TRIBUNE
En tant que professionnels de santé engagés pour une pharmacieclinique, écologique et solidaire, Eliza Castagné et Antoine Prioux sont aujourd’hui sanctionnés pour avoir pratiqué la dispensation à l’unité, une mesure de bon sens face aux pénuries et au gaspillage.
Qui n’a pas été confronté à l’absence d’un médicament prescrit par le médecin dans sa pharmacie habituelle ?
Médicaments en tension, risques de ruptures sont hélas toujours d’actualité, malgré quelques mesures conjoncturelles qui ne s’attaquent pas aux causes profondes de ces pénuries1.
Ainsi, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a introduit, pour éviter le gaspillage des médicaments, la possibilité d’une Dispensation à l’unité (DAU) en officine, lorsque leur forme pharmaceutique le permet. Un décret du 30 janvier 2022 en a défini les modalités.
Plus récemment, le parlement a voté l’obligation de la DAU en cas de pénuries de médicaments, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024.
Pourtant, deux pharmaciens exerçant sur le plateau de Millevaches, au cœur d’un désert médical, viennent d’être lourdement sanctionnés pour avoir dispensé des médicaments à l’unité. Deux professionnels, qui priorisent la satisfaction des besoins de leurs patient·es, sont condamnés à une interdiction d’exercice, durant 6 mois dont 4 avec sursis, par le conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine.
Cette sanction très lourde nous interroge sur la réponse apportée par le conseil de l’ordre des pharmaciens face à 2 professionnels très investis.
S’il est essentiel de préserver la sécurité des patient·es, il est tout aussi important d’adapter nos pratiques à la réalité des risques de tensions ou de ruptures de médicaments.
Aussi, afin de vérifier le bien-fondé d’une sanction jugée bien lourde face aux manquements de ces deux pharmaciens, il nous paraît indispensable de répondre au moins à ces 2 questions avant toute décision.
Ont-ils bafoué la santé de leurs patient·es ? En ont-ils tiré un profit financier ?
Eliza Castagné à Bugeat et Antoine Prioux à Sornac fournissent, depuis leurs officines respectives, le compte exact de cachets aux patient·es quand cela est nécessaire, n’hésitant pas à allonger leur temps de travail.
Elle et il facture la boîte une seule fois, les doses restantes étant données gratuitement. Le numéro de lot et les dates de péremption sont soigneusement conservés et indiqués aux patient·es afin d’assurer la traçabilité des médicaments.
Ces deux praticiens, en phase avec les besoins du terrain, répondent, avec beaucoup de rigueur, à des enjeux de santé publique,
Avoir des professionnels, qui s’inscrivent dans une démarche de prévention, est une chance dans une situation où les tensions d’approvisionnement des médicaments sont majeures et touchent de plus en plus de molécules.
À l’heure où nous constatons que de plus en plus d’officines ne trouvent pas de repreneurs, sanctionner des pharmaciens, dont la démarche tend à enrayer déserts médicaux et pharmaceutiques, est une aberration.
Nous apportons tout notre soutien à Eliza Castagné et Antoine Prioux qui font appel de cette condamnation et nous demandons la levée immédiate de cette sanction.
- Cf « Pénurie de médicaments : trouver d’urgence le bon remède » Commission d’enquête sénatoriale du 4 juillet 2023 ↩︎
Signataires
Laurence Cohen, sénatrice 2011-2023
Pr François Alla, professeur de santé publique ( Université de Bordeaux)
Dr Émilie Auditeau, maître de conférences des universités
Thierry Bodin, ancien responsable syndical de Sanofi
Patrick Bodin, ancien responsable syndical chez Guerbet
Céline Brulin, sénatrice de la Seine-Maritime
Bernard Dubois, ancien salarié de Sanofi, syndicaliste
La FNIC-CGT ( Fédération des Industries Chimiques)
Pr André Grimaldi, professeur de médecine émérite CHU Pitié Salpêtrière
Laurence Harribey, sénatrice de la Gironde
Gaëlle Krikorian, sociologue
Annick Lacour, technicienne de recherche retraitée,
Fabien Mallet, coordonnateur CGT Sanofi
Éliane Mandine, membre du collectif « Médicament Bien commun »
Danielle Montel, ancienne responsable syndicale Roussel-Uclaf
Valérie Peugeot, ancienne commissaire à la CNIL en charge des données de santé
Jean-Louis Peyren, secrétaire FNIC-CGT, référent industrie pharmaceutique
Émilienne Poumirol, sénatrice de la Haute-Garonne
Danièle Sanchez, ancienne responsable syndicale EDF