Blog

L’ami américain des Big Pharma

Ayant à peine regagné le bureau ovale début 2025, le président Trump a déclenché une guerre commerciale tous azimuts à l’échelle mondiale, utilisant comme une arme, sans modération et selon son bon vouloir, l’augmentation des droits de douane à l’importation des marchandises. Il s’autorise tous les coups, il piétine tous les accords, bilatéraux ou conclus dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), tels ceux exemptant les médicaments de toutes taxes, prenant en compte qu’ils sont des biens essentiels à la santé publique. Peu importe que les équilibres économiques soient mis à mal, le président Trump déclame que le monde entier s’est enrichi sur le dos des Américains, qu’est venue pour le monde entier l’heure de rembourser afin que « Make America Great Again » (MAGA – l’Amérique doit être de nouveau grande). Le premier à avoir utilisé ce slogan est Ronald Reagan dans les années 1980 ; cette politique n’est donc pas née avec l’arrivée de Donald Trump à la maison blanche, mais ce dernier l’applique avec plus de déterminisme et de brutalité que ses prédécesseurs.

Pour l’Europe ce sera une imposition de 20% de droits de douane sur les produits importés aux US. Dans un premier temps, les médicaments y échappent, puis D.Trump décide que seuls les médicaments génériques en seront exemptés, …ou peut-être pas. Il justifie ses décisions par la nécessité de relocaliser la production pharmaceutique sur le sol américain, ce qui créerait richesse et emplois sur son territoire. Il est vrai que les États-Unis ont importé pour près de 250 milliards de dollars de produits pharmaceutiques en 2024 (contre environ 100 milliards d’exportations). Et que les principes actifs de 83 % des génériques les plus prescrits aux États-Unis sont fabriqués à l’étranger, ainsi que ceux de 92 % des 111 antibiotiques les plus consommés[i]

Les Big Pharma (BP), un temps déstabilisées, moins par les annonces de D.Trump que par leurs imprévisibilités – faisant un jour, défaisant le lendemain, l’économie n’aime pas l’incertitude – se ressaisissent vite. Leur réaction est « même pas mal » au vu des cours de la bourse qui se stabilisent rapidement. Les firmes font cependant une démonstration d’allégeance au président américain, d’une part parce que le marché pharmaceutique états-unien est bien trop important pour se permettre de le bouder. Les États-Unis concentrent, à eux seuls, près de la moitié des ventes mondiales en valeur de médicaments, soit 1 607 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023. D’autre part D.Trump sait se montrer généreux : l’impôt sur les sociétés est abaissé de 21 % à 15 %, et les délais d’implantation des usines de médicaments sont raccourcis par une « simplification » administrative. Les fabricants de médicaments rendent public leur plan d’investissement sur le sol américain, la plupart « dans les tuyaux » depuis des mois. Qu’importe, les chiffres impressionnent : en l’espace de six mois, près de 350 milliards de dollars d’investissements dans le pays d’ici à 2030 sont annoncés.

En Europe, les Big Pharma n’hésitent pas à utiliser cette guerre commerciale comme un argument de pression sur l’Union européenne (UE), en vue d’obtenir des avantages supplémentaires pouvant satisfaire les attentes des marchés financiers. Leurs tentatives se heurtent constamment à la régulation imposée par les gouvernements de l’UE pour maintenir l’équilibre financier de la protection sociale. Trente-deux patrons de labos (dont Pfizer et Sanofi) ont envoyé un courrier à la présidente de la Commission européenne pour la sommer de reconsidérer la politique de prix des médicaments, d’assouplir les normes de régulation et les contraintes environnementales, de revoir à la baisse la fiscalité et de ne pas remettre en cause la durée de la propriété intellectuelle[ii]. Leurs revendications sont assorties d’un avertissement d’«exode» massif des investissements vers les États Unis pouvant atteindre quelque 100 milliards d’euros (soit 60 % des investissements prévus).

Le Royaume Uni fera les frais de cette réorientation des flux d’investissements en fonction des meilleures offres économiques. Profitant de la visite diplomatique en septembre du président américain, le géant britannique GSK annonce un investissement de 30 milliards de dollars (25,4 milliards d’euros) aux États-Unis dans les cinq prochaines années. Dans le même temps le groupe pharmaceutique américain Merck et le groupe anglo-suédois AstraZeneca, respectivement renoncent à un investissement de 1 milliard de livres sterling (1,15 milliard d’euros) à Londres pour l’un, et de 200 millions de livres sterling (230 millions d’euros) à Cambridge pour l’autre[iii]. Coup dur pour le gouvernement britannique, griserie pour D.Trump et avertissement pour le reste de l’Europe.

Face au chantage, la Commission européenne choisit d’abord de contenir l’incendie allumé par la hausse des droits de douane. Fin août, Washington et Bruxelles finalisent un accord commercial, jugé inéquitable pour l’UE, qui prévoit une limitation des tarifs douaniers à l’importation à 15%, y compris pour les produits pharmaceutiques. Cet accord protègerait les médicaments européens contre toute nouvelle surtaxe douanière. Bruxelles a ainsi assuré qu’ils seraient épargnés par la nouvelle salve de droits de douane pouvant aller jusqu’à 100 %, annoncée le 25 septembre 2025 par D.Trump. Mais cet accord ne protège pas des conséquences de la baisse des prix des médicaments aux États-Unis que le président américain a promis à ses concitoyens durant la campagne électorale. Aux USA, les laboratoires fixent librement leur tarif et négocient individuellement avec les assureurs sans plafond imposé par l’État. Le résultat est que les prix y sont trois fois plus élevés que dans les autres pays développés.

Dans sa logique MAGA, D.Trump accuse les gouvernements étrangers de tenter d’obtenir des prix déraisonnablement bas, qui seraient compensés par une facture plus lourde pour les Américains pour subventionner des coûts de R&D très importants. Dit autrement, les profits des laboratoires et les systèmes de santé étrangers seraient essentiellement financés par les énormes dépenses de soins de santé des États-Unis. Souhaitant que son territoire bénéficie systématiquement du prix le plus bas parmi ceux constatés dans les autres pays, D.Trump a signé un décret imposant aux fabricants de réduire le coût des médicaments pour ses concitoyens.

 Les demandes du président américain, instaurer des barrières commerciales qui vont engendrer, directement ou indirectement, une hausse du prix de vente des produits de santé aux usagers, incluant les Américains, tout en imposant que leurs prix baissent aux US, ne sont contradictoires qu’en apparence. Elles obligent les entreprises, pour maintenir leur chiffre d’affaires, à chercher à se rattraper ailleurs, en tentant d’augmenter les prix des médicaments dans les pays de l’UE et ailleurs dans le monde. Ce qui est implicitement souhaité par D. Trump.

Dans un ultimatum, lancé en juillet 2025, les grandes entreprises pharmaceutiques américaines sont mises en demeure de se conformer aux exigences présidentielles, sous peine de droits de douane de 250%. Le laboratoire Pfizer a été le premier à conclure un accord avec l’administration Trump[iv]. La firme promet d’investir massivement sur le sol américain, de baisser le prix de certains traitements destinés aux patients assurés par Medicare, et de négocier systématiquement à la hausse sur le marché européen le prix des nouvelles thérapeutiques. En échange, elle est exemptée de taxes douanières pendant 3 ans, et pourra vendre en ligne directement ses produits aux patients, avec des rabais pouvant être supérieurs à 50%, via le site web gouvernemental appelé «TrumpRx». AstraZenaca s’est inscrit en second dans cette négociation, dans des termes similaires. Il y a fort à parier que les autres laboratoires suivront. 

Peut-on imaginer pire sort pour un médicament, surtout si l’application devient accessible mondialement, que d’être mis en vente en ligne comme une vulgaire trottinette ! Et pour les patients, quelles garanties que le produit reçu est bien celui commandé, pour peu qu’il y ait substitution de marque, que ce ne soit pas une contrefaçon, que les bonnes conditions de stockage et d’acheminement ont été respectées ? 

On peut s’interroger sur le lien entre les Big Pharma et l’administration américaine. Ce ne sont pas les laboratoires pharmaceutiques que D.Trump cible : il n’aurait pas détricoté, aussitôt revenu à la Maison Blanche, les mesures du président Biden de négocier à la baisse directement avec les industriels le prix des dix médicaments les plus coûteux de Medicare, impactant à la marge leur revenu mais diminuant les frais des patients âgés, couverts par cette assurance. Par ailleurs il apparait que les BP tirent leur épingle du jeu quel que soit le scénario imposé, pour peu qu’elles soient suffisamment flexibles pour s’adapter rapidement. Ce n’est sans doute pas sans arrière-pensées qu’elles ont contribué financièrement, à la hauteur de 500 000 dollars, à la campagne électorale du candidat conservateur, via phRMA (Pharmaceutical Research and Manufacturers of America) qui recouvre toutes les multinationales du médicament dont Sanofi[v].

De fait, les intérêts des fabricants de médicaments et ceux de D.Trump convergent : les deux parties réclament à l’UE des tarifs revus à la hausse pour les produits de santé. Ce qui oblige à bousculer la logique de négociation centralisée de limitation des prix, mise en place pour rendre remboursables les médicaments par les systèmes de santé. C’est vouloir exploser les capacités de financement de la protection sociale. Indéniablement, ce sont les systèmes de protection sociale des différents pays de l’UE, accusés de fausser la libre concurrence qui sont remis en cause. C’est vouloir obtenir du vieux continent des « réformes ambitieuses » pour libéraliser le marché du médicament, par des politiques de dérégulations favorables à la libre entreprise, seule à même de savoir ce qui est « bon » pour l’économie. C’est vouloir faire sauter toutes les digues ! C’est vouloir imposer comme étant la norme que les BP priorisent l’accumulation des richesses de quelques privilégiés, avant de tenter de répondre aux besoins de santé de la population. D.Trump tient le même raisonnement pour le médicament que pour l’armement ou le numérique, mais le service rendu n’est pas le même !  

Les gagnants de cette guerre commerciale sont les multinationales et leurs actionnaires qui dépouillent le médicament de sa qualité de bien essentiel à la santé, pour ne voir en lui que le bien industriel dont la commercialisation est très lucrative. C’est la logique même du système capitaliste de tout transformer en marchandise et occasion de profit. L’industrie pharmaceutique est l’une des plus rentables de toutes les industries, avec des taux de rentabilité supérieurs à 20%. Au bout de la chaine, les principales victimes sont les patients qui verront leur reste à charge augmenter, jusqu’à compromettre l’accès aux soins, ceci à l’échelle mondiale. A terme les plus démunis ne pourront-ils compter que sur la philanthropie pour être soignés ?

Comment se protéger ? On ne peut pas compter sur la Commission européenne, ni sur les différents gouvernements des pays membres en place pour nous défendre. Ils sont majoritairement imprégnés, la France en tête, de l’idéologie néolibérale qui, sous prétexte d’une absolue nécessité de réduire la dette, tire à boulets rouges sur le niveau de dépenses publiques, mettant à mal les services publics et la protection sociale. Quels leviers actionner alors ? Comment parler d’une seule voix à l’échelle internationale pour se réapproprier la chaine de valeur du médicament, avec des productions publiques et solidaires adossées à un système de protection sociale, pour une égalité d’accès aux soins pour tous-tes ? Les objectifs de santé publique doivent primer sur les intérêts commerciaux, notamment pour l’accès aux médicaments essentiels, aux innovations thérapeutiques et aux technologies de santé. C’est à la société civile de prendre conscience des choix à faire, de réaffirmer les normes et les valeurs que nous voulons, à l’échelle de la planète, de coopération, de démocratie, et de solidarité, pour une société humaniste. Pour un monde de partages des connaissances et des ressources au service du bien-être et de la santé de la population mondiale. 


[i] [i] https://www.alternatives-economiques.fr/leurope-victime-collaterale-de-guerre-entre-donald-trump-big-pharma/00115107

[ii] https://www.usinenouvelle.com/article/32-patrons-de-laboratoires-menacent-l-union-europeenne-d-un-exode-de-la-pharma.N2230682

[iii] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/09/18/au-royaume-uni-les-geants-de-la-pharmacie-arretent-brutalement-leurs-investissements_6641727_3234.html

[iv] https://www.liberation.fr/international/amerique/prix-des-medicaments-trump-annonce-le-lancement-du-site-trumprx-et-un-accord-global-avec-pfizer-20251001_2E3NV4H5RJCMFKFG645YOQLW3Y/

[v] https://basta.media/Elections-Etats-Unis-Ces-entreprises-francaises-qui-preferent-financer-le-camp-Trump-plutot-que-Kamala-Harris

Pénurie de médicaments 

Quand la santé devient une angoisse collective, des réponses politiques urgentes à la hauteur des enjeux doivent être apportées.

La situation

Depuis plusieurs années, la France connaît une multiplication sans précédent des ruptures de stocks de médicaments. Aujourd’hui, plus de 5 000 références sont concernées — soit cinq fois plus qu’en 2018. Ce phénomène n’est pas anodin mais une tendance lourde : il touche toutes les catégories de médicaments, y compris les plus courants. L’hiver dernier, la pénurie d’amoxicilline pédiatrique a particulièrement choqué l’opinion publique, révélant la fragilité de notre système pharmaceutique.

Ces ruptures ne sont pas de simples incidents logistiques. Elles conduisent à des conséquences concrètes de mise en danger de la santé de milliers de patients: aggravation des pathologies, souffrances évitables, perte de chance thérapeutique. Elles génèrent aussi un sentiment d’abandon chez les patients et leurs familles, qui voient leur droit à la santé compromis.

1. Le droit à la santé, un principe fondamental en péril /ignoré.

Le droit à la santé est un objectif à valeur constitutionnelle, affirmé par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 et réaffirmé par celle de 1958. Ce droit fait partie intégrante du droit positif français et figure également dans plusieurs textes internationaux qui le consacrent comme un droit fondamental.

Pourtant, les faits montrent une dégradation inquiétante de l’accès aux soins.  26% des Français, selon un sondage IFOP réalisé en avril 2025, ont renoncé à se faire soigner, et 61% disent avoir fait une croix sur des médicaments en raison de leur prix, un pourcentage qui a quasiment doublé par rapport à 2009 (36%)[i]. La France, autrefois dans le haut du classement européen pour la mortalité infantile, occupe aujourd’hui la 23ᵉ place sur 27. 

Cette régression traduit le dévoiement d’un modèle solidaire partant du postulat « chacun y contribue selon ses moyens, chacun y reçoit selon ses besoins » pour tendre vers un système à deux vitesses « l’accès aux meilleurs soins pour ceux qui ont les moyens et une réponse minimum et/ou l’absence de réponse adéquates pour les plus démunis/ pauvres. »

2. Une responsabilité politique.

Face à cette crise, les questions se multiplient : qui est responsable ? La Sécurité sociale, accusée de dépenses excessives ? Les pouvoirs publics, incapables d’anticiper ? Les laboratoires pharmaceutiques, guidés par la recherche de profit ?

Les services publics de santé sont souvent pointés du doigt pour leur coût croissant, tandis que les malades sont soupçonnés d’abus ou de fraude. Ces discours occultent une réalité économique : les exonérations de cotisations sociales en faveur des entreprises, la pression à la baisse des salaires, et les inégalités de rémunération entre femmes et hommes appauvrissent structurellement la Sécurité sociale. Rappelons que les cotisations sociales ne sont pas une dépense publique mais un salaire socialisé, c’est-à-dire une part de la richesse collective destinée à garantir le bien-être de tous. En aucun cas ce ne sont des charges.

Qui gèle les salaires, exonère les entreprises de cotisations sociales (CICE, intéressement des salariés, stocks option et autres rémunérations individualisées …) ?

3. Les logiques financières mondialisées affectent la production de médicament et s’affranchissent des lois de la cité.

Au cœur de la crise se trouve une dérive structurelle : la financiarisation du secteur pharmaceutique. Les grands laboratoires, dont le capital est majoritairement détenu par des fonds d’investissement transnationaux, ne sont plus gouvernés par des impératifs de santé publique, mais par les exigences de rentabilité des marchés.

Ces groupes imposent des critères de performance toujours plus élevés : gestion à flux tendus avec des stocks minimaux, restructurations permanentes entraînant la perte de savoir-faire, sous-traitance massive de la recherche à la distribution, optimisation et évasion fiscales, spéculation sur les devises et les prix d’achat.

Cette logique fait fi des législations du travail : à réduction des passifs sociaux, elle propose intérim de longue durée (rappel du code du travail : recours à l’intérim, un motif, une durée, sinon une requalification en CDI), plans « sociaux » financés par l’allocation chômage, salaire individualisé en lieu et place des conventions collectives, négociation de salaire minimum en dessous du SMIC.  D’autres exemples peuvent être décrits.

Cette logique est encouragée par les agences de notation, qui récompensent les entreprises capables de réduire leurs coûts et d’augmenter leur rentabilité financière. Une « bonne note » donne accès à des taux d’emprunt plus bas, voire négatifs faisant abstraction de la qualité du service rendu. Idem pour l’État français qui a interdit de financer sa dette via la Banque de France pour un financement via les banques privées. 

4. La fixation opaque du prix : un levier de pouvoir

Un autre levier de déséquilibre réside dans la fixation du prix du médicament, souvent déconnectée du coût réel de production. Protégés par le secret des affaires, les laboratoires exercent un véritable chantage à l’accès aux soins, menaçant de retirer certains produits si les prix imposés par l’État ne leur conviennent pas.

Dans l’émission Cash Investigation, plusieurs acteurs ont dénoncé cette dérive. Pour Nathalie Coutinet, économiste de la santé, et Agnès Buzyn, ancienne ministre, l’augmentation du prix des médicaments, réclamée par le LEEM (Les Entreprises du Médicament), ne résoudra pas la pénurie. La tentative de compromis menée par Grégory Emery, Directeur général de la santé, proposant une hausse de 10 % des prix, s’est d’ailleurs soldée par un échec : preuve que le problème est structurel et non conjoncturel.

5. Une industrie en décomposition : exemples concrets

Deux sites symbolisent aujourd’hui la fragilité industrielle française : Cenexi à Fontenay-sous-Bois (ex-Roche) et Sanofi à Maisons-Alfort. Ces établissements, situés en proche banlieue parisienne, sont menacés de fermeture ou de revente à des sous-traitants. Outre les emplois supprimés, ces projets font peser un risque sur la conservation des savoirs-faire et sur la capacité de production nationale. Certains évoquent même des opérations immobilières déguisées, tant la valeur foncière des sites est élevée.

Le débat dépasse donc le cadre local. Il s’agit d’un enjeu national, voire européen : celui de la souveraineté pharmaceutique et du maintien d’une production publique et solidaire.

La liberté d’entreprendre (y compris celle de désinvestir/casse) est plus forte que le devenir des salariés, de leurs savoirs-faire, de leur outil de travail etc. C’est sans doute ce qui explique le silence du gouvernement sur les menaces de fermeture de sites industriels, quand bien même il doit répondre aux besoins de santé de la population et honorer une promesse de réindustrialisation.

6. Repenser la production du médicament comme bien commun

Face à ce constat, des initiatives émergent. Le collectif « Médicament Bien Commun » (medicament-bien-commun.org) participe avec des acteurs variés — Médecins du Monde, Remix the Commons, mutuelles, universitaires, pharmaciens, élus, salariés du secteur, sociologues — à l’élaboration d’une alternative humaniste en matière d’accès aux soins et de production de médicament. 

L’objectif : créer des communs pharmaceutiques à différentes échelles (locale, régionale, nationale, européenne) afin de répondre aux besoins réels de santé plutôt qu’aux impératifs de rentabilité. Parmi les pistes envisagées : la reprise de sites industriels sous forme de SCIC ou de SCOP, la création de réseaux coopératifs ancrés dans les territoires, l’engagement sur des valeurs sociales, environnementales et démocratiques, un pilotage collectif et transparent des bénéfices ou excédents de gestion pour soutenir la production de médicaments d’intérêt général.

Placer cette dynamique au cœur de la population, malades, soignants, systèmes éducatifs et de recherche, respect du travail et de l’intégrité des salariés, respect de l’environnement. 

Initier un processus collectif créatif au service de l’humanité.

7. Une leçon de la pandémie : la santé comme bien commun

La pandémie de Covid-19 a cruellement rappelé la fragilité de notre système de santé : manque de masques, de respirateurs, de lits, de personnel… Cette crise a mis en évidence la nécessité de réinvestir massivement dans la santé publique, dans les hôpitaux, la formation, la recherche et la production locale.

Elle doit désormais nous inciter à tirer les leçons de nos erreurs. Garantir l’accès aux médicaments, c’est garantir l’égalité et la dignité. C’est aussi refuser que le soin devienne une marchandise soumise aux logiques du profit.

Conclusion

La pénurie de médicaments n’est pas une fatalité. Elle résulte d’un système économique qui a perdu de vue sa mission première : soigner. Repenser la gouvernance du médicament, c’est redonner sens à la santé comme bien commun.

Cela suppose une volonté politique forte, une mobilisation citoyenne, et une coopération entre tous les acteurs : patients, professionnels, collectivités, associations, chercheurs, mutuelles et entreprises coopératives.

Ensemble, réinventons un modèle fondé sur la solidarité, la transparence et le progrès humain. 

Car la santé n’est pas un marché, c’est notre bien commun.


[i] https://www.magnolia.fr/actualites/sante/sante-inflation-2023-francais-renoncent-acheter-medicaments

Médicaments à prix prohibitifs 

Lors de la publication d’une enquête sur son site le 18 septembre 2025, l’UFC-Que Choisir dénonce un système qui met en péril l’accès aux soins. 

Médicament Bien Commun partage à 100% ce constat ainsi que la dénonciation des logiques financières qui confisquent l’innovation et mettent en danger le système de santé. Effectivement, sous prétexte de « rémunérer l’innovation », le prix des nouveaux médicaments est monstrueusement élevé. Aussi, nous vous invitons à la lecture de cette enquête et article d’UFC-Que Choisir. 

Nous pensons cependant que les préconisations énoncées après ce constat, sont insuffisamment conséquentes. C’est en particulier le cas de celle sur la fixation des prix au niveau européen, sous prétexte d’un pouvoir de négociation accru. La négociation sur les vaccins anti-covid l’a une nouvelle fois prouvé : cette négociation, sous pression des Big pharma, est à risque en particulier s’il s’agit d’un prix unique calé sur ce que peuvent et veulent les pays les plus puissants ; ce qui peut être difficilement soutenable pour les systèmes de santé de nombreux petits pays européens. 

Nous pensons également que « l’activation de la licence d’office pour casser les monopoles en cas de prix abusifs », est bien faible face au monopole de brevets. Nous pensons nécessaire, en priorité, « de contester les accords de Marrakech (1994), qui ont légitimé les droits de propriété intellectuelle liées au commerce (ADPIC), appliqués aux médicaments, support juridique de leur monopolisation par les Big Pharma, pour leurs aspects négatifs sur l’accès aux médicaments et le droit à la santé ».

Il apparait par ailleurs difficile de réclamer une « Transparence totale sur les prix réels, les essais cliniques et les brevets » sans remettre en question le secret des affaires qui empêche d’intégrer les financements publics investis dans les différentes phases du cycle de vie des médicaments. Pourtant, le droit européen et français prévoit explicitement des exceptions à ce secret lorsqu’il s’agit de protéger l’intérêt général. Le droit à la santé étant reconnu comme un droit fondamental  légitime pleinement l’accès aux données sur les financements publics, les coûts de R&D ou les prix nets des médicaments nouveaux.

Nous vous invitons à lire la suite et à donner votre avis. 

Publié le 18 septembre 2025

https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-medicaments-a-prix-prohibitifs-l-ufc-que-choisir-denonce-un-systeme-qui-met-en-peril-l-acces-aux-soins-n171292

Alors que les prix des médicaments flambent, notamment en cancérologie, l’UFC-Que Choisir alerte sur un cas emblématique des dérives du marché pharmaceutique : le Keytruda®, anticancéreux le plus vendu au monde. En France, son remboursement a coûté plus de 2 milliards d’euros en 2024, soit 5,2 % des dépenses de médicaments remboursables, tandis que son brevet lui assure un monopole jusqu’en 2031. L’exemple du pembrolizumab (Keytruda®) révèle à lui seul un système dévoyé, marqué par la financiarisation de l’innovation, l’opacité tarifaire et des monopoles prolongés. Une trajectoire explosive qui met en péril la soutenabilité du système de santé et l’accès équitable aux soins.

Des prix indécents, couverts par l’opacité

Jusqu’à 70 000 € par patient et par an : c’est le coût du Keytruda®, qui concerne près de 90 000 malades en France. Le prix affiché dépasse 2 000 € le flacon, mais les « remises » négociées entre l’État et les industriels sont gardées secrètes, au nom du sacro-saint secret des affaires. Une absurdité démocratique, insupportable dès lors qu’il s’agit de milliards d’argent public.

« Nous exigeons une transparence sur le prix de ce médicament, et des médicaments en général », martèle Marie-Amandine Stevenin, Présidente de l’UFC-Que Choisir. « Cette transparence est d’autant plus nécessaire que des analyses indépendantes estiment qu’un prix équitable du Keytruda® pourrait se situer entre 52 et 885 €, très loin des montants facturés à l’Assurance maladie. Dès lors, que payons-nous réellement ? ».

Une innovation confisquée par les logiques financières

Pour les industriels, ces prix mirobolants seraient justifiés par la valeur thérapeutique des nouveaux traitements. Mais l’Organisation mondiale de la santé constate qu’ils reflètent surtout la propension maximale à payer des systèmes de santé, bien plus que leur efficacité réelle.

De nombreux chercheurs montrent aussi que ces tarifs astronomiques traduisent également une histoire financière : rachats et fusions-acquisitions menées à coups de dizaines de milliards de dollars, multiplications et prolongations des brevets et spéculations destinées à garantir des retours sur investissement pour des acteurs privés, bien souvent à partir d’innovations issues de la recherche publique.

Finalement, les citoyens paient deux fois : une première fois pour financer la recherche fondamentale largement publique, et une deuxième fois via l’Assurance maladie, qui rémunère en plus les opérations financières attachées à ces innovations. En France, le cas du Zolgensma® contre l’amyotrophie spinale est emblématique de cette répartition inéquitable des risques et bénéfices. Une large part de la recherche fondamentale sur ce traitement vient du CNRS et de l’AFM Téléthon, mais le traitement n’en reste pas moins commercialisé en accès précoce à un prix affiché proche de 2 millions d’euros (pour une injection unique).

Des choix qui affaiblissent tout le système de santé

Chaque euro dépensé pour ces blockbusters (1) pharmaceutiques hors de prix est un euro qui n’est pas investi ailleurs : hôpitaux, personnels, équipements. En 2023, les dépenses en médicaments remboursables se sont élevées à 36,5 milliards d’euros. Pour absorber l’explosion des nouvelles thérapies onéreuses, l’État impose chaque année des économies sur les génériques et biosimilaires, pourtant essentiels et efficaces. Résultat : désindustrialisation, délocalisations massives vers quelques usines en Asie, déjà saturées par la demande mondiale, et dépendance accrue, qui provoquent des pénuries récurrentes.

Fin 2024, près de 400 présentations de médicaments étaient en rupture de stock en France. Ces pénuries ne sont pas anecdotiques : elles concernent parfois des traitements vitaux pour l’hypertension, l’épilepsie ou certains cancers. Autrement dit, les blockbusters surpayés ne menacent pas seulement la soutenabilité financière, ils fragilisent dès aujourd’hui l’accès aux médicaments essentiels.

Réformer en urgence une économie pharmaceutique à la dérive

Face à ces dérives, l’UFC-Que Choisir appelle à une réforme profonde des politiques du médicament et formule des propositions claires pour replacer la transparence, la régulation et la justice sociale au cœur de la santé publique :

  • Transparence totale sur les prix réels, les essais cliniques et les brevets ;
  • Négociation européenne des prix pour peser plus fort face aux laboratoires ;
  • Évaluation indépendante et rigoureuse de la réelle valeur thérapeutique des médicaments ;
  • Faire que les financements de la santé et des soins y soient pleinement consacrés, y compris dans la négociation des prix des médicaments ;
  • Activation de la licence d’office pour casser les monopoles en cas de prix abusifs;
  • Relocalisation de la production des médicaments essentiels pour garantir l’approvisionnement.

L’UFC-Que Choisir défend sans relâche un principe simple : l’accès aux meilleurs soins doit rester un droit universel, et non un marché captif au service des profits privés.

LA SANTÉ COMMUNAUTAIRE

Prendre soin de notre santé en commun

« La santé : un droit pour nous tous » – KIPA, dispensaire social solidaire à Athènes

L’Université du bien commun à Paris et le collectif
Médicament bien commun vous invitent à une rencontre-débat 

jeudi 25 septembre 2025, de 18 h 30 à 21 h

à l’Académie du climat, 2 place Baudoyer – 75004 Paris
Salle des mariages

Métro : Hôtel de Ville (1 et 11) ; Saint-Paul (1)

Rencontre proposée et animée par Annie Flexer (membre co-fondateur de l’UBC.Paris) et Eliane Mandine (membre co-fondateur de MBC) 

Avec : 

Pierre-André Juven  sociologue, CNRS et maire adjoint de Grenoble

Anna Farmakidès  sociologue, bénévole pour les dispensaires autogérés en Grèce

Gwenaëlle Ferré  coordinatrice des projets au Jardin, Centre de santé communautaire et planétaire, à Bron

Lauranne Moussion  co-coordinatrice du Réseau des centres de santé communautaire

accueil à partir de 18 h 10

Inscription :

https://framaforms.org/universite-du-bien-commun-paris-sante-communautaire-1752944353

Merci de nous faire part de toute annulation de réservation universitebiencommun@gmail.com

_______

Le droit à la santé est un droit humain universel. A ce titre la santé doit s’entendre comme un bien commun social, et les différentes activités, les soins en ville ou à l’hôpital, les médicaments et les vaccins, en lien avec la Sécurité sociale, participant à l’effectivité de ce droit, doivent être compris comme biens communs.

Dans un contexte d’accès aux soins rendu de plus en plus inégalitaire par les politiques de privatisation de la santé, de nouvelles pratiques de soin émergent avec une volonté de transformation du système pour se réapproprier démocratiquement ce domaine.

L’intervention introductive de Pierre-André Juven portera sur les difficultés de l’offre de soins en ville (et en lien avec celle de l’hôpital public) et sur la nécessité de repenser le soin comme imbriqué dans le social. Cette nécessité, qui a une histoire longue, est portée depuis maintenant une vingtaine d’année par des acteurs du soin promouvant et développant des centres de santé communautaire. L’intervention reviendra brièvement sur l’histoire et les ressorts de la santé communautaire ainsi que sur sa capacité à répondre aux besoins de l’époque.

Les centres de santé communautaire (CDSC) sont des structures qui s’ouvrent à l’initiative de citoyen.ne.s et de soignant.e.s, participant du processus de réappropriation de la santé et répondant aux enjeux de santé actuels en pratiquant des stratégies de lutte contre les inégalités sociales. Avec un mode de fonctionnement horizontal et une approche interdisciplinaire, globale et intégrée de la santé, ces collectifs mettent l’accent sur la prévention et intègrent l’ensemble des déterminants écologiques et sociaux de la santé.

Anna Farmakidès nous parlera des dispensaires sociaux solidaires grecs comme réponse à la crise migratoire et économique.

À partir de 2012 les premiers dispensaires répondent aux problèmes de santé des migrants. Avec la crise économique de 2015, environ 30% de la population grecque se trouve sans couverture médicale. Une trentaine de dispensaires sociaux sont créés, initiative de citoyens et de personnel médical, sans financement public, pour soigner gratuitement. Les décisions non médicales se prennent en assemblée générale, avec la participation des patients qui le souhaitent. Ces dispensaires n’ont pas pour vocation d’être pérennes et revendiquent la reconstitution d’un secteur public robuste de santé, qui s’inspirerait de leur fonctionnement « horizontal ».

En France, on assiste depuis une dizaine d’années au développement de centres de santé communautaire, principalement dans des quartiers populaires.

Depuis 2021, certains ont choisi de se constituer en réseau, formalisé en 2023 en Réseau des centres de santé communautaire (RCDSC). L’objectif est de développer et promouvoir la santé communautaire et le modèle des centres de santé communautaire dans une optique de santé globale. 

Ce réseau compte aujourd’hui 10 centres adhérents. Gwenaelle Ferré présentera l’un d’eux : le centre de santé communautaire et planétaire Le Jardin situé à Bron, en banlieue lyonnaise. Une quinzaine de salariés y travaillent et proposent des consultations de médecine générale, des ateliers de prévention et promotion de la santé, des entretiens de médiation en santé, des consultations par une infirmière spécialement formée (Asalée), des ateliers de soins collectifs et, surtout, un accueil inconditionnel. L’équipe met en œuvre des pratiques de santé communautaire, en favorisant l’implication des patients, la reconnaissance de leur expertise et la lutte contre les inégalités de santé. Le centre de santé développe également des pratiques de soin écologiques en favorisant, par exemple, des alternatives non médicamenteuses.

Lauranne Moussion, co-coordinatrice du réseau, en présentera le fonctionnement. L’objectif du réseau prend forme à travers l’élaboration et le portage de plaidoyers politiques sur les questions socio-sanitaires, l’échange des pratiques et des savoirs entre les différentes structures membres, et l’accompagnement des structures souhaitant développer une activité en santé communautaire. 

En faisant de la santé et du vivant des biens communs universels à préserver, les initiatives de santé communautaire se posent en communs de la santé opposables à la marchandisation et à la financiarisation.

_______

Les intervenants

Pierre-Andre Juven est sociologue, chargé de recherche au CNRS. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les enjeux de santé. Son dernier ouvrage paru aux éditions La Découverte et coécrit avec Jean-Paul Gaudillière et Caroline Izambert, Pandémopolitique. Réinventer la santé en commun, revient à partir des recherches en sciences sociales sur la crise connue en 2019 et 2020. Pierre-André Juven est également adjoint au Maire de Grenoble en charge de la santé depuis 2020.

Anna Farmakidès est chercheure contractuelle en sociologie du travail, anciennement associée au LISE (Laboratoire interdisciplinaire pour la sociologie économique) CNAM-CNRS

Gwenaelle Ferré fait partie de l’équipe fondatrice du Centre de santé communautaire et planétaire Le Jardin et occupe la fonction de coordinatrice des projets. Elle a aussi travaillé pour le centre de santé communautaire La Place Santé à Saint-Denis (93) et dans différents centres de plannings familiaux. Elle est également formatrice et intervient notamment à l’EHESP – Ecole des hautes études en santé publique.

Lauranne Moussion est co-coordinatrice depuis 2024 au Réseau des centres de santé communautaire (RCDSC), qui rassemble 10 centres autour d’un projet de santé commun.

Programme

18 h 10 – Accueil

18 h 30 – Ouverture de la session et introduction par  Annie Flexer et Eliane Mandine

18 h 40 – Pierre-André Juven – Repenser le soin comme imbriqué dans le social

19 h – Anne-Marie Farmakidès – Les dispensaires sociaux solidaires en Grèce

19 h 20 – Gwenaëlle Ferré – Le centre de santé communautaire et planétaire Le Jardin, à Bron

19 h 40 – Lauranne Moussion – Le Réseau des centres de santé communautaire

20 h – Débat avec le public

20 h 45 – Conclusion

https://www.universitebiencommun.org

Les enregistrements sonores et vidéo des sessions de l’Université du bien commun à Paris sont diffusés sur le site internet de l’Université et font l’objet d’émissions radio sur Radio Fréquence Paris Plurielle

L’art du chantage

Sanofi a fait part dans un communiqué, daté du 14 mai 2025 de son intention d’investir « au moins 20 milliards de dollars » aux États-Unis dans les cinq prochaines années, en vue d’une « augmentation significative des dépenses de recherche et développement et l’allocation de milliards de dollars à la production américaine[i]».

20 milliards de dollars, pour quoi faire ? 

Cette communication a fait la « une » des médias, certains laissant croire que Sanofi rejoignait d’autres grands noms mondiaux de la pharmacie, comme Bristol Myers Squibb, Gilead, TAKEDA, Roche, Novartis, dans leurs projets d’investissements outre-Atlantique, en réponse à la politique de tarifs douaniers voulue par Mr Trump. Une sorte d’allégeance à la suprématie américaine fantasmée par le président des USA ! D’autres questionnant le patriotisme économique de l’entreprise, comme s’il était encore possible de douter qu’elle en était totalement dépourvue, suite à l’épisode du Covid où les dirigeants du « fleuron français » avaient clairement affirmé qu’ils serviraient « en premier » les États-Unis.

Cette stratégie, de s’ancrer plus fortement outre-Atlantique, n’est ni une lubie soudaine de Sanofi, ni une inféodation aux injonctions du président américain, mais participe du plan d’optimisation du portefeuille de produits de l’entreprise.  D’une part le marché pharmaceutique américain est bien trop important pour se permettre de le bouder. Selon une source IQVIA, sur un marché pharmaceutique mondial de 1 607 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023, les États-Unis ont représenté 44,4 % des ventes. D’autre part, pour seulement 25 % de sa production sur le sol  américain, près de la moitié des ventes mondiales de Sanofi – 21,6 milliards de dollars en 2024 – provenaient du marché américain, alors que la France ne représente que 4,5% de son chiffre d’affaires.

Par ailleurs, le plan s’inscrit dans une continuité, initiée avec le rachat de Genzyme en 2011. Cette biotech, dans laquelle le groupe a injecté sur la période 2014-2019, 290 millions d’euros pour la transformer en une structure pilote de bioproduction digitalisée, lui permet de s’implanter dans l’un des plus grands clusters biotechnologiques au monde, près de Boston, dans le Massachusetts. Ce site, qui emploie 1 500 salariés, devient le fer de lance de la profonde réorganisation industrielle engagée par le groupe tricolore de devenir une « Biopharma », en fabriquant une grande part de la gamme de produits du portefeuille maladies rares développé par Sanofi Genzyme.

Un virage stratégique passé inaperçu

A l’époque ce virage stratégique est passé quasiment inaperçu. C’est alors qu’il aurait fallu demander des comptes à Sanofi sur ce glissement progressif des priorités vers des zones hors de l’hexagone. Seuls les syndicats ont tenté de donner l’alerte sans être entendus.

En réalité ce qui se joue, sur fond de guerre commerciale, avec le « buzz » médiatique que Sanofi a su orchestrer autour de son intention d’investir « au moins 20 milliards de dollars » aux États-Unis, c’est une mise en concurrence des États par les grandes firmes pharmaceutiques.

Ce n’est pas un hasard du calendrier si l’annonce a été faite trois jours seulement avant le Sommet Choose France, organisé par le président Macron, qui comptait bien, après avoir déployé le tapis rouge aux investisseurs financiers, démontrer l’attractivité économique du pays en affichant le montant du pactole récolté…. qui s’avère être le même que celui que Sanofi compte investir à lui seul tout aux USA. Une façon de couper l’herbe sous les pieds du chef de l’État.

Et ce qui tombe à pic, c’est que le communiqué fait suite aux menaces de Trump, en avril, d’augmenter les droits de douane sur les produits pharmaceutiques, pour accélérer la relocalisation de la production dans son pays. Ce faisant Sanofi laisse croire qu’elle s’aligne sur ses concurrents pharmaceutiques : Lilly, Johnson & Johnson, AbbVie, Bristol Myers Squibb, Gilead, Roche, Novartis et Takeda, qui ont annoncé ces derniers mois près de 250 milliards de dollars (223,7 milliards d’euros) d’investissements aux États-Unis[ii]. Cette liste des investisseurs aux USA s’accroit. En comparaison, les 20 milliards d’euros annoncés par le président Macron apparaissent bien dérisoires. Le ministre de l’économie s’inquiète : « c’est clair que c’est un mauvais signal » ; « nous sommes dans une concurrence mondiale très dure pour attirer les investissements »[iii].

A quel prix pour les médicaments ? 

C’est bien le but recherché : susciter l’inquiétude chez les dirigeants et une urgence à réagir.  La stratégie de communication du géant pharmaceutique, mettant en balance le montant des investissements promis à la France à celui que le président Trump a su attirer pour son pays, est du pur chantage. C’est un moyen de faire pression, à la fois sur le gouvernement français et le parlement UE.  Ceux-ci sont sommés de revoir leur politique de prix de médicaments, d’assouplir les normes de régulation et de revoir à la baisse la fiscalité, pour éviter une hémorragie des capitaux du vieux continent vers le Nouveau Monde. Les établissements pharmaceutiques, dans une logique financière pour maximiser leurs profits, affichent clairement leurs intentions de prioriser les mieux disant en terme de facilités économiques pour localiser leurs productions.

Sanofi a effectivement co-signé le 11 avril une lettre d’avertissement adressée à Bruxelles aux côtés de 30 autres dirigeants de grandes entreprises dont Novo Nordisk, Pfizer, Eli Lilly, Roche, Merck, GSK ou encore Servier, et publié une lettre avec Novartis dans le Financial Times, pour réclamer à la Commission européenne un cadre plus attractif en matière de prix des médicaments et de fiscalité. Audrey Derveloy (Présidente de Sanofi France) n’hésite pas à surenchérir : « Les entreprises qui font le choix de la France, qu’elles soient françaises ou étrangères, aimeraient que leurs efforts soient mieux reconnus »[iv]. Depuis la crise du Covid, la concurrence entre les États est exacerbée à dessein par certaines entreprises, qui comparent les plans de soutien économique et poussent les pouvoirs publics à la surenchère.

La réaction du ministre de l’économie française est de déplorer que Sanofi n’ait pas « essayer de jouer collectif quand on a été aidé », faisant allusion aux 108 millions de crédit impôt recherche que le groupe a encaissé en 2023, dont la contrepartie tacite est le maintien des emplois hautement qualifiées en France. Le ministre dénonce la façon de jouer,  mais pas le jeu lui-même. Comme si la mise en concurrence du pays qu’il nomme « site France » avec les autres  puissances étrangères allait de soi.

Est-il normal que les entreprises pharmaceutiques dictent leurs conditions aux États ? 

C’est sur cette guerre commerciale, surtout lorsqu’elle concerne des produits pharmaceutiques, jusque-là exemptés de droit de douane en vertu d’un accord de l’Organisation mondiale du commerce, compte tenu de leur caractère vital, que les citoyens doivent être alertés. Est-il normal que les entreprises pharmaceutiques dictent leurs conditions aux États, que l’économie prime sur le politique, au lieu que ce soit le politique qui définisse le cadre économique ? La santé doit-elle être une valeur d’ajustement d’un marché économique mondial ? L’État n’est-il pas responsable de la politique de santé garantissant l’accès effectif de la population à la prévention et aux soins ?

C’est de cette question que doivent s’emparer les citoyen-nes, la société civile toute entière, pour imposer une autre politique de santé, partant des besoins de la population, définie et soutenue par la collectivité, et libérer de la contrainte du niveau de rémunération des actionnaires. La conjoncture pourrait s’y prêter avec le président Trump qui bouscule les stratégies des Big pharma en soufflant le chaud et le froid sur le prix des médicaments. C’est une occasion de repenser le modèle économique actuel des produits de santé, en faveur de dispositifs plus vertueux, avec la création d’une capacité pharmaceutique publique, pilotée démocratiquement par l’ensemble des parties prenantes, qui permette de garantir une production suffisante et stable pour couvrir les besoins de santé de tous.tes. C’est un objectif atteignable si toutes les forces vives du pays se mobilisent pour l’imposer.


[i] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/05/14/sanofi-promet-d-investir-20-milliards-de-dollars-aux-etats-unis_6606132_3234.html

[ii] https://strategiesante.com/sanofi-va-aussi-investir-aux-etats-unis-en-production/

[iii] https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/j-aurais-prefere-que-cette-annonce-soit-retardee-eric-lombard-fustige-le-timing-des-investissements-de-sanofi-aux-etats-unis_AV-202505190236.html

[iv] https://www.lefigaro.fr/societes/sanofi-annonce-plus-d-un-milliard-d-euros-d-investissement-en-france-20240513

Audition de la Direction de Sanofi : droit de suite…

Après l’audition au Sénat de la direction de Sanofi par la commission d’enquête sur les aides publiques, le 26 mars 2025, Médicament Bien Commun prend un droit de suite … 

Commission d’enquête sur l’utilisation des aides publiques aux grandes entreprises et à leurs sous-traitants, avec l’audition de représentants du groupe Sanofi : M. Charles Wolf, directeur France et directeur général vaccins France ; Mme Agnès Perré, directrice financière France ; M. Philippe Charreau, directeur industriel France ; M. Jacques Volckmann, vice-président recherche et développement France.

Lien du relevé d’enregistrement de l’audition

Lien de l’audition Sanofi au Sénat

Le Président de la commission Olivier Rietmann rappelle que cette commission d’enquête « poursuit trois objectifs principaux : établir le coût des aides publiques octroyées aux grandes entreprises, entendues comme celles employant plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net mondial d’au moins 450 millions d’euros par an, ainsi que le coût des aides versées à leurs sous-traitants ; déterminer si ces aides sont correctement contrôlées et évaluées, car nous devons veiller à la bonne utilisation des deniers publics ; enfin, réfléchir aux contreparties qui pourraient être imposées en termes de maintien de l’emploi au sens large lorsque des aides publiques sont versées à de grandes entreprises qui procèdent ensuite à des fermetures de site, prononcent des licenciements voire délocalisent leurs activités. »

Nous publions ici les extraits qui ont retenu notre attention et nous avons demandé à Annick Lacour et Éliane Mandine, anciennes salariées et chercheures de Sanofi France, Thierry Bodin ancien salarié et délégué syndical, de bien vouloir réagir pour Médicament Bien Commun (MBC). 

M. Charles Wolf, directeur France et directeur général vaccins France de Sanofi. – « Merci pour votre invitation, je suis venu avec mes collègues pour représenter l’ensemble de la chaine de valeur en France, afin de mieux répondre à vos questions – mais d’abord, je veux replacer la question des aides publiques dont Sanofi bénéficie dans la perspective des enjeux de santé publique et de la stratégie de Sanofi. » 

Basant son propos liminaire sur les besoins de santé publique, Ch. Wolf précise l’ambition du groupe : « se concentrer sur le développement de médicaments, de vaccins innovants, là où les besoins sont les plus forts. Nous voulons répondre aux besoins de millions de patients subissant des maladies pour lesquelles on manque toujours de traitements. »  …

Ch. Wolf poursuit : « Depuis 2020, nous avons fait évoluer notre stratégie en la fondant désormais sur l’innovation, avec trois piliers : une recherche ciblée, un outil industriel de pointe et un engagement exceptionnel de tous nos salariés. La France tient une place unique dans cette stratégie, d’abord parce que nous y allouons un budget de 2,5 milliards d’euros en R&D – nous sommes le premier investisseur de R&D en France, les aides publiques y sont pour quelque chose. Deuxième pilier, un outil industriel modernisé, intégré, digitalisé, décarboné, avec ici aussi une place prépondérante pour la France puisque nous y avons, à Sanofi, notre réseau industriel le plus dense, avec trois plateformes : les vaccins, la production d’anticorps monoclonaux, et la production de petites molécules chimiques innovantes. Nous utilisons deux leviers pour moderniser notre outil industriel : la construction de nouvelles usines ultra modernes, par exemple celle de Neuville-sur-Saône qui a été inaugurée par le Président de la République, c’est un investissement de 500 millions d’euros ; la modernisation des usines existantes, avec des capacités additionnelles, nous y investissons chaque année entre 300 et 400 millions d’euros. » … « Cette stratégie s’inscrit dans un contexte de très forte concurrence internationale, nous sommes dans une course à l’innovation et à la souveraineté sanitaire. Alors que la France ne représente que 3 % de notre chiffre d’affaires, notre pays concentre 25 % de nos effectifs, plus d’un tiers de nos investissements, plus d’un tiers de notre production industrielle au niveau mondial. »

Thierry Bodin réagit pour Médicament Bien Commun : c’est la logique-même d’un groupe de dimension mondiale que d’avoir une minorité de son chiffre d’affaires réalisé dans son pays d’origine, d’autant plus que ce pays est petit. Ainsi, les laboratoires suisses comme Novartis et Roche ont une part minime de leur C.A. réalisée dans un petit pays / marché comme la Suisse, alors qu’ils y ont une part importante de leurs emplois (sièges sociaux, R&D, production). La France est plus grande mais c’est le même principe. C’est juste le produit de l’histoire et non celui d’une politique volontariste, il n’y a aucun mérite particulier à avoir dans son pays d’origine une grande partie de ses infrastructures. En revanche, il existe dans le pays d’origine des liens privilégiés avec l’État qui constituent un point d’appui, sont source d’avantages et ne peuvent pas exister spontanément dans d’autres pays sauf à acquérir une grande entreprise locale.

Éliane Mandine réagit pour MBC, avec l’expérience de plusieurs années d’exercice dans la recherche pour le groupe. 

Selon les dires de Sanofi « on ne fait pas de telles transformations de gaité de cœur ; quand on décide d’arrêter des activités en Recherche & Développement (R&D) (ex : cardiovasculaire) c’est un choix difficile, mais on le fait pour mieux se recentrer sur des secteurs (ex : immunologie), là où nous pouvons vraiment faire la différence, créer un cercle vertueux où notre innovation pourra être valorisée par les autorités de santé dans le monde entier et nous permettre ensuite de réinvestir ». 

Le choix s’était d’abord porté sur l’oncologie : il apparaissait judicieux, la prévalence des cancers ne cessant d’augmenter. Mais alors pourquoi ne pas avoir choisi d’être moteur dans la mise en place du biocluster en oncologie sur le plateau de Saclay (Paris Saclay Cancer Cluster -PSCC), comptant parmi les huit plus puissants pôles d’innovation au monde, en partenariat avec l’INSERM, l’Institut Curie et l’Institut Gustave Roussy, experts dans le domaine. Le groupe a timidement investi 150 millions d’Euros, et dans le même temps a choisi de fermer le site de Chilly Mazarin, situé à proximité, qui aurait pu héberger en partie les équipes scientifiques du PSCC, ou du moins permettre aux chercheurs de Sanofi de bénéficier de la proximité de ce réseau de compétence.

S’estimant en retard sur ses concurrents, Sanofi a évoqué que ce domaine n’était pas facile, trop diversifié, que les chances de succès en termes de produits arrivant à maturité étaient faibles, pour justifier de se recentrer sur l’immunologie. Affirmant pouvoir là faire la différence (avec ses concurrents), en pariant sur le pipeline de bons candidats thérapeutiques en phase 3.  

Maintenant Sanofi mise sur le domaine de l’ARNm, avec la construction d’une nouvelle unité entièrement consacrée à l’accélération de la R&D pour les vaccins, cofinancée par l’Union européenne et la Région Auvergne-Rhône-Alpes. Après s’être fait rafler par Pfizer, mi-2018, l’accord ARN dans les vaccins avec l’allemand BioNTech, pour avoir su mieux négocier le prix de revient de sa participation. Le formidable succès des vaccins ARN de BioNTech a permis à Pfizer de gagner 6 Milliards $ en 2021. Sanofi est ainsi passé à côté d’un coup magistral dont le manque à gagner est au moins de 50 Milliards $ de capitalisation boursière. Voire davantage, en se basant sur la valeur de Sanofi qui a progressé de 6 Milliards $ vs 61 Milliards $ pour Pfizer.

Ainsi Sanofi semble toujours courir derrière ses concurrents, par suite d’un manque de vision stratégique en amont, et/ou à de faibles capacités à négocier.

Thierry Bodin (MBC) complète avec cette remarque au-delà du choix des aires thérapeutiques, les réorganisations de Sanofi sanctionnent la volonté de réduire la part de la Recherche interne afin de faire des économies censées être réinjectées dans le Développement, mais il s’agit principalement de Développement clinique effectué par des prestataires spécialisés. Ainsi, la stabilité ou la hausse du budget de R&D selon les années est en trompe-l’œil.

Charles Wolf en vient aux aides publiques : « J’en viens aux aides publiques, pour souligner trois points. D’abord, leur rôle dans la compétitivité industrielle, laquelle est un facteur décisif de notre souveraineté sanitaire : les aides publiques ont un rôle pivot, c’est grâce à elles que Sanofi peut effectuer 30 % de sa R&D en France, alors que notre pays ne représente que 3 % de notre chiffre d’affaires. En 2023, votre année de référence, Sanofi a touché 108 millions d’euros de crédit d’impôt recherche (CIR), soit moins de 5 % des 2,5 milliards d’euros que nous investissons en R&D sur le territoire français, à quoi s’ajoutent 17,7 millions d’euros de mécénat, 7,4 millions d’euros d’exonérations et d’allègements de cotisations – soit 0,4 % de notre masse salariale en France -, 12,2 millions d’euros de bonus apprentissage – nous avons 1 800 apprentis -, et 5 millions d’euros d’aide sur projets, de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe), des régions et d’autres collectivités territoriales. »

Concrètement, à quoi servent ces aides publiques ?

Rapporteur de la commission, le sénateur Fabien Gay souligne : « L’objectif de l’aide publique, c’est de soutenir le développement, l’innovation de rupture et l’emploi – un PDG nous a dit que le CIR ne devrait pas désigner le crédit d’impôt recherche, mais le crédit d’emploi recherche, parce qu’en réalité il sert à ce que des chercheurs fassent de la recherche sur notre territoire plutôt qu’ailleurs. Or, le problème avec Sanofi, c’est qu’alors que vous avez des résultats très confortables – 5,4 milliards d’euros, pour un chiffre d’affaires de 43 milliards dans le monde et 1,9 milliard en France -, qui vous permettent de distribuer des dividendes importants – 4,4 milliards -, alors que vous touchez un CIR important et stable – plus d’un milliard d’euros pour les dix dernières années, à raison d’une enveloppe de 105 à 115 millions d’euros chaque année -, vous avez supprimé des emplois de chercheurs : vous touchez plus d’un milliard d’euros pour la recherche en dix ans, mais vos effectifs de chercheurs fondent, littéralement. Je me réfère aux chiffres de l’observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), un organisme que vous jugerez sérieux, libéral, c’est lui qui met les deux chiffres en parallèle dans le tableau projeté : un milliard d’euros de CIR en dix ans, mais 3 500 suppressions de postes dans la R&D – le dernier plan social ayant concerné Vitry-sur-Seine. Je n’ai rien contre le fait d’aider les entreprises à faire de la recherche, des innovations de rupture, je n’aurai aucune difficulté à vous féliciter d’être un champion dans votre domaine, mais comment expliquez-vous que vous soyez l’un des champions du CIR tout en faisant fondre vos effectifs en R&D ? »

Annick Lacour réagit pour Médicament Bien Commun : «Cette commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises doit nous éclairer sur l’utilisation de celles-ci et leur contrôle. Elle peut aussi avoir pour objectif de proposer des changements ou adaptations à cette politique d’aides pour qu’elle soit efficiente et utile.

Citoyenne imposable, je pense souhaitable que ces aides soient conditionnées à des résultats sociaux sur le plan de la santé publique, du développement de l’emploi et de la capacité industrielle de la France. J’espère donc que de cette commission d’enquête émergent des propositions qui permettent d’accroître la transparence et le contrôle de ces aides publiques aux grands groupes.

Citoyenne /patiente/cotisante à la protection sociale, l’accès aux soins et donc aux médicaments est pour moi essentiel.

Développer de nouveaux médicaments et vaccins est une des activités attendues de l’industrie pharmaceutique française, donc de Sanofi. Une autre est de mettre à disposition de tous des médicaments essentiels pour mettre fin aux ruptures d’approvisionnement des pharmacies qui sont une source de stress importante chez les malades. Et enfin de maintenir et développer les outils de R&D et de fabrication en France afin d’assurer un avenir plus serein aux malades et aux salariés de Sanofi. »

Charles Wolf, ainsi que la directrice financière et le directeur recherche développement France, contestent le chiffre de 3000 suppressions de postes et le terme de licenciement. 

Fabien Gay précise : « Il y a eu quatre plans sociaux – on appelle cela des plans de sauvegarde de l’emploi, des PSE – chez Sanofi, successivement en 2014, 2019, 2021 et 2024, ils ont conduit non pas à des suppressions de postes avec reclassement, mais à des licenciements secs, dont le dernier annoncé en mars 2024 à Vitry-sur-Seine, pour 330 emplois supprimés dans la R&D. Je ne conteste pas que vous créiez des postes ailleurs, mais le problème, c’est la différence entre les suppressions et les créations, il y a quand même un delta de 3 000 à 3 500 postes en dix ans, alors même que vous avez obtenu plus de 100 millions d’euros de CIR chaque année. »

MJacques Volckmann. – « Nous contestons le chiffre de 3 000 suppressions d’emplois, parce qu’en 2014, nous avions 5 000 personnes dans la R&D et aujourd’hui environ 4 000, la réduction s’établit donc autour de 1000 postes de chercheurs et développeurs. Plusieurs raisons à cela. La première est une évolution qualitative : les laboratoires qui ont réussi se sont focalisés sur les recherches où ils étaient les plus avancés, c’est le virage que nous avons pris et qui nous a fait arrêter un certain nombre d’activités ou certains domaines de recherche. L’un des plans que vous citez correspond à cela : nous avons arrêté nos activités de recherche en cardiologie en région parisienne, pour nous concentrer sur l’oncologie. La deuxième raison tient à une évolution technologique elle-même : nous sommes désormais capables de faire des choses beaucoup plus rapidement avec des technologies que nous n’avions pas avant et qui nous conduisent à réduire et à changer la nature et la typologie d’un certain nombre de compétences dans nos équipes de recherche. Cela s’est traduit par une réduction du nombre de postes, à travers plusieurs plans que vous avez mentionnés : nous avons diminué nos effectifs d’environ un millier de personnes – mais sans licenciement, je rappelle que nous sommes passés par des départs volontaires. »

Éliane Mandine (MBC) réagit « En 2007, Sanofi était le 4e investisseur en Recherche et Développement (R&D), de l’industrie Pharma. En 2020 sa place est tombée au 10e rang. Avec des dépenses en hausse de 4,5% sur la période, il s’agit de la plus faible évolution des 15 plus gros investisseurs en R&D. 

Alors que des acteurs de l’industrie Pharmaceutique comme Roche, BMS, Gilead, ont choisi de renforcer significativement leurs investissements dans l’innovation pour maintenir leur compétitivité, Sanofi a préféré de quasiment stabiliser ses dépenses R&D.

Ce qui a entrainé pour Sanofi une forte décroissance du rendement de la R&D, suivi d’une diminution de 11% du Chiffre d’affaires entre 2012 et 2019, contre une progression moyenne des 9 autres principaux acteurs du Top 10 de plus de 7% sur la période.

Ce sont les salariés qui en paieront le prix : la baisse des effectifs de Sanofi entre 2015 et 2019 a été de 15 222(13,2% de l’ensemble des salariés) soit la plus forte réduction en nombre d’effectifs du Top 50 de l’industrie Pharmaceutique.

Sanofi est par ailleurs le seul acteur du Top 10 de l’industrie Pharma dont les effectifs ont diminué continuellement, chaque année depuis 2015.

En France le nombre d’employés a baissé, passant d’un peu plus de 25 000 collaborateurs en 2019 à moins de 22 000 en 2023. En R&D, quatre plans sociaux depuis 2014, et un cinquième annoncé en 2025, résultent en une réduction de la moitié les effectifs, passant de 6.000 à 3.000.  Telle est la réalité, de même que la fermeture ou la vente de 8 centres de recherche sur 11 en 15 ans.  

Même si les dirigeants du groupe contestent ces chiffres, et n’assument qu’une réduction de 1000 postes de chercheurs, ce sont 1000 suppressions de trop. Qu’importe que ce soit des départs négociés ou des licenciements, in fine c’est une perte de compétence et de ressources, mettant en péril le développement du potentiel de recherche de notre pays, et par là, réduisant les possibilités de découvertes pouvant donner lieu à de nouvelles thérapeutiques.

Depuis 2018, la diminution des investissements dans la R&D en interne est compensée par l’acquisition de Biotechs, ailleurs qu’en France, pour un montant de 45.7 milliards de dollars. Ce qui va dans le sens de la mutation profonde dans laquelle s’est engagée Sanofi, guidée par son souhait de devenir via l’innovation une « Biopharma ». On assiste bien à un désengagement de la recherche en interne (en France mais aussi ailleurs) au profit de structures externes, localisées hors de France, avec un tropisme pour les USA. Ce que démontre la frénésie d’acquisitions de compagnies américaines ces dernières années (Principia Biopharma, Provention Bio, Tidal Therapeutics, Inhibrx, Blueprint Medicines). Ce qui est ressenti par les équipes de chercheurs restantes dans l’Hexagone comme une délocalisation de leur savoir-faire, et une perte de perspectives pour le futur.

Bien qu’ayant reçu en dix ans un milliard d’Euros en CIR, Sanofi ne respecte pas le pacte tacite d’un maintien des activités de R&D sur le territoire, à défaut de les accroitre. Le groupe peut s’autoriser ces pratiques, l’attribution du CIR aux entreprises privées n’étant pas assortie d’un droit de regard des institutions publiques.

Questionner et demander des comptes à Sanofi sur l’utilisation du CIR est légitime, mais insuffisant si les modalités d’attribution et les moyens de les contrôler ne sont pas revus. »

Thierry Bodin (MBC) complète par cette remarque : subventions ou pas, et au-delà de la question des aires thérapeutiques éventuellement abandonnées, la R&D de Sanofi évolue structurellement selon un modèle qui détruit de l’emploi non seulement en France mais aussi dans tous les pays développés où il est implanté (Etats-Unis et Allemagne notamment).

Les tâches sont le plus possible standardisées et, une fois qu’elles le sont à un niveau significatif, elles sont souvent mises en sous-traitance (avec l’argument que les équipes internes doivent se recentrer sur des tâches plus intéressantes et à plus fort contenu) ou pour certaines transférées dans des « hubs », des plateformes Sanofi souvent localisées dans des pays à bas coût de main-d’œuvre comme la Hongrie et l’Inde, où d’ailleurs, malgré les arrivées régulières de nouvelles activités transférées des principaux pays. C’est ainsi que la productivité augmente et continue de faire son œuvre en supprimant d’autres effectifs. 

M. Charles Wolf. – « J’insiste sur cet élément important : nous devons nous transformer pour faire la différence sur des technologies innovantes. Les autorités de santé n’acceptent une innovation que si elle apporte une véritable valeur ajoutée, cela impose de se focaliser et donc de se transformer. Vous connaissez les entreprises, on ne fait pas de telles transformations de gaité de cœur ; quand on décide d’arrêter la R&D sur la partie cardiovasculaire, c’est un choix difficile, mais on le fait pour mieux se recentrer sur l’ARN messager, pour développer une molécule contre la sclérose en plaque. J’étais avec les équipes à Montpellier et à Sisteron, elles ont continué à travailler pendant la crise sanitaire pour développer leur programme et parvenir, je l’espère, à un résultat probant à la fin de cette année. Cette transformation est nécessaire. Nous nous sommes recentrés sur l’immunologie, là où nous pouvons vraiment faire la différence, créer un cercle vertueux où notre innovation pourra être valorisée par les autorités de santé dans le monde entier et nous permettre ensuite de réinvestir – nous sommes très confiants dans notre pipeline, nous avons de très bons candidats thérapeutiques en phase 3, ce que nous n’avions pas il y a quelques années. Cette transformation n’est pas facile, nous en sommes très conscients, mais elle nous place dans une situation bien meilleure que celle qui était la nôtre il y a quelques années. »

Thierry Bodin réagit pour MBC : Sanofi est en réalité engagé dans un profond processus de transformation pour évoluer vers un modèle dit « Biopharma » principalement centré sur les résultats d’une R&D externalisée, qui est un modèle à plus forte rentabilité mais à plus fort risque. Il finance cette transformation par l’abandon progressif (cession de sites et de marques) de nombreux pans d’activité en lien avec les produits matures du groupe, qui procurent une rente de situation. Toute la difficulté pour le groupe est de procéder à ces désengagements suffisamment vite pour dégager des moyens nouveaux pour la R&D (notamment pour y faire des acquisitions) sans pour autant compromettre la rente historique, en particulier dans l’hypothèse où la R&D ne délivre pas suffisamment vite de résultats transformés en succès commerciaux.

C’est pour cette raison que des branches entières d’activité ont été cédées, la santé animale (Mérial) vendue à Boehringer Ingelheim en 2017, les génériques (Zentiva) vendus au fonds d’investissement Advent en 2018, la chimie pour les tiers qui a donné naissance à EuroAPI en 2022, la santé grand public devenue autonome sous le nom d’Opella en 2025.

MJacques Volckmann. – « Vous posez une très bonne question sur l’efficacité des aides. En pratique, comment les choses se passent-elle ? Grâce aux aides, nous avons un portefeuille en développement qui n’a jamais été aussi fourni. L’an dernier, nous avons démarré sept phases 3, la dernière après les développements cliniques, avant les demandes d’autorisation aux autorités de santé. On a eu six entrées « en clinique », cela ne nous était pas arrivé depuis très longtemps. On a eu 8 résultats positifs. En septembre dernier, nous avons eu en particulier un résultat sur un produit qui s’appelle le tolebrutinib, dans le traitement de la sclérose en plaque, cette molécule entre dans le cerveau pour réduire l’inflammation, ce qui améliore la vie des patients, nous commençons le processus d’enregistrement, pour une mise sur le marché qu’on espère pour la fin de l’année. Or, ce produit, nous l’avons développé en France, à Sisteron, c’est là que nos équipes l’ont trouvé et l’ont développé chimiquement par un procédé qui a, lui aussi, été inventé sur place et y sera produit – et c’est à Montpellier qu’il sera développé en comprimé, en médicament, dans notre centre d’expertise mondiale en galénique. Au moment d’installer ce centre d’excellence nous nous étions interrogés sur sa localisation, nous avions des alternatives. Cette molécule, trouvée et développée en France, illustre la place de notre pays dans la R&D de niveau mondial, les équipes sont très fières de ce résultat. Et cette année, nous projetons d’aller plus loin encore, avec 16 enregistrements devant des autorités de santé … ».

M. Charles Wolf. – « Ces aides sont extrêmement utiles pour la compétitivité. Sans elles, le chercheur en France serait le deuxième plus cher du monde, derrière le chercheur aux États-Unis. Dans les critères de choix, il y a bien sûr les compétences, les relations avec les institutions du pays, mais le coût est un critère très important et quand Sanofi choisit une localisation, nous sommes obligés de choisir le projet le plus compétitif pour notre pérennité à long terme. Cela vaut pour la partie R&D comme pour la partie industrielle. Je propose que Philippe Charreau, notre directeur de l’industrie, vous présente le cas d’une aide à l’investissement pour notre usine à Sisteron, pour développer l’innovation dont je vous ai parlé sur la sclérose en plaques.« 

M. Philippe Charreau, directeur industriel France. : « Nous n’avons pas parlé de toutes les aides, je veux insister sur la partie industrielle. Sanofi compte 14 sites de production en France, ils représentent le tiers de notre empreinte industrielle mondiale et nous y employons 11 000 personnes, c’est le tiers de nos effectifs industriels à l’échelle du groupe tout entier : nous sommes très fiers de cette présence en France, elle tient à l’histoire de Sanofi et nous la perpétuons. Les aides publiques sont très importantes sur le plan industriel ; notre mission industrielle, c’est de continuer à fabriquer des produits matures, ceux qui ont perdu leur brevet depuis fort longtemps, mais dont se servent toujours nos patients et qui ont un enjeu de santé publique, nous devons les fabriquer à des coûts très compétitifs parce qu’on se bat contre les génériques ; notre mission industrielle, c’est aussi de préparer notre outil industriel à ce que sera notre portefeuille de médicaments de demain. Nous investissons jusqu’à 500 millions d’euros par an en France dans notre outil industriel, pour maintenir sa compétitivité sur les portefeuilles de produits matures, mais également pour le portefeuille de demain. Et les aides publiques sont déterminantes dans nos choix industriels quand l’État ou les collectivités soutiennent nos investissements comme notre usine à Sisteron, où nous avons mis 60 millions d’euros… »

Éliane Mandine réagit pour MBC : « On peut effectivement se demander si les aides publiques servent les enjeux de santé publique ou à pallier la faiblesse entrepreneuriale du groupe. Elles sont suffisamment conséquentes pour lui donner un avantage compétitif, ce que reconnait Sanofi en les qualifiant de « fondamentales pour l’attractivité de la France ». « Dans les critères de choix, il y a bien sûr les compétences, les relations avec les institutions du pays, mais le coût est un critère très important et quand Sanofi choisit une localisation, nous sommes obligés de choisir le projet le plus compétitif pour notre pérennité à long terme ». Autrement dit, Sanofi, mais aussi les autres industriels du médicament, n’hésitent pas à mettre les États en concurrence.

Au-delà du chantage systématique fait par ce géant pharmaceutique, des aides publiques contre la souveraineté sanitaire, et le maintien de l’emploi sur le territoire, ce qui est inconvenant dans le raisonnement tenu par les dirigeants du groupe est le peu de places laissé aux besoins en santé en France et dans le monde. Il n’est question que de compétitivité, de forte concurrence internationale, de chiffre d’affaires, d’objectifs de croissance, de « faire la différence sur des technologies innovantes au prétexte que les autorités de santé n’acceptent une innovation que si elle apporte une véritable valeur ajoutée ». Discours que l’on peut entendre pour une entreprise produisant des articles de luxe, ou des accessoires de mode, ou autres consommables, mais qui ne peut pas s’appliquer aux médicaments. Ceux-ci ne sont pas des produits de consommation ; ils sont essentiels au droit à la santé pour tous.  Nous ne devrions entendre que besoins de santé de la population, valeur d’usage des médicaments au bénéfice des patients subissant des maladies pour lesquelles on manque toujours de traitements, et des moyens, ressources et technologies, à mettre en place pour satisfaire ces besoins et améliorer la vie des patients. »

Thierry Bodin (MBC) ajoute : Sanofi fait juste jouer la concurrence des aides entre pays pour décider de ses investissements tant en R&D que dans l’industriel, mais il faut garder à l’esprit qu’il reçoit des aides non seulement de la France mais aussi d’autres pays et il n’y a pas de vision claire du montant total de toutes les aides publiques que le groupe reçoit au-delà du cas particulier de la France. Par exemple, lorsqu’il investit dans une usine en Italie, il reçoit des aides publiques italiennes ; lorsqu’il investit en Hongrie, il reçoit des aides publiques hongroises ; lorsqu’il investit au Canada, il reçoit des aides publiques canadiennes ; lorsqu’il investit aux Etats-Unis, il reçoit des aides américaines… C’est l’ensemble du fonctionnement de cette multinationale, tout comme celui des multinationales concurrentes, qui est largement basé sur un modèle « parasitaire » de siphonnage de fonds publics un peu partout dans le monde.

Opella et le Dolipane

Mme Anne-Sophie Romagny. – « Vous dites que les aides vous permettent de soutenir le développement pour garantir la souveraineté sanitaire, en faisant de la recherche en France et en y déposant des brevets. Vous n’avez pas parlé de la fabrication, alors que Sanofi a vendu sa filiale Opella – qui fabrique le Doliprane – à un fonds américain, étant rappelé qu’un fonds français était aussi candidat à la reprise. Est-ce que parmi les 2 200 dispositifs d’aide publique il n’y en n’a pas un qui vous permettrait de conserver en France la production d’un principe actif comme le paracétamol, qui participe de la souveraineté sanitaire ? Je suis assez surprise que toutes ces aides ne vous permettent pas de garder la production sur le sol français, cela m’interroge. »

M. Charles Wolf : « Le choix du repreneur d’Opella s’est fait sur un projet de croissance. Opella a des produits matures, des marques, ses métiers ne sont pas ceux vers lesquels s’oriente le nouveau Sanofi, celui de l’innovation, des nouvelles molécules – une fois qu’on optait pour notre virage stratégique, nous n’avions pas la capacité d’accompagner la croissance de deux pôles aussi différents. L’autonomisation d’Opella a été préparée pendant plusieurs années pour assurer un projet de croissance, nous avons pris toutes les garanties pour que le Doliprane soit sécurisé pour les Français – nous avons conservé le siège mondial en France, nous gardons 48 % des parts de la société, nous avons des garanties d’emplois et de production avec la société Seqens, qui produit le principe actif du Doliprane. »

M. Fabien Gay, rapporteur : « Je reviens sur la question de la souveraineté sanitaire et du Doliprane. Opella était valorisée à 16 milliards d’euros, vous en avez cédé 50 %, pourquoi avoir choisi, entre deux candidats, le fonds américain plutôt que le fonds français ? Combien cette filiale avait-elle touché d’aide publique ? On peut imaginer que quand de l’argent public contribue à valoriser une filiale d’un groupe, surtout une filiale stratégique, il y ait une forme de retour dans le cas où cette filiale soit vendue – Patrick Pouyanné, le PDG de TotalEnergies, nous a dit qu’en cas de retour à bonne fortune, il trouverait normal une forme de retour pour l’État. Est-ce que quand on vend la moitié d’une filiale valorisée à 16 milliards d’euros, il ne devrait pas y avoir un retour pour l’État qui a aidé pendant les dernières années ? »

Thierry Bodin réagit pour MBC : la cession d’Opella entre dans la stratégie du groupe de se désengager progressivement de ses activités historiques qui, bien que très rentables, le sont un peu moins que la moyenne, afin d’évoluer vers un modèle où la rentabilité moyenne est plus grande. Avec l’argent qu’il retire des cessions, Sanofi continue de poursuivre son double objectif de financement de la R&D et de soutien à ses propres actionnaires. Ainsi, en anticipation de la sortie d’Opella qui allait procurer une rentrée de cash (10 milliards d’euros) mais diminuer en valeur absolue le bénéfice par action (perte du bénéfice d’Opella), Sanofi a « renvoyé » 5 milliards à ses actionnaires sous forme de rachat d’actions, dont 3 milliards au seul groupe L’Oréal (qui reste néanmoins premier actionnaire du groupe). Ces actions rachetées sont destinées à être détruites afin de faire monter artificiellement le bénéfice par action des actions désormais moins nombreuses qui subsistent.

La cession d’Opella n’est en rien un sujet de souveraineté sanitaire ou nationale, par ailleurs le « fonds français » en concurrence avec le fonds américain était en consortium avec des intérêts d’Abu Dhabi et Singapour… 

La presse et une bonne partie du monde politique a régulièrement mis en avant la crainte d’une délocalisation de la production de Doliprane de Lisieux vers d’autres pays, mais passe sous silence le fait qu’en réalité, Lisieux se développe en prenant des volumes à des usines de Hongrie et de Pologne, ce qui ne semble émouvoir personne.

Par contre, il existe un vrai sujet lié à la sortie d’Opella, c’est celui du risque de ruptures concernant plusieurs médicaments contre les maladies cardiovasculaires, le diabète, les troubles du sommeil, les infections bactériennes etc., résultant du fait que sur une usine comme Opella Compiègne, de nombreux produits de prescription sont « mis dehors » chez des sous-traitants aux filières industrielles moins robustes, pour laisser la place à davantage de médicaments de santé grand public comme Dulcolax, conformes à la nature-même d’Opella, et qui sont eux-mêmes pris à des sous-traitants.

 En conclusion …

Force est de reconnaitre que les interlocuteurs de Sanofi, au cours de cette audition au Sénat, certes mentionnent la souveraineté sanitaire et les emplois de chercheurs en France, ne semblent pas vraiment prendre la mesure « qu’on ne fait pas de commerce avec les médicaments ». 

Le chemin semble encore long pour une prise de conscience de la société de l’urgence à sauver la santé de la prédation financière. 

Pénuries de médicaments : deux pharmaciens injustement sanctionnés

TRIBUNE

En tant que professionnels de santé engagés pour une pharmacieclinique, écologique et solidaire, Eliza Castagné et Antoine Prioux sont aujourd’hui sanctionnés pour avoir pratiqué la dispensation à l’unité, une mesure de bon sens face aux pénuries et au gaspillage.

Qui n’a pas été confronté à l’absence d’un médicament prescrit par le médecin dans sa pharmacie habituelle ?

Médicaments en tension, risques de ruptures sont hélas toujours d’actualité, malgré quelques mesures conjoncturelles qui ne s’attaquent pas aux causes profondes de ces pénuries1.

Ainsi, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a introduit, pour éviter le gaspillage des médicaments, la possibilité d’une Dispensation à l’unité (DAU) en officine, lorsque leur forme pharmaceutique le permet. Un décret du 30 janvier 2022 en a défini les modalités. 

Plus récemment, le parlement a voté l’obligation de la DAU en cas de pénuries de médicaments, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024.

Pourtant, deux pharmaciens exerçant sur le plateau de Millevaches, au cœur d’un désert médical, viennent d’être lourdement sanctionnés pour avoir dispensé des médicaments à l’unité. Deux professionnels, qui priorisent la satisfaction des besoins de leurs patient·es, sont condamnés à une interdiction d’exercice, durant 6 mois dont 4 avec sursis, par le conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine. 

Cette sanction très lourde nous interroge sur la réponse apportée par le conseil de l’ordre des pharmaciens face à 2 professionnels très investis.

S’il est essentiel de préserver la sécurité des patient·es, il est tout aussi important d’adapter nos pratiques à la réalité des risques de tensions ou de ruptures de médicaments.

Aussi, afin de vérifier le bien-fondé d’une sanction jugée bien lourde face aux manquements de ces deux pharmaciens, il nous paraît indispensable de répondre au moins à ces 2 questions avant toute décision.

Ont-ils bafoué la santé de leurs patient·es ? En ont-ils tiré un profit financier ?

Eliza Castagné à Bugeat et Antoine Prioux à Sornac fournissent, depuis leurs officines respectives, le compte exact de cachets aux patient·es quand cela est nécessaire, n’hésitant pas à allonger leur temps de travail.

Elle et il facture la boîte une seule fois, les doses restantes étant données gratuitement. Le numéro de lot et les dates de péremption sont soigneusement conservés et indiqués aux patient·es afin d’assurer la traçabilité des médicaments.

Ces deux praticiens, en phase avec les besoins du terrain, répondent, avec beaucoup de rigueur, à des enjeux de santé publique,

Avoir des professionnels, qui s’inscrivent dans une démarche de prévention, est une chance dans une situation où les tensions d’approvisionnement des médicaments sont majeures et touchent de plus en plus de molécules.

À l’heure où nous constatons que de plus en plus d’officines ne trouvent pas de repreneurs, sanctionner des pharmaciens, dont la démarche tend à enrayer déserts médicaux et pharmaceutiques, est une aberration.

Nous apportons tout notre soutien à Eliza Castagné et Antoine Prioux qui font appel de cette condamnation et nous demandons la levée immédiate de cette sanction.

  1. Cf « Pénurie de médicaments : trouver d’urgence le bon remède » Commission d’enquête sénatoriale du 4 juillet 2023 ↩︎

Signataires

Laurence Cohen, sénatrice 2011-2023

Pr François Alla, professeur de santé publique ( Université de Bordeaux)

Dr Émilie Auditeau, maître de conférences des universités

Thierry Bodin, ancien responsable syndical de Sanofi

Patrick Bodin, ancien responsable syndical chez Guerbet

Céline Brulin, sénatrice de la Seine-Maritime

Bernard Dubois, ancien salarié de Sanofi, syndicaliste

La FNIC-CGT ( Fédération des Industries Chimiques)

Pr André Grimaldi, professeur de médecine émérite CHU Pitié Salpêtrière 

Laurence Harribey, sénatrice de la Gironde

Gaëlle Krikorian, sociologue

Annick Lacour, technicienne de recherche retraitée, 

Fabien Mallet, coordonnateur CGT Sanofi

Éliane Mandine, membre du collectif «  Médicament Bien commun »

Danielle Montel, ancienne responsable syndicale Roussel-Uclaf

Valérie Peugeot, ancienne commissaire à la CNIL en charge des données de santé

Jean-Louis Peyren, secrétaire FNIC-CGT, référent industrie pharmaceutique

Émilienne Poumirol, sénatrice de la Haute-Garonne

Danièle Sanchez, ancienne responsable syndicale EDF

Les problèmes de riches des Big Pharma

Le 11 avril 2025, pas moins de 32 multinationales de Big Pharma ont interpellé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avec les exigences suivantes :

– rémunérer l’innovation à sa juste valeur, avec des prix de médicaments qui ne soient plus sous pression permanente ;

– protéger la propriété intellectuelle avec douze années de protection au total, contre dix actuellement,

– harmoniser les législations environnementales, chimiques et sanitaires ;

– simplifier les processus de mise sur le marché en instaurant un cadre européen unique.

En résumé, les géants pharmaceutiques exigent des règles plus souples sur les prix des médicaments, un allongement de la durée de leur monopole de commercialisation, conféré par les brevets, la révision de normes environnementales, incluant la suspension de directives européennes protégeant l’environnement, une accélération des procédures de mise sur le marché[i].

Ces entreprises font planer la menace, en cas de refus, de détourner les investissements futurs vers les USA (ce que prévoyaient déjà plusieurs laboratoires, dont Roche). En clair, elles demandent une Europe moins exigeante et plus complaisante, sous peine de priver l’Europe de 16,5 milliards d’euros d’investissements d’ici à trois mois.

Le message des laboratoires est limpide : le marché américain est libre, rapide, rentable ; l’Europe est lente, fragmentée, bureaucratique. 

Ces entreprises seraient-elles en difficulté ? Que nenni !

Depuis trois décennies, le secteur de l’industrie pharmaceutique connaît une croissance soutenue avec un retour sur investissement médian de 13%[ii].

Le marché pharmaceutique mondial a atteint 1 607 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023, en progression de +8,2 % par rapport à 2022. Selon les estimations d’IQVIA, le marché mondial du médicament devrait dépasser 2 200 milliards de dollars d’ici 2028[iii].

Ces deux dernières années, les plus grosses entreprises européennes : Sanofi, Novartis, GSK, Roche ou Astra-Zeneca, ont versé près de 50 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires.

En 2024, Sanofi a réalisé un bénéfice net de 5,7 milliards d’euros. Novartis, de son côté, a enregistré un bénéfice net de 11,9 milliards de dollars.

Est-ce au profit des populations ? Que nenni !

L’innovation est envisagée par le seul prisme de la rentabilité maximale. De fait, les Big Pharma se concentrent sur les axes de santé les plus rentables, les cancers, les maladies chroniques, auto-immunes, où le prix des traitements explose, pour une durée que les entreprises cherchent sans cesse à prolonger, en demandant un allongement de la durée de vie des brevets.

Dans le même temps de nombreux médicaments anciens, efficaces, bien moins onéreux, sont cédés voire arrêtés pour certains.

Ces politiques du médicament sont en inadéquation avec les besoins de santé publique, dont témoignent notamment les pénuries de médicaments en France et en Europe, en augmentation depuis plusieurs années, compromettant l’accès aux soins et causant des pertes de chances de survie des patients. Parallèlement, l’escalade des prix pour les innovations thérapeutiques, conduit à des dispositifs de sélection des patient.e.s susceptibles de recevoir ces nouveaux médicaments, pour ne pas mettre à mal les systèmes de protection sociale, tels que la Sécurité sociale, en France.

L’évolution du groupe Sanofi en constitue le plus triste exemple : 

A l’assemblée générale (AG) des actionnaires de Sanofi, ce 30 avril, a été annoncé le nouveau record des dividendes Sanofi (3,92€ par action), marquant 30 années d’augmentation consécutives, portant le montant total versé aux actionnaires à 4,91 milliards d’euros. Le salaire fixe de son Directeur général, Paul Hudson, a cru de 14% et va probablement dépasser les 10 millions d’euros incluant une rémunération variable, dont les critères sont quasi exclusivement financiers. 

Les actionnaires sont chouchoutés au prix de cessions de centaines de médicaments anciens mais fort utiles, tels que, dernièrement, le Doliprane, le Kardégic, l’Aspegic ou abandonnés comme l’Immucyst (vaccin thérapeutique très efficace contre le cancer de la vessie).

Pour ne garder que les secteurs les plus rentables de la santé, Sanofi n’a pas hésité à vendre ses activités de médicaments grand public au fonds d’investissement spéculatif américain CD&R, a cédé la distribution de médicaments à DHL, et a massacré la recherche : ont été arrêtées les recherches en chimie, antibiothérapie, diabète, cardiovasculaire, et encore, dernièrement, sur le cancer. Au total 8 centres de recherche en France ont fermé et 50% des effectifs de ce domaine ont été supprimés. Le nombre de leurs salariés est passé de 28 000 à 18 000 en France ; et la saignée continue ! Ces plans de restructuration sont en partie financés par le crédit d’impôt recherche (plus de 100 millions € par an), permettant en outre à Sanofi de s’affranchir du paiement d’impôt sur les sociétés en France.

Sanofi, comme annoncé à grand renfort de publicité à l’AG des actionnaires,  préfère miser sur « la création de valeur durable pour les actionnaires » en rachetant 2,3 % des actions détenues par l’Oréal, avec l’objectif de les détruire, action qui «s’inscrit pleinement dans la politique d’allocation du capital de Sanofi »Le groupe précise qu’en 2025, 5 milliards de rachat/annulation d’actions seront réalisésUne aubaine pour la spéculation financière!

Si on récapitule, 5 milliards de dividendes plus 5 milliards de rachat d’actions, ce sont 10 milliards d’euros dilapidés en faveur des actionnaires. Ces chiffres ne révèlent pas une entreprise en difficulté, au contraire !

Heureusement des résistances, certes encore timides, se font jour :

Suite aux actions conduites par des organisations syndicales, le dernier plan de sauvegarde de l’emploi lié à la restructuration de la R&D de Sanofi (avec 335 suppressions d’emplois) vient d’être annulé par le Tribunal administratif[iv]. Même si la loi empêche de contester ce plan sur le fond, cette annulation permet aux salariés menacés de licenciement de gagner des reclassements.

Sur le site d’Amilly, qui produit entre autres le Kardegic et l’Aspegic, dont se désintéresse totalement Sanofi, les salariés se battent depuis 2 mois contre le projet de cession.

Ce ne sont pas les considérations de valeur d’usage des traitements au bénéfice des patients qui guident les choix de Sanofi – en se désintéressant de Kardegic, fort utile mais rapportant trop peu d’euros par mois, et en privilégiant Dupixent, médicament immunologique, dont le monopole de la commercialisation est protégé par un brevet d’exploitation, vendu 1200 € pour un traitement mensuel – mais bien la favorisation de l’accumulation des richesses au profit de quelques privilégiés.

La stratégie des industries pharmaceutiques de se recentrer sur les activités d’innovations thérapeutiques à haute valeur ajoutée, pour répondre à un objectif de croissance, avec une pratique de prix exorbitants, pose la question de l’accessibilité aux soins pour tous, et de la soutenabilité dans le temps du système de protection sociale comme celui qui prévaut en France. 

Les professionnels de santé, les organisations syndicales alertent mais le Gouvernement reste muet, empêtré dans sa logique néolibérale du marché : maintenir des prix libres même si ceux-ci conduisent à une explosion du coût des traitements, et en finir avec une assurance maladie solidaire financée par les cotisations sociales, pour la remplacer par le chacun pour soi des assurances privées. Vive la santé lucrative que seuls les plus riches pourront s’offrir !

Si les USA sont entre la 30e et la 40e place en termes d’espérance de vie, ce fait est lié, certes, au mode de vie d’une partie des populations mais surtout au système privé de protection sociale conduisant nombre d’américains à ne pas se soigner.

Ce système a conduit, entre autres, au scandale de la délivrance massive d’opioïdes par les labos pharmaceutiques, à l’augmentation inacceptable du prix des insulines… au mépris total de la santé des patients. Des milliers de morts en sont la conséquence ces dernières années. Est-ce là le modèle dont nous pouvons rêver ?

Nous sommes dans le monde du médicament bien marchand privé, loin, très loin du médicament bien commun. Ce qui est vrai pour le médicament l’est également pour l’ensemble des activités liées à la santé. Le rêve libéral est de pouvoir privatiser la Sécurité sociale et la santé dans sa globalité, pour en faire une manne financière. L’heure a sonné de dénoncer cette vision d’une société où tous les aspects de la vie sont totalement marchandisables et sources potentielles de profit.

Pour combattre avec force cette marchandisation de la santé, qui va à l’encontre de l’effectivité du droit à la santé pour tous, et imposer d’autres choix, nous avons à travailler à des convergences avec l’ensemble des personnels du système de soins de santé, les salariés de l’industrie, ceux de la recherche, de l’enseignement et du service public.

Le médicament doit devenir un bien commun via une appropriation sociale, sous la maîtrise d’une sécurité sociale refondée sur les bases de sa création, chacun cotisant selon ses moyens et recevant selon ses besoins. 

C’est l’engagement du collectif Médicament Bien Commun. Contactez nous.

NB : Le laboratoire pharmaceutique d’origine française, Sanofi, a fait part, mercredi 14 mai, de son intention d’investir « au moins 20 milliards de dollars » outre-Atlantique dans les cinq prochaines années[v]

Cet investissement est dans la continuité du renforcement industriel décidé par le groupe, dans l’un des plus grands clusters biotechnologiques au monde près de Boston, dans le Massachusetts, suite au  rachat de Genzyme, société américaine acquise en 2011, dans laquelle il a injecté 290 millions d’euros pour la transformer en site pilote de bioproduction digitalisé, inauguré en 2019. Cette installation est dans le viseur de la Food and Drug Administration (FDA) qui a adressé une lettre d’avertissement à la Genzyme Corporation de Sanofi SA, pour des manquements présumés à la qualité.

Cet avertissement est-il destiné à faire pression sur Sanofi, qui réalise 49% de son chiffre d’affaires aux États-Unis, mais n’y produit que 25% de ses médicaments, pour l’inciter à  accroitre plus rapidement sa présence  dans ce pays? L’entreprise explique dans son communiqué de presse que cet investissement s’inscrit dans un contexte de préparation au « lancement potentiel de nombreux nouveaux médicaments » à destination des Américains et qu’il était planifié avant toute la discussion sur les droits de douane initiée par D. Trump. 

Il n’en demeure pas moins que cette annonce est ressentie par les salariés de Sanofi comme un transfert de leur savoir-faire hors d’Europe, une délocalisation massive de la recherche réduisant drastiquement leur capacité d’innovation.

Médicament Bien Commun – mai 2025


[i] https://fnic-cgt.com/2025/04/18/les-laboratoires-pharmaceutiques-ne-reculent-devant-rien-2/

[ii] https://kpmg.com/fr/fr/insights/sante/panorama-enjeux-industrie-pharmaceutique.html

[iii] https://www.mind.eu.com/health/industrie/le-leem-dresse-le-bilan-economique-de-lannee-2023/

[iv] https://melun.tribunal-administratif.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/travail-annulation-du-plan-de-sauvegarde-de-l-emploi-de-la-societe-sanofi-r-d

[v] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/05/14/sanofi-promet-d-investir-20-milliards-de-dollars-aux-etats-unis_6606132_3234.html

La place des médicaments dans le Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale  2025.

La construction du Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est l’occasion de discuter la politique du médicament avec différents partenaires, mais ne nous y trompons pas, c’est uniquement sous l’angle financier, en termes de dépenses à ne pas dépasser pour les uns, de subventions et de fiscalités, source de profit pour les plus grandes entreprises, pour les autres. 

Le PLFSS est en effet établi sur l’énoncé gouvernemental d’un déficit social de 18,3 Md€, et 661 Md€ de dépenses de la Sécurité sociale. Cet aspect comptable de la gestion et du financement de la Sécurité sociale occulte les principes fondamentaux qui ont présidé à sa création. Rappelons que le principe fondateur de la Sécurité sociale est « à chacun.e selon ses besoins, de chacun.e selon ses moyens ». Le financement de la Sécurité sociale repose sur la cotisation sociale prélevée sur le travail, et si ce financement reposait réellement sur l’ensemble de la production de richesse (cotisation salariale et cotisation patronale), il n’y aurait pas de déficit. Par ailleurs il n’est pas anormal que les dépenses de santé augmentent à condition que celles-ci soient représentatives d’une amélioration effective de la santé publique. 

Or ces augmentations sont qualifiées de « dérapage des dépenses de l’Assurance maladie ».  Les 1,2 milliards d’euros supplémentaires possiblement dépensés pour les médicaments en 2024, par rapport aux prévisions sur lesquelles le budget 2024 a été construit, représenteraient un « risque » voire un drame à éviter. C’est refouler que  ce dérapage est en partie lié à une erreur d’appréciation sur la dynamique des dépenses de médicaments, liée au vieillissement de la population et aux pathologies de longue durée qui y sont associées. Il est aussi le résultat des politiques passées de restrictions budgétaires de l’hôpital qui ont durement affaibli le système de santé, et du manque de volonté de résorber les déserts médicaux.

Ces politiques conduisent à des retards de prise en charge des patients, entrainant une aggravation de leur pathologie nécessitant alors une médicalisation plus lourde et souvent de plus longue durée. Est également en cause la législation du travail, modifiée pour renforcer la compétitivité des entreprises, au prix de conditions de travail délétères pour les salariés, génératrices de souffrance entrainant une augmentation de la fréquence des pathologies (depuis les troubles musculo–squelettiques [TMS] jusqu’aux burn-out). Ce qui risque de s’aggraver avec le recul de l’âge des départs à la retraite.

Le déficit social est le sempiternel prétexte, utilisé par le gouvernement, pour détricoter la Sécurité sociale, au profit de la privatisation de la santé par diverses entreprises lucratives dont les complémentaires de santé. Parmi les mesures prises pour réduire ce déficit, la baisse de 5% la part de la « Sécu » dans le remboursement des consultations médicales, en décidant dans le même temps de les augmenter de 26.50 à 30 Euros, et la baisse du remboursement des médicaments également de 5 %, en sont l’illustration. Elles représentent bien un transfert de charges aux assurés sociaux, soit directement, pour les 3 millions de personnes n’ayant pas de complémentaire santé, soit par une hausse proportionnelle de la part des complémentaires et mutuelles de santé. Ces dernières ont effectivement annoncé le 18 décembre dernier une augmentation de leurs tarifs, en moyenne de 6 % en 2025.

Peu importe que ces mesures risquent fort de s’accompagner d’une augmentation du renoncement aux soins pour raisons financières, estimé à 36% de la population en 2023. Ce qui compte c’est l’économie faite pour la Sécurité sociale ! Or ces économies remettent en cause le principe fondateur de prise en charge de chacun.e selon ses besoins !

L’impopularité de ces mesures a conduit M. Barnier, pour sauver sa tête de chef de gouvernement, à promettre, le 2 décembre 2024, de ne pas dérembourser de médicaments en 2025 par voie règlementaire.

Si la baisse du remboursement des médicaments n’est pas réintroduite dans la nouvelle mouture de PLFSS présentée par le gouvernement de F. Bayrou, le Leem (Les Entreprises du médicament) risque de grincer des dents, par crainte de voir sa contribution majorée. Ce qu’il s’empresse de signifier dans un communiqué de presse du 11 décembre 2024, demandant le respect des engagements budgétaires et alertant sur « les conséquences potentielles, [….] de la mise en application de mesures non concertées avec le secteur[i] ».

En novembre 2024 les représentants des Entreprises du médicament et le Gouvernement (les ministères de la Santé et de l’Accès aux Soins, du budget et des Comptes publics et de l’Industrie) ont conclu un accord destiné à générer 600 millions d’euros d’économies, essentiellement grâce à une démarche de bon usage et de promotion des bonnes pratiques en matière de médicament.

En échange, le Leem avait obtenu un plafonnement de la clause de sauvegarde à  1.6 Md€[ii], au même niveau qu’en 2024, et revendiqué un cadre politique et économique favorable aux investissements stratégiques en France, tant pour l’innovation que pour la production de médicaments en France et en Europe.

Les Entreprises du médicament considèrent que leur mise à contribution aux mesures d’économies de l’Assurance maladie est excessive. Selon le Leem, c’est le médicament qui contribuerait le plus aux économies du système de santé, alors qu’il ne représenterait que 8.9% des dépenses de l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie)[iii] dans lequel il est intégré à travers les soins de ville et les soins hospitaliers, et qu’il augmenterait moins vite que les dépenses totales  de l’Ondam. D’autre part les entreprises estiment consentir suffisamment à l’effort collectif avec les réductions des prix sur certains médicaments et le montant des remises accordées lors des négociations avec le CEPS (Centre d’Etude et de Prospective Stratégique).

Le marché pharmaceutique se révèle particulièrement dynamique depuis 2021, avec une évolution annuelle du chiffre d’affaires (CA) brut du médicament ayant triplé (avant remises et clause de sauvegarde), passant de 3 % à la fin des années 2010 à près de 10 % en 2022. En 2023 Sanofi, la seule multinationale d’origine française, à elle seule a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 43 milliards d’euros et distribué près de 5 milliards d’euros aux actionnaires. Pourtant, toujours d’après le Leem, la pression économique exercée impacterait la croissance. Il serait urgent d’arrêter d’asphyxier les entreprises avec la fiscalité la plus forte en Europe. A commencer par la clause de sauvegarde, dont le plafond doit être maintenu à 1,6Mds€ en 2024, et sa trajectoire de décroissance, amorcée dès 2025, pour atteindre moins de 500 millions d’euros en 3 ans. Dans le même temps le crédit-impôt recherche doit être sanctuarisé pour soutenir l’innovation thérapeutique, ainsi que l’accélération et la  simplification des procédures d’accès précoce des patients aux traitements innovants et les recueils de données associées. Ces procédures permettent une mise sur le marché plus rapide synonyme d’augmentation du CA.

En filigrane se devine le chantage à la délocalisation (ce dont ne se prive pas Sanofi qui a fermé une vingtaine de sites en 10 ans), la perte d’emplois sur le territoire (Sanofi a supprimé un millier de postes depuis 2022) et aussi, in fine, notre souveraineté sanitaire, si les conditions de la soutenabilité économique, l’attractivité de la France en matière de recherche, d’essais cliniques, de production ne sont pas favorables.

Quid des besoins de santé de la population, de la disponibilité des médicaments vitaux, à l’heure où leur nombre en rupture de stock est en augmentation exponentielle ? Quid de l’accès pour tous les patients aux traitements innovants si leur prix reste à des hauteurs stratosphériques rendant problématique leur financement et leur intégration dans les parcours de soins ?

Un pilotage gouvernemental associant l’ensemble des acteurs du médicament, et la transparence sur l’état réel des stocks sur chaque maillon de la chaîne, sont des moyens de gérer la pénurie, pas de la réduire. De même l’accès précoce aux innovations thérapeutiques répond plus à un retour sur investissement plus rapide pour les entreprises qu’à un meilleur accès aux soins. 

Une meilleure réponse aux enjeux sanitaires de la France nécessite de changer de paradigme. Les autorités publiques ont la responsabilité de garantir l’accessibilité universelle aux soins de santé et aux médicaments, mais en pratique les arbitrages politiques sont définis non pas à partir des besoins identifiés de la population, mais à partir des objectifs généraux d’économies que l’Etat compte réaliser sur le dos de la population. Ce sont les besoins de la santé publique qui devraient conduire à définir à quoi doit ressembler l’industrie du médicament, et non l’inverse. La taxation des entreprises est une source d’économies, qui reste bien en deçà de ce que ces dernières prélèvent à travers leurs activités et aussi de ce dont elles bénéficient en tant qu’entreprises tout court. La politique économique et industrielle doit être mise au service de la santé publique, pour le bien-être des citoyens, en respect du droit humain universel à la santé. Le budget consacré à la santé n’est pas une  dépense mais un investissement pour le bien commun.


[i] https://www.leem.org/presse/plfss-2025-le-leem-appelle-nouveau-une-meilleure-previsibilite-de-la-charge-economique

[ii] La clause de sauvegarde s’applique a posteriori pour réguler le chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique. La « contribution M », également appelée « clause de sauvegarde » consiste en une contribution due par les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques dès lors que leur chiffre d’affaires hors taxes et net de remises réalisé en France métropolitaine et dans les départements d’outremer, au titre de certains médicaments, dé- passe un certain seuil, appelé montant M.

[iii] l’Ondam représente un objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de protection sociale.

L’objectif national des dépenses de l’Assurance maladie est composé de 6 postes de dépenses (ou « sous-objectifs ») : 1. les dépenses de soins de ville, comprenant une partie des dépenses de médicaments ; 2. les dépenses relatives aux établissements de santé, comprenant l’autre partie des dépenses de médicaments ; 3. les dépenses en établissements et services pour personnes âgées ; 4. les dépenses en établissements et services pour personnes handicapées ; 5. les dépenses relatives au fonds d’action régionale ; 6. les autres prises en charge.