra donc, en parallèle, avoir un plan global pour se protéger des attaques financières, qui seront très violentes, avec toute une panoplie de mesures graduelles : protectionnisme, sortie ou suspension des traités et de la monnaie unique, réactivation des circuits du trésor, afin de libérer l’État de sa tutelle des marchés financiers…

Un projet de pôle socialisé du médicament implique un très haut degré de conflit politique, dont il faut avoir conscience. Il s’agit d’un projet politique global, qui demandera une implication d’une majorité de la population, préparée aux enjeux et aux difficultés. Car les acteurs du capitalisme financiarisé ne laisseront pas un projet menaçant directement les profits et surtout la puissance politique des grands groupes pharmaceutiques (parmi les plus rentables du monde) se développer tranquillement sans se défendre. Ils feront tout pour le faire capoter.

Sortir les produits de santé du marché : le pôle socialisé du médicament 

Notre proposition de pôle socialisé du médicament ne se veut pas en opposition avec la proposition de pôle public du médicament. Nous souhaitions plutôt pousser le concept d’appropriation sociale de la production de médicaments en soulignant les différences qui existent avec le projet de loi proposant la création d’un pôle public du médicament déposé par le groupe LFI lors de la crise COVID[3].

Dans les deux cas, le principe de base reste le même, il s’agit de sortir la production des produits de santé des logiques de marché, à l’aide d’une entité publique de production. Mais autour de ce principe, nous allons voir qu’il existe quelques différences qu’il nous a paru très fécond de mettre en évidence, car nous espérions ainsi provoquer un débat autour de ces questions. C’est souvent entre les partisans d’alternatives que se nouent les débats les plus intéressants, à l’instar des économistes : écouter un débat entre un orthodoxe et un hétérodoxe est souvent frustrant, en revanche un débat entre deux hétérodoxes est passionnant.

Les différences d’approche permettent de clarifier les positions et d’affiner les propositions alternatives, permettant de mettre en lumière des lignes de force politiques sous-jacentes et rarement explicitées.

Tout d’abord, les objectifs d’une telle entité publique devraient être la recherche fondamentale et clinique, la production de produits de santé et leur distribution à l’échelle locale, jusque dans les officines. En particulier, il faudra que tous les médicaments dont les brevets sont tombés dans le giron public puissent être produits.

Ces objectifs sont partagés par les deux concepts, en revanche il existe des modalités différentes concernant la gouvernance.

Dans le projet de loi du pôle public du médicament, il s’agit d’une administration publique « classique », avec un directeur qui est nommé par le pouvoir en place, avec une structure très verticale, assez typique des institutions publiques françaises. Dans notre proposition de pôle socialisé du médicament, nous souhaitons nous inspirer des institutions de la sécurité sociale lors de sa création et jusqu’en 1967. C’est à dire, une gouvernance plus horizontale, incluant toutes les parties prenantes : professionnels de santé, chercheurs, usagers, État. Il faudrait ensuite décliner cette configuration de l’échelle nationale jusqu’à l’échelle locale, c’est à dire départementale, exactement comme la Caisse nationale d’assurance maladie, qui est représentée par les CPAM dans chaque département.

Les représentants de chaque groupe devront être élus par leurs pairs, instaurant ainsi un début de démocratie sociale dans la gouvernance. Cette architecture est une protection contre les attaques potentielles, comme nous avons pu le voir avec la vente de la plupart des entreprises publiques françaises. Un tel pôle socialisé serait beaucoup plus difficile à dépecer, notamment si les citoyens ont réussi à s’en emparer.

Le financement d’un pôle socialisé du médicament devrait se faire, selon nous, grâce au principe de la cotisation/subvention. Nous nous inspirons là encore de ce qui a fonctionné pour la construction de tous les CHU de France dans les années 6070. D’après la proposition de loi évoquée, le pôle public du médicament serait financé par l’État et l’impôt. Ceci fait une différence politique très profonde, qu’il est important de bien comprendre. Si l’État doit financer le pôle public, cela signifie que, dans l’architecture actuelle du circuit monétaire, à un moment ou à un autre, il faudra en passer par des titres de dette publique contractés sur les marchés financiers, ce qui serait interprété par les agents de ces marchés comme un motif d’augmentation des taux d’intérêt et aboutirait in fine à une perte de souveraineté sur le pôle public du médicament.

En passant par la cotisation/subvention, comme cela a été fait dans le passé, nous court-circuitons le circuit bancaire actuel, parfaitement toxique, ce qui permet une reprise de notre souveraineté économique, actuellement confisquée.

Pour rester sur le versant économique, un gouvernement qui souhaiterait élaborer un tel projet se retrouverait devant des choix économiques assez radicaux. Dans l’histoire, il n’existe pas de pays qui aurait réussi à créer ou recréer une industrie publique, quelle qu’elle soit, dans un contexte de libre-échange intégral. D’autant que, dans notre cas, c’est précisément la liberté totale de mouvements des capitaux et des marchandises (sanctuarisée dans les traités de l’UE comme je l’ai dit en introduction) qui a détruit nos capacités de production. Il faudra donc protéger le pôle socialisé du médicament naissant (ou le pôle public) afin qu’il puisse se développer à l’abri de la concurrence et des attaques des grands groupes pharmaceutiques, qui se sentiront menacés, à très juste titre puisque l’un des objectifs est de créer un véritable rapport de force avec eux pour leur faire perdre une partie de leur pouvoir de nuisance. Avoir une capacité de production publique autonome permettrait, par exemple, d’activer la menace de la licence d’office comme cela a été expliqué dans les interventions de ce matin. En régime capitaliste, pour qu’un État puisse se faire respecter des grands groupes, il faut qu’il ait des capacités de production autonomes.

Ainsi, la création d’un pôle socialisé du médicament provoquerait un renchérissement du prix des médicaments génériques, actuellement produits au plus bas coût social et écologique. Cependant, comme l’a souligné Maurice Cassier dans les différents exemples qu’il a donnés[4], il ne faut pas s’arrêter au seul prix des médicaments mais regarder toute la chaîne de valeur. La création d’usines de production provoquerait de l’emploi bien rémunéré, donc une augmentation du nombre de cotisants ainsi qu’une baisse du chômage. Tout cela entraînant une augmentation de richesses qui contrebalancerait la hausse du prix des génériques pour la collectivité.

De plus, le phénomène inverse s’observerait concernant les molécules les plus récentes donc les plus onéreuses. Actuellement, le circuit financier qui permet l’apparition de nouveaux (onéreux) traitements est marqué par une classique privatisation des profits. Les nouveautés sont souvent issues de la recherche publique, rachetées ensuite par des start-ups qui sont ensuite introduites en bourse puis accaparées par les grands groupes pharmaceutiques. Ces derniers commercialisent ensuite les traitements au prix fort selon un processus de négociation opaque, qui n’a rien à voir avec le coût de production mais plutôt avec le rapport de force (très défavorable) qui existe entre les États et les grands laboratoires pharmaceutiques[5]. En ce qui concerne les pays occidentaux, ce sont les systèmes de santé publics qui assurent l’achat de ces traitements, ce qui signifie que les grands groupes profitent de l’argent public à deux moments clés : au moment de la recherche fondamentale, puis lorsqu’il faut payer les traitements, en empochant au passage des bénéfices colossaux.

C’est de cette véritable spoliation que permet de sortir un pôle socialisé du médicament, en permettant à la recherche publique d’avoir un débouché industriel non lucratif et en modifiant le rapport de force lors des négociations avec les grands groupes qui détiennent les brevets de molécules innovantes. La menace de la licence d’office deviendrait une réalité concevable tirant à la baisse les prix des nouveaux traitements[6].

Pour terminer, j’ajoute que cette proposition de pôle socialisé du médicament s’intègre pour nous dans un projet plus global de service public de santé territorial. Il s’agit d’une série de trois articles publiés sur le site ReSPUBLICA dont le pôle socialisé serait l’une des composantes[7].

A partir de l’analyse détaillée de l’évolution démographique des différentes professions de santé (médecins, sage-femmes, dentistes, infirmiers, kiné), nous concluons que la pénurie (en particulier médicale) est irréversible jusqu’en 2035. Nous devons donc libérer du temps de soins au « stock » de soignants dont nous disposons et permettre aux professionnels qui le souhaitent de se libérer du paiement à l’acte et de pouvoir être salariés, afin de limiter au maximum la perte de temps liée au travail administratif. Il est actuellement estimé entre 15 et 20 %, ce qui est énorme. Il s’agirait, encore une fois en se basant sur l’architecture de la Sécurité sociale version 46, de lancer la construction de centres de santé partout sur le territoire (pilotée par l’équivalent des caisses départementales de Sécurité sociale dans une version démocratisée), pour permettre aux professionnels libéraux de trouver facilement un poste salarié et de gagner ainsi en temps de soins.

Dans notre proposition, nous souhaitons intégrer les pharmaciens et tout le personnel des officines à ces centres de santé. Ces officines publiques pourraient s’approvisionner via le pôle socialisé du médicament. Nous souhaitons également permettre aux métiers du lien, tels que définis par la proposition de loi présentée par François Ruffin[8], d’intégrer les centres de santé leur conférant ainsi un statut digne de leur utilité sociale.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, un pôle socialisé du médicament est un projet global, hautement politique, qui fait intervenir tous les aspects de notre vie publique : la démocratie, la macro-économie, la géopolitique et la santé publique, dans un domaine industriel stratégique, qui plus est pour des sociétés occidentales vieillissantes. Il demanderait une volonté et une vision politique qui seraient capable de redonner espoir à des citoyens plutôt habitués à se battre pour tenter de limiter la casse de leurs droits sociaux, sans grand succès d’ailleurs.

Il est également souhaitable de l’intégrer dans un projet politique plus global de notre système de santé, en voie d’effondrement si les logiques en cours se maintiennent.

Enfin nous estimons qu’un tel projet serait de nature à mobiliser des affects positifs beaucoup plus puissants que ceux mobilisables pour tenter de défendre ce qui existe, nous permettant de repasser à l’offensive. Il oblige à clarifier un certain nombre de positions, à prendre conscience des grands enjeux macro-économiques actuellement confisqués par l’UE et à remettre sur le devant de la scène nos expériences historiques de démocratie sociale. Nous pensons qu’il devrait être le cœur d’un programme de gauche pour avancer vers la République sociale que nous appelons de nos vœux.

[1]https://pratiques.fr/Pour-un-pole-socialise-du-medicament et https://lvsl.fr/pour-un-pole-socialise-du-medicament/

[2]Benjamin Lemoine, La démocratie disciplinée par la dette. La découverte, 2022

[3]https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/pole_public_medicament

[4]Maurice Cassier, Il y a des alternatives. Une autre histoire des médicaments (XIXe-XXIe siècle), Seuil, 2023

[5]Olivier Maguet, La santé hors de prix : L’affaire Solvaldi, Raisons d’Agir 2020

[6]Frédéric Pierru, Frédérick Stambach et Julien Vernaudon, Les brevets, obstacles aux vaccins pour tous, Le Monde diplomatique, Mars 2021

[7]Frédérick Stambach et Julien Vernaudon, Pour un service public de santé territorial en trois volets, journal en ligne ReSPUBLICA, Mai-juin 2022

[8]https://francoisruffin.fr/pour-la-reconnaissance-des-metiers-du-lien/

La réponse du député François Ruffin au PDG de SANOFI

Une de nos lectrices a trouvé, dans sa revue de presse, cette réaction du député François Ruffin, interviewé par BFM et RMC, interrompu en direct par le PDG de SANOFI France. Nous partageons car ce courrier confirme ce que nous avons à plusieurs reprises dit dans nos articles consacrés au groupe pharmaceutique français. 
Sur le blog de François Ruffin

De : François Ruffin,
Député, 1ère circonscription de la Somme

A Monsieur et Madame :
Paul Hudson, directeur général de Sanofi
Audrey Derveloy, présidente de Sanofi France

Copie à :
Apolline de Malherbe
2 Rue du Général-Alain-de-Boissieu
75015 Paris

Mesdames, messieurs, les dirigeants de Sanofi (et Madame Apolline de Malherbe),

C’est la magie du direct, paraît-il. Jeudi dernier, de bon matin, sur BFM-RMC, Apolline de Malherbe m’interrompait, en plein entretien : « Sanofi écoute. Ils nous écoutent, et ils viennent d’envoyer un message, à l’instant, pour vous répondre, en direct, sur RMC et BFM TV. Pour vous répondre que la production des médicaments Sanofi, pour 40 %, se fait sur le sol français… »Donnons nos chiffres, d’abord, avant de contester les vôtres.

Sanofi, ces dix dernières années, c’est 4 000 postes de chercheurs supprimés dans le monde, 2 000 en France.
Sanofi, c’est sept sites de « R&D » vendus ou fermés, à Evreux, Porcheville, Bagneux, Rueil, Strasbourg, Toulouse, Alfortville, plus Chilly-Mazarin (en cours). Sanofi, ce sont six sites de production fermés ou vendus, à Elbeuf, Neuville-sur-Saône, Vertolaye, Colomiers, Labège, Romainville.
Sanofi, c’est l’abandon de secteurs vitaux comme les antibiotiques, la cardiologie, la neurologie, la maladie d’Alzheimer, le diabète…
Sanofi, c’est un bâtiment flambant neuf du centre de recherche de Montpellier, 107 millions d’euros, détruit la veille de sa mise en service, pour un « changement de stratégie » d’entreprise.
Sanofi, c’est, depuis trois ans, 350 brevets vendus à la concurrence. Parce que, faute de rechercher et de trouver, faute d’innover, on peut encore solder les bijoux de famille pour augmenter la « marge opérationnelle brute».Sanofi c’est, maintenant, l’activité d’approvisionnement, acheminer les médicaments jusqu’aux officines, dans des conditions techniques parfois difficiles, dans des frigos spéciaux, c’est cette activité qui va être externalisée : cédée à… DHL !

Qu’on ne s’y trompe pas : ce réquisitoire, je le dresse par amour de Sanofi. Eh oui. Sanofi, longtemps public, et qui prospère encore sur l’argent public, Sanofi devrait être notre instrument de souveraineté sur le médicament. Un outil au service du pays, de ses citoyens. A la place, médiocrement, banalement, Sanofi est avant tout au service de ses actionnaires, dépensant chaque année des milliards en dividendes et en rachats d’actions.

Et encore, je ne mentionne pas les scandales sanitaires.
La Dépakine : 35 000 enfants atteints de malformations ou de troubles neuro-développementaux, qui souffrent d’autisme, parce que vous n’avez pas indiqué à leurs mères, enceintes, les risques qu’elles encouraient. Alors que vous saviez. Et derrière, votre refus d’indemniser les familles, de prendre votre part de responsabilité, malgré les milliers de dossiers constitués auprès de l’Oniam, les décisions de justice, les demandes des autorités, jusqu’à celle de la ministre.
Mourenx, votre usine des Pyrénées-Atlantiques, qui a rejeté pendant quarante ans dans l’atmosphère jusqu’à 190 000 fois plus que le maximum autorisé de bromopropane et de valproate de sodium, deux substances cancérigènes et mutagènes.

Le Lantus, le traitement à l’insuline, contre le diabète, que vous vendez à 1300 dollars pour un mois aux Etats-Unis, et que les malades ne peuvent pas s’offrir. Des parents ont déposé les cendres de leur enfant devant votre siège, là-bas.

Le Dengvaxia, vaccin contre la dengue, et ses effets secondaires qu’on accuse d’avoir tué des centaines d’enfants. Au point que les Philippines vous attaquent en justice, jusqu’aux mises en examen, dans cette affaire, de six de vos dirigeants.

Votre fiasco dans la crise du Covid, enfin, incapables de trouver un vaccin, un remède, à cause de vos années de retard dans la recherche sur l’ARNM. Et le gouvernement français vous a récompensé, pour ce naufrage, pourtant, avec des centaines de millions de subventions…

C’est qu’il faudrait dire votre poids politique. Sanofi rime avec Macronie. Votre ancien PDG, Serge Weinberg, était le parrain en affaires d’Emmanuel Macron. Qui, depuis l’Elysée, lui a bien rendu, avec légion d’honneur et consorts, allant jusqu’à héberger dans son palais de la République une réunion du Dolder, le lobby de Big Pharma. Cette influence, dans son « Journal », l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn la déplore : devant le cynisme de votre firme, le mépris de l’intérêt général, elle va jusqu’à souhaiter un « pôle public du médicament ». Qui n’était pas vraiment dans son tempérament.

Mon prêche, vous le connaissez depuis sept années, mais c’est en général dans le désert, sans écho – du moins de votre côté.
Jusqu’à ce jeudi matin, et « la magie du direct », donc.

Que nous racontiez-vous, dans le communiqué transmis « en direct, à l’instant », à Apolline de Malherbe ? On vous cite :

« 60 à 70% de notre production se fait en Europe, dont 40 % en France. 30 à 40% en dehors d’Europe (surtout US et Canada). 5% de nos principes actifs viennent d’Asie seulement. Cet été on a annoncé 1 milliard d’euros d’investissements dans l’outil industriel en France sur les 3 prochaines années. On est le 1er investisseur en R&D en France tous secteurs confondus : 2,5 milliards par an en France. »

Allons-y, donc, pour le fact-checking.
Pour une fois qu’on peut inverser les rôles…

« 60 à 70% de notre production se fait en Europe, dont 40 % en France. »

D’où sortez-vous ces chiffres ? On l’ignore. Car depuis des années nous demandons, justement, que soit faite la transparence sur la filière du médicament. Et notamment : où produisez-vous, quelles molécules, en quelles quantités ? Alors, poursuivez sur votre lancée : informez les parlementaires, les pouvoirs publics, les salariés et leurs syndicats, les associations de patients, sur ces données. Et qu’on puisse en discuter.

Et puis : qu’entend-on par « production » ?

Il y a, d’une part, la production des principes actifs, les molécules, la matière première essentielle à la confection d’un médicament (le « vrac », comme on dit dans le jargon). Là, ce que l’on sait, c’est que Sanofi a fermé tous ses sites en France, ou presque : il n’en reste plus que deux, à Aramon et Sisteron, qui subissent eux aussi des fermetures d’ateliers.

Et puis, d’autre part, il y a la production dite « pharmaceutique » : récupérer le vrac, la matière première, le mettre dans des tablettes, et apposer le tampon Sanofi dessus.
En d’autres termes : la « production » que vous évoquez, c’est surtout de la mise en boîte.
Car la fabrication de principes actifs, elle, a bel et bien été ravagée.

« Cet été, on a annoncé 1 milliard d’euros d’investissements dans l’outil industriel en France sur les 3 prochaines années. »

Là encore, faisons, ensemble, la division, même de tête : 1 milliard sur 3 années, cela revient à 330 millions d’euros par an. C’est, de suite, moins impressionnant.
Surtout, qu’est-ce, pour vous ? Votre chiffre d’affaires annuel s’élève à 43 milliards. Votre bénéfice net consolidé à plus de 10 milliards. Les dividendes aux actionnaires, à 5,5 milliards. Bref, vous allez investir 3,3 % de votre bénéfice dans l’outil industriel en France : cela mérite-t-il vraiment des applaudissements ?

« On est le 1er investisseur en R&D en France tous secteurs confondus : 2,5 milliards par an en France. »

Là encore, reste à savoir ce qu’on entend par « investir dans la recherche et le développement »
Car quelle est votre grande astuce, votre tour de passe-passe géant, depuis une dizaine d’années ? Faire passer pour de la « R&D » le fait d’acheter, très cher, des brevets clé en main à des start-up. Ou alors, nouer des « partenariats ».

Tandis que, dans le même temps, vous fermez très concrètement vos sites de « Recherche & développement ». Alors même que vous avez perçu, depuis dix ans, plus d’un milliard d’euros de l’Etat en Crédit impôt recherche – sans même parler du CICE et autres subventions.

On pourrait poursuivre ainsi longuement.

Mais on a une meilleure idée, que nous a soufflée, en fait, Apolline de Malherbe en personne.
« Moi, je suis prêt à avoir une discussion avec les dirigeants de Sanofi sur le sujet, je lançais, à l’antenne, en guise de conclusion.
– Et moi, je suis prête à l’organiser, répondait la présentatrice.
– Eh bien, organisez-la ! »

Alors allons-y : débattons, au grand jour, en pleine lumière, d’un sujet qui concerne tous les Français ! La production qui se balade à travers le monde, soumis aux aléas du marché et au profit des actionnaires ? Ou un grand pôle public du médicament, organisé, contrôlé par la démocratie, et au service des citoyens ?

Madame de Malherbe, la balle est dans votre camp !

Bien à vous,
François Ruffin.