Pénuries de médicaments : deux pharmaciens injustement sanctionnés

TRIBUNE

En tant que professionnels de santé engagés pour une pharmacieclinique, écologique et solidaire, Eliza Castagné et Antoine Prioux sont aujourd’hui sanctionnés pour avoir pratiqué la dispensation à l’unité, une mesure de bon sens face aux pénuries et au gaspillage.

Qui n’a pas été confronté à l’absence d’un médicament prescrit par le médecin dans sa pharmacie habituelle ?

Médicaments en tension, risques de ruptures sont hélas toujours d’actualité, malgré quelques mesures conjoncturelles qui ne s’attaquent pas aux causes profondes de ces pénuries1.

Ainsi, la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire a introduit, pour éviter le gaspillage des médicaments, la possibilité d’une Dispensation à l’unité (DAU) en officine, lorsque leur forme pharmaceutique le permet. Un décret du 30 janvier 2022 en a défini les modalités. 

Plus récemment, le parlement a voté l’obligation de la DAU en cas de pénuries de médicaments, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2024.

Pourtant, deux pharmaciens exerçant sur le plateau de Millevaches, au cœur d’un désert médical, viennent d’être lourdement sanctionnés pour avoir dispensé des médicaments à l’unité. Deux professionnels, qui priorisent la satisfaction des besoins de leurs patient·es, sont condamnés à une interdiction d’exercice, durant 6 mois dont 4 avec sursis, par le conseil régional de l’ordre des pharmaciens de Nouvelle-Aquitaine. 

Cette sanction très lourde nous interroge sur la réponse apportée par le conseil de l’ordre des pharmaciens face à 2 professionnels très investis.

S’il est essentiel de préserver la sécurité des patient·es, il est tout aussi important d’adapter nos pratiques à la réalité des risques de tensions ou de ruptures de médicaments.

Aussi, afin de vérifier le bien-fondé d’une sanction jugée bien lourde face aux manquements de ces deux pharmaciens, il nous paraît indispensable de répondre au moins à ces 2 questions avant toute décision.

Ont-ils bafoué la santé de leurs patient·es ? En ont-ils tiré un profit financier ?

Eliza Castagné à Bugeat et Antoine Prioux à Sornac fournissent, depuis leurs officines respectives, le compte exact de cachets aux patient·es quand cela est nécessaire, n’hésitant pas à allonger leur temps de travail.

Elle et il facture la boîte une seule fois, les doses restantes étant données gratuitement. Le numéro de lot et les dates de péremption sont soigneusement conservés et indiqués aux patient·es afin d’assurer la traçabilité des médicaments.

Ces deux praticiens, en phase avec les besoins du terrain, répondent, avec beaucoup de rigueur, à des enjeux de santé publique,

Avoir des professionnels, qui s’inscrivent dans une démarche de prévention, est une chance dans une situation où les tensions d’approvisionnement des médicaments sont majeures et touchent de plus en plus de molécules.

À l’heure où nous constatons que de plus en plus d’officines ne trouvent pas de repreneurs, sanctionner des pharmaciens, dont la démarche tend à enrayer déserts médicaux et pharmaceutiques, est une aberration.

Nous apportons tout notre soutien à Eliza Castagné et Antoine Prioux qui font appel de cette condamnation et nous demandons la levée immédiate de cette sanction.

  1. Cf « Pénurie de médicaments : trouver d’urgence le bon remède » Commission d’enquête sénatoriale du 4 juillet 2023 ↩︎

Signataires

Laurence Cohen, sénatrice 2011-2023

Pr François Alla, professeur de santé publique ( Université de Bordeaux)

Dr Émilie Auditeau, maître de conférences des universités

Thierry Bodin, ancien responsable syndical de Sanofi

Patrick Bodin, ancien responsable syndical chez Guerbet

Céline Brulin, sénatrice de la Seine-Maritime

Bernard Dubois, ancien salarié de Sanofi, syndicaliste

La FNIC-CGT ( Fédération des Industries Chimiques)

Pr André Grimaldi, professeur de médecine émérite CHU Pitié Salpêtrière 

Laurence Harribey, sénatrice de la Gironde

Gaëlle Krikorian, sociologue

Annick Lacour, technicienne de recherche retraitée, 

Fabien Mallet, coordonnateur CGT Sanofi

Éliane Mandine, membre du collectif «  Médicament Bien commun »

Danielle Montel, ancienne responsable syndicale Roussel-Uclaf

Valérie Peugeot, ancienne commissaire à la CNIL en charge des données de santé

Jean-Louis Peyren, secrétaire FNIC-CGT, référent industrie pharmaceutique

Émilienne Poumirol, sénatrice de la Haute-Garonne

Danièle Sanchez, ancienne responsable syndicale EDF

Les problèmes de riches des Big Pharma

Le 11 avril 2025, pas moins de 32 multinationales de Big Pharma ont interpellé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avec les exigences suivantes :

– rémunérer l’innovation à sa juste valeur, avec des prix de médicaments qui ne soient plus sous pression permanente ;

– protéger la propriété intellectuelle avec douze années de protection au total, contre dix actuellement,

– harmoniser les législations environnementales, chimiques et sanitaires ;

– simplifier les processus de mise sur le marché en instaurant un cadre européen unique.

En résumé, les géants pharmaceutiques exigent des règles plus souples sur les prix des médicaments, un allongement de la durée de leur monopole de commercialisation, conféré par les brevets, la révision de normes environnementales, incluant la suspension de directives européennes protégeant l’environnement, une accélération des procédures de mise sur le marché[i].

Ces entreprises font planer la menace, en cas de refus, de détourner les investissements futurs vers les USA (ce que prévoyaient déjà plusieurs laboratoires, dont Roche). En clair, elles demandent une Europe moins exigeante et plus complaisante, sous peine de priver l’Europe de 16,5 milliards d’euros d’investissements d’ici à trois mois.

Le message des laboratoires est limpide : le marché américain est libre, rapide, rentable ; l’Europe est lente, fragmentée, bureaucratique. 

Ces entreprises seraient-elles en difficulté ? Que nenni !

Depuis trois décennies, le secteur de l’industrie pharmaceutique connaît une croissance soutenue avec un retour sur investissement médian de 13%[ii].

Le marché pharmaceutique mondial a atteint 1 607 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023, en progression de +8,2 % par rapport à 2022. Selon les estimations d’IQVIA, le marché mondial du médicament devrait dépasser 2 200 milliards de dollars d’ici 2028[iii].

Ces deux dernières années, les plus grosses entreprises européennes : Sanofi, Novartis, GSK, Roche ou Astra-Zeneca, ont versé près de 50 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires.

En 2024, Sanofi a réalisé un bénéfice net de 5,7 milliards d’euros. Novartis, de son côté, a enregistré un bénéfice net de 11,9 milliards de dollars.

Est-ce au profit des populations ? Que nenni !

L’innovation est envisagée par le seul prisme de la rentabilité maximale. De fait, les Big Pharma se concentrent sur les axes de santé les plus rentables, les cancers, les maladies chroniques, auto-immunes, où le prix des traitements explose, pour une durée que les entreprises cherchent sans cesse à prolonger, en demandant un allongement de la durée de vie des brevets.

Dans le même temps de nombreux médicaments anciens, efficaces, bien moins onéreux, sont cédés voire arrêtés pour certains.

Ces politiques du médicament sont en inadéquation avec les besoins de santé publique, dont témoignent notamment les pénuries de médicaments en France et en Europe, en augmentation depuis plusieurs années, compromettant l’accès aux soins et causant des pertes de chances de survie des patients. Parallèlement, l’escalade des prix pour les innovations thérapeutiques, conduit à des dispositifs de sélection des patient.e.s susceptibles de recevoir ces nouveaux médicaments, pour ne pas mettre à mal les systèmes de protection sociale, tels que la Sécurité sociale, en France.

L’évolution du groupe Sanofi en constitue le plus triste exemple : 

A l’assemblée générale (AG) des actionnaires de Sanofi, ce 30 avril, a été annoncé le nouveau record des dividendes Sanofi (3,92€ par action), marquant 30 années d’augmentation consécutives, portant le montant total versé aux actionnaires à 4,91 milliards d’euros. Le salaire fixe de son Directeur général, Paul Hudson, a cru de 14% et va probablement dépasser les 10 millions d’euros incluant une rémunération variable, dont les critères sont quasi exclusivement financiers. 

Les actionnaires sont chouchoutés au prix de cessions de centaines de médicaments anciens mais fort utiles, tels que, dernièrement, le Doliprane, le Kardégic, l’Aspegic ou abandonnés comme l’Immucyst (vaccin thérapeutique très efficace contre le cancer de la vessie).

Pour ne garder que les secteurs les plus rentables de la santé, Sanofi n’a pas hésité à vendre ses activités de médicaments grand public au fonds d’investissement spéculatif américain CD&R, a cédé la distribution de médicaments à DHL, et a massacré la recherche : ont été arrêtées les recherches en chimie, antibiothérapie, diabète, cardiovasculaire, et encore, dernièrement, sur le cancer. Au total 8 centres de recherche en France ont fermé et 50% des effectifs de ce domaine ont été supprimés. Le nombre de leurs salariés est passé de 28 000 à 18 000 en France ; et la saignée continue ! Ces plans de restructuration sont en partie financés par le crédit d’impôt recherche (plus de 100 millions € par an), permettant en outre à Sanofi de s’affranchir du paiement d’impôt sur les sociétés en France.

Sanofi, comme annoncé à grand renfort de publicité à l’AG des actionnaires,  préfère miser sur « la création de valeur durable pour les actionnaires » en rachetant 2,3 % des actions détenues par l’Oréal, avec l’objectif de les détruire, action qui «s’inscrit pleinement dans la politique d’allocation du capital de Sanofi »Le groupe précise qu’en 2025, 5 milliards de rachat/annulation d’actions seront réalisésUne aubaine pour la spéculation financière!

Si on récapitule, 5 milliards de dividendes plus 5 milliards de rachat d’actions, ce sont 10 milliards d’euros dilapidés en faveur des actionnaires. Ces chiffres ne révèlent pas une entreprise en difficulté, au contraire !

Heureusement des résistances, certes encore timides, se font jour :

Suite aux actions conduites par des organisations syndicales, le dernier plan de sauvegarde de l’emploi lié à la restructuration de la R&D de Sanofi (avec 335 suppressions d’emplois) vient d’être annulé par le Tribunal administratif[iv]. Même si la loi empêche de contester ce plan sur le fond, cette annulation permet aux salariés menacés de licenciement de gagner des reclassements.

Sur le site d’Amilly, qui produit entre autres le Kardegic et l’Aspegic, dont se désintéresse totalement Sanofi, les salariés se battent depuis 2 mois contre le projet de cession.

Ce ne sont pas les considérations de valeur d’usage des traitements au bénéfice des patients qui guident les choix de Sanofi – en se désintéressant de Kardegic, fort utile mais rapportant trop peu d’euros par mois, et en privilégiant Dupixent, médicament immunologique, dont le monopole de la commercialisation est protégé par un brevet d’exploitation, vendu 1200 € pour un traitement mensuel – mais bien la favorisation de l’accumulation des richesses au profit de quelques privilégiés.

La stratégie des industries pharmaceutiques de se recentrer sur les activités d’innovations thérapeutiques à haute valeur ajoutée, pour répondre à un objectif de croissance, avec une pratique de prix exorbitants, pose la question de l’accessibilité aux soins pour tous, et de la soutenabilité dans le temps du système de protection sociale comme celui qui prévaut en France. 

Les professionnels de santé, les organisations syndicales alertent mais le Gouvernement reste muet, empêtré dans sa logique néolibérale du marché : maintenir des prix libres même si ceux-ci conduisent à une explosion du coût des traitements, et en finir avec une assurance maladie solidaire financée par les cotisations sociales, pour la remplacer par le chacun pour soi des assurances privées. Vive la santé lucrative que seuls les plus riches pourront s’offrir !

Si les USA sont entre la 30e et la 40e place en termes d’espérance de vie, ce fait est lié, certes, au mode de vie d’une partie des populations mais surtout au système privé de protection sociale conduisant nombre d’américains à ne pas se soigner.

Ce système a conduit, entre autres, au scandale de la délivrance massive d’opioïdes par les labos pharmaceutiques, à l’augmentation inacceptable du prix des insulines… au mépris total de la santé des patients. Des milliers de morts en sont la conséquence ces dernières années. Est-ce là le modèle dont nous pouvons rêver ?

Nous sommes dans le monde du médicament bien marchand privé, loin, très loin du médicament bien commun. Ce qui est vrai pour le médicament l’est également pour l’ensemble des activités liées à la santé. Le rêve libéral est de pouvoir privatiser la Sécurité sociale et la santé dans sa globalité, pour en faire une manne financière. L’heure a sonné de dénoncer cette vision d’une société où tous les aspects de la vie sont totalement marchandisables et sources potentielles de profit.

Pour combattre avec force cette marchandisation de la santé, qui va à l’encontre de l’effectivité du droit à la santé pour tous, et imposer d’autres choix, nous avons à travailler à des convergences avec l’ensemble des personnels du système de soins de santé, les salariés de l’industrie, ceux de la recherche, de l’enseignement et du service public.

Le médicament doit devenir un bien commun via une appropriation sociale, sous la maîtrise d’une sécurité sociale refondée sur les bases de sa création, chacun cotisant selon ses moyens et recevant selon ses besoins. 

C’est l’engagement du collectif Médicament Bien Commun. Contactez nous.

NB : Le laboratoire pharmaceutique d’origine française, Sanofi, a fait part, mercredi 14 mai, de son intention d’investir « au moins 20 milliards de dollars » outre-Atlantique dans les cinq prochaines années[v]

Cet investissement est dans la continuité du renforcement industriel décidé par le groupe, dans l’un des plus grands clusters biotechnologiques au monde près de Boston, dans le Massachusetts, suite au  rachat de Genzyme, société américaine acquise en 2011, dans laquelle il a injecté 290 millions d’euros pour la transformer en site pilote de bioproduction digitalisé, inauguré en 2019. Cette installation est dans le viseur de la Food and Drug Administration (FDA) qui a adressé une lettre d’avertissement à la Genzyme Corporation de Sanofi SA, pour des manquements présumés à la qualité.

Cet avertissement est-il destiné à faire pression sur Sanofi, qui réalise 49% de son chiffre d’affaires aux États-Unis, mais n’y produit que 25% de ses médicaments, pour l’inciter à  accroitre plus rapidement sa présence  dans ce pays? L’entreprise explique dans son communiqué de presse que cet investissement s’inscrit dans un contexte de préparation au « lancement potentiel de nombreux nouveaux médicaments » à destination des Américains et qu’il était planifié avant toute la discussion sur les droits de douane initiée par D. Trump. 

Il n’en demeure pas moins que cette annonce est ressentie par les salariés de Sanofi comme un transfert de leur savoir-faire hors d’Europe, une délocalisation massive de la recherche réduisant drastiquement leur capacité d’innovation.

Médicament Bien Commun – mai 2025


[i] https://fnic-cgt.com/2025/04/18/les-laboratoires-pharmaceutiques-ne-reculent-devant-rien-2/

[ii] https://kpmg.com/fr/fr/insights/sante/panorama-enjeux-industrie-pharmaceutique.html

[iii] https://www.mind.eu.com/health/industrie/le-leem-dresse-le-bilan-economique-de-lannee-2023/

[iv] https://melun.tribunal-administratif.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/travail-annulation-du-plan-de-sauvegarde-de-l-emploi-de-la-societe-sanofi-r-d

[v] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/05/14/sanofi-promet-d-investir-20-milliards-de-dollars-aux-etats-unis_6606132_3234.html

La place des médicaments dans le Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale  2025.

La construction du Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est l’occasion de discuter la politique du médicament avec différents partenaires, mais ne nous y trompons pas, c’est uniquement sous l’angle financier, en termes de dépenses à ne pas dépasser pour les uns, de subventions et de fiscalités, source de profit pour les plus grandes entreprises, pour les autres. 

Le PLFSS est en effet établi sur l’énoncé gouvernemental d’un déficit social de 18,3 Md€, et 661 Md€ de dépenses de la Sécurité sociale. Cet aspect comptable de la gestion et du financement de la Sécurité sociale occulte les principes fondamentaux qui ont présidé à sa création. Rappelons que le principe fondateur de la Sécurité sociale est « à chacun.e selon ses besoins, de chacun.e selon ses moyens ». Le financement de la Sécurité sociale repose sur la cotisation sociale prélevée sur le travail, et si ce financement reposait réellement sur l’ensemble de la production de richesse (cotisation salariale et cotisation patronale), il n’y aurait pas de déficit. Par ailleurs il n’est pas anormal que les dépenses de santé augmentent à condition que celles-ci soient représentatives d’une amélioration effective de la santé publique. 

Or ces augmentations sont qualifiées de « dérapage des dépenses de l’Assurance maladie ».  Les 1,2 milliards d’euros supplémentaires possiblement dépensés pour les médicaments en 2024, par rapport aux prévisions sur lesquelles le budget 2024 a été construit, représenteraient un « risque » voire un drame à éviter. C’est refouler que  ce dérapage est en partie lié à une erreur d’appréciation sur la dynamique des dépenses de médicaments, liée au vieillissement de la population et aux pathologies de longue durée qui y sont associées. Il est aussi le résultat des politiques passées de restrictions budgétaires de l’hôpital qui ont durement affaibli le système de santé, et du manque de volonté de résorber les déserts médicaux.

Ces politiques conduisent à des retards de prise en charge des patients, entrainant une aggravation de leur pathologie nécessitant alors une médicalisation plus lourde et souvent de plus longue durée. Est également en cause la législation du travail, modifiée pour renforcer la compétitivité des entreprises, au prix de conditions de travail délétères pour les salariés, génératrices de souffrance entrainant une augmentation de la fréquence des pathologies (depuis les troubles musculo–squelettiques [TMS] jusqu’aux burn-out). Ce qui risque de s’aggraver avec le recul de l’âge des départs à la retraite.

Le déficit social est le sempiternel prétexte, utilisé par le gouvernement, pour détricoter la Sécurité sociale, au profit de la privatisation de la santé par diverses entreprises lucratives dont les complémentaires de santé. Parmi les mesures prises pour réduire ce déficit, la baisse de 5% la part de la « Sécu » dans le remboursement des consultations médicales, en décidant dans le même temps de les augmenter de 26.50 à 30 Euros, et la baisse du remboursement des médicaments également de 5 %, en sont l’illustration. Elles représentent bien un transfert de charges aux assurés sociaux, soit directement, pour les 3 millions de personnes n’ayant pas de complémentaire santé, soit par une hausse proportionnelle de la part des complémentaires et mutuelles de santé. Ces dernières ont effectivement annoncé le 18 décembre dernier une augmentation de leurs tarifs, en moyenne de 6 % en 2025.

Peu importe que ces mesures risquent fort de s’accompagner d’une augmentation du renoncement aux soins pour raisons financières, estimé à 36% de la population en 2023. Ce qui compte c’est l’économie faite pour la Sécurité sociale ! Or ces économies remettent en cause le principe fondateur de prise en charge de chacun.e selon ses besoins !

L’impopularité de ces mesures a conduit M. Barnier, pour sauver sa tête de chef de gouvernement, à promettre, le 2 décembre 2024, de ne pas dérembourser de médicaments en 2025 par voie règlementaire.

Si la baisse du remboursement des médicaments n’est pas réintroduite dans la nouvelle mouture de PLFSS présentée par le gouvernement de F. Bayrou, le Leem (Les Entreprises du médicament) risque de grincer des dents, par crainte de voir sa contribution majorée. Ce qu’il s’empresse de signifier dans un communiqué de presse du 11 décembre 2024, demandant le respect des engagements budgétaires et alertant sur « les conséquences potentielles, [….] de la mise en application de mesures non concertées avec le secteur[i] ».

En novembre 2024 les représentants des Entreprises du médicament et le Gouvernement (les ministères de la Santé et de l’Accès aux Soins, du budget et des Comptes publics et de l’Industrie) ont conclu un accord destiné à générer 600 millions d’euros d’économies, essentiellement grâce à une démarche de bon usage et de promotion des bonnes pratiques en matière de médicament.

En échange, le Leem avait obtenu un plafonnement de la clause de sauvegarde à  1.6 Md€[ii], au même niveau qu’en 2024, et revendiqué un cadre politique et économique favorable aux investissements stratégiques en France, tant pour l’innovation que pour la production de médicaments en France et en Europe.

Les Entreprises du médicament considèrent que leur mise à contribution aux mesures d’économies de l’Assurance maladie est excessive. Selon le Leem, c’est le médicament qui contribuerait le plus aux économies du système de santé, alors qu’il ne représenterait que 8.9% des dépenses de l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie)[iii] dans lequel il est intégré à travers les soins de ville et les soins hospitaliers, et qu’il augmenterait moins vite que les dépenses totales  de l’Ondam. D’autre part les entreprises estiment consentir suffisamment à l’effort collectif avec les réductions des prix sur certains médicaments et le montant des remises accordées lors des négociations avec le CEPS (Centre d’Etude et de Prospective Stratégique).

Le marché pharmaceutique se révèle particulièrement dynamique depuis 2021, avec une évolution annuelle du chiffre d’affaires (CA) brut du médicament ayant triplé (avant remises et clause de sauvegarde), passant de 3 % à la fin des années 2010 à près de 10 % en 2022. En 2023 Sanofi, la seule multinationale d’origine française, à elle seule a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 43 milliards d’euros et distribué près de 5 milliards d’euros aux actionnaires. Pourtant, toujours d’après le Leem, la pression économique exercée impacterait la croissance. Il serait urgent d’arrêter d’asphyxier les entreprises avec la fiscalité la plus forte en Europe. A commencer par la clause de sauvegarde, dont le plafond doit être maintenu à 1,6Mds€ en 2024, et sa trajectoire de décroissance, amorcée dès 2025, pour atteindre moins de 500 millions d’euros en 3 ans. Dans le même temps le crédit-impôt recherche doit être sanctuarisé pour soutenir l’innovation thérapeutique, ainsi que l’accélération et la  simplification des procédures d’accès précoce des patients aux traitements innovants et les recueils de données associées. Ces procédures permettent une mise sur le marché plus rapide synonyme d’augmentation du CA.

En filigrane se devine le chantage à la délocalisation (ce dont ne se prive pas Sanofi qui a fermé une vingtaine de sites en 10 ans), la perte d’emplois sur le territoire (Sanofi a supprimé un millier de postes depuis 2022) et aussi, in fine, notre souveraineté sanitaire, si les conditions de la soutenabilité économique, l’attractivité de la France en matière de recherche, d’essais cliniques, de production ne sont pas favorables.

Quid des besoins de santé de la population, de la disponibilité des médicaments vitaux, à l’heure où leur nombre en rupture de stock est en augmentation exponentielle ? Quid de l’accès pour tous les patients aux traitements innovants si leur prix reste à des hauteurs stratosphériques rendant problématique leur financement et leur intégration dans les parcours de soins ?

Un pilotage gouvernemental associant l’ensemble des acteurs du médicament, et la transparence sur l’état réel des stocks sur chaque maillon de la chaîne, sont des moyens de gérer la pénurie, pas de la réduire. De même l’accès précoce aux innovations thérapeutiques répond plus à un retour sur investissement plus rapide pour les entreprises qu’à un meilleur accès aux soins. 

Une meilleure réponse aux enjeux sanitaires de la France nécessite de changer de paradigme. Les autorités publiques ont la responsabilité de garantir l’accessibilité universelle aux soins de santé et aux médicaments, mais en pratique les arbitrages politiques sont définis non pas à partir des besoins identifiés de la population, mais à partir des objectifs généraux d’économies que l’Etat compte réaliser sur le dos de la population. Ce sont les besoins de la santé publique qui devraient conduire à définir à quoi doit ressembler l’industrie du médicament, et non l’inverse. La taxation des entreprises est une source d’économies, qui reste bien en deçà de ce que ces dernières prélèvent à travers leurs activités et aussi de ce dont elles bénéficient en tant qu’entreprises tout court. La politique économique et industrielle doit être mise au service de la santé publique, pour le bien-être des citoyens, en respect du droit humain universel à la santé. Le budget consacré à la santé n’est pas une  dépense mais un investissement pour le bien commun.


[i] https://www.leem.org/presse/plfss-2025-le-leem-appelle-nouveau-une-meilleure-previsibilite-de-la-charge-economique

[ii] La clause de sauvegarde s’applique a posteriori pour réguler le chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique. La « contribution M », également appelée « clause de sauvegarde » consiste en une contribution due par les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques dès lors que leur chiffre d’affaires hors taxes et net de remises réalisé en France métropolitaine et dans les départements d’outremer, au titre de certains médicaments, dé- passe un certain seuil, appelé montant M.

[iii] l’Ondam représente un objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de protection sociale.

L’objectif national des dépenses de l’Assurance maladie est composé de 6 postes de dépenses (ou « sous-objectifs ») : 1. les dépenses de soins de ville, comprenant une partie des dépenses de médicaments ; 2. les dépenses relatives aux établissements de santé, comprenant l’autre partie des dépenses de médicaments ; 3. les dépenses en établissements et services pour personnes âgées ; 4. les dépenses en établissements et services pour personnes handicapées ; 5. les dépenses relatives au fonds d’action régionale ; 6. les autres prises en charge.

Pour une industrie pharmaceutique au service du droit à la santé

TRIBUNE 1

Actuellement la santé est la seconde préoccupation de la population française après le pouvoir d’achat. La moitié des prescriptions médicales ne peuvent être honorées par les pharmacies, suite aux pénuries de médicaments en augmentation exponentielle depuis quelques années. 

Cette défaillance est majoritairement imputable au modèle économique du médicament sous la domination d’une vingtaine de grandes firmes qui, dans une fuite en avant permanente d’augmentation de plus-value pour satisfaire les actionnaires, construisent en conséquence leurs stratégies sans se soucier des éventuelles conséquences sociales et sanitaires. Dans leur ombre, une myriade d’acteurs de taille petite ou moyenne, gérant des activités délaissées par les premiers mais néanmoins indispensables, jonglent avec les difficultés d’organiser une production et une distribution cohérentes sur la base d’un modèle faisant largement appel à la sous-traitance. 

D’ici fin 2026, les laboratoires pharmaceutiques s’apprêtent à supprimer plus de 1600 postes en France. Soit globalement la suppression de plus de 6400 emplois, car chaque emploi direct dans l’industrie pharmaceutique génère 3 emplois dans l’économie. Pour le seul groupe Sanofi, ces suppressions pourraient dépasser les 1200 postes en quelques mois (800 postes ont déjà été supprimés en 2022). 

Cette hécatombe s’accompagne de l’abandon d’activités essentielles dans la recherche, la production et la distribution de médicaments. En premier lieu chez Sanofi :  l’arrêt des recherches en oncologie (cancers), cardiovasculaire, diabétologie, neurologie, infectiologie… soit plus de 70% des soins hospitaliers ou des besoins de santé publique. Tous les laboratoires sont touchés par cette valse incessante de restructurations, menaçant la production européenne d’antituberculeux et autres antibiotiques vitaux, le désengagement de nombreux médicaments anciens pourtant toujours déclarés utiles. 

Ces restructurations incessantes ont un coût humain exorbitant : le massacre de compétences de recherche et de production, d’équipes hautement qualifiées, qui ont mis des décennies à se constituer, hypothéquant le développement de nouvelles thérapeutiques dans le futur. Dans le présent, elles participent aux pénuries de médicaments essentiels mettant en danger les malades, la rupture d’égalité de l’offre de soins, la désertification de nos territoires. Quant aux rares sites qui se développent, tels que Novo Nordisk à Chartres, ils ont pour effet d’aspirer les personnels qualifiés d’autres usines de leur région qu’ils mettent parfois en difficulté sur des fonctions critiques.

Le Gouvernement et les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité dans la carence de l’offre de soins. Ils ne montrent pas de réelle volonté politique pour enrayer cette spirale d’éclatement de l’industrie pharmaceutique, qui met la France et l’Europe en grave situation de dépendance et de pénurie. Le Gouvernement persiste à soutenir ce secteur par les fonds publics distribués sans conditionnalité. Aujourd’hui il mobilise 1,7 milliard d’euros pour l’innovation santé dans le cadre de France Relance 2030, une fois de plus sans aucune contrepartie. A cela s’ajoutent des milliards d’euros en crédits d’impôts et exonérations sociales dont les entreprises pharmaceutiques bénéficient depuis plus d’une décennie. 

Citoyennes et citoyens, professionnel.le.s de santé, syndicalistes, militant.e.s d’associations, mutualistes, élu.e.s, responsables politiques, nous refusons le chantage permanent exercé par les laboratoires sur notre système de protection sociale, dans les négociations des prix des traitements, sous menace de pénuries.  Nous n’acceptons ni cette stratégie mortifère des laboratoires pharmaceutiques, ni la mansuétude ou l’accompagnement du Gouvernement par sa complaisance en avantages fiscaux, accordés à l’Industrie pharmaceutique, sans jamais exiger de contreparties. Alors que dans le même temps la politique gouvernementale impose l’austérité budgétaire pour tous les secteurs de la santé.

D’autres perspectives, dans l’intérêt du droit à la santé pour tous, de la recherche, de la maîtrise de la production, de la distribution des médicaments et traitements thérapeutiques, essentiels pour la santé publique, peuvent être développées. La commission d’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments a permis de démontrer l’urgence d’une intervention publique, face aux choix du secteur pharmaceutique, ainsi que la nécessité d’une coopération européenne. Une autre politique du médicament est nécessaire. Sa mise en œuvre est de la responsabilité de l’Assemblée nationale et du Sénat, du Gouvernement, des instances sanitaires et des laboratoires.

La reconnaissance du médicament comme bien commun, l’exigence d’une maîtrise publique de la recherche et de la production, autour d’un pôle public ou pôle socialisé du médicament, s’expriment dans l’espace public et tendent à devenir une aspiration commune des salariés et de la population. Des approches sont expérimentées dans d’autres pays. Par exemple : aux États-Unis, avec l’expérience Civica de regroupement des hôpitaux pour maitriser les prix des médicaments et pour produire des médicaments génériques, en premier lieu l’insuline ; au Brésil pour copier les médicaments contre le VIH/sida et les hépatites virales, à partir du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui ; en Afrique du Sud, où l’OMS a mis en place une plateforme de partage des technologies des vaccins à ARNm en juin 2021 pour copier le vaccin de Moderna. 

Nous appelons à un grand débat public sur le devenir de l’industrie pharmaceutique en France et en Europe, au service du droit à la santé pour toutes et tous. 

La santé, la recherche et la production de médicaments, sacrifiés sur l’autel de stratégies strictement financières et actionnariales, ça suffit !

Mobilisons-nous, associons-nous pour stopper cette hémorragie ! 

Signataires :

Médicament Bien Commun (www.medicament-bien-commun.org ) ; Comité Ivryen pour la santé et l’hôpital public ; Coordination nationale de Défense des Hôpitaux et Maternités de proximité ; Notre Santé en Danger; R.E.S.I.S.T. Réseau d’Entraide et de Soutien et d’Information sur la Stérilisation Tubaire (implants Essure®).

Guillaume Ageorges Vice-président du REVAV; Odile Blanc, sage-femme retraitée; Laurence Cohen, rapporteur de la commission sénatoriale sur les pénuries des médicaments; Didier Lambert, Association d’Entraide aux Malades de Myofasciite à Macrophages; Jean-Luc Maletras, CGT Thalès; Fabien Mallet, CGT Sanofi; Jean-Pierre Martin, militant Notre Santé en Danger; Catherine Meunier, Mutuelle des Pays de Vaucluse ; Bernard Moriau,  médecin généraliste;Françoise Nay, militante santé, co-animatrice du « Tour de France pour la Santé »; Bruno Percebois, médecin service public retraité ; Marie Petit-Signe, présidente d’un comité d’Usagers qui défend le système public de Santé ; Jean-Louis Peyren, FNIC-CGT; Dr Christophe, Prudhomme représentant CGT au conseil de la CNAM.

(1) Tribune publiée dans la revue Pratiques https://pratiques.fr/-Sante-et-soin-Les-voies-de-la-medecine-utopique-annonces-lu-etc-

Industrie pharmaceutique : stop à l’hémorragie !

Actuellement la santé est la seconde préoccupation de la population française après le pouvoir d’achat. La moitié des prescriptions médicales ne peuvent être honorées par les pharmacies, suite aux pénuries de médicaments en augmentation exponentielle depuis quelques années.

Cette défaillance est majoritairement imputable au modèle économique du médicament sous la domination d’une vingtaine de grandes firmes qui, dans une fuite en avant permanente d’augmentation de plus-value pour satisfaire les actionnaires, construisent en conséquence leurs stratégies sans se soucier des éventuelles conséquences sociales et sanitaires. Dans leur ombre, une myriade d’acteurs de taille petite ou moyenne, gérant des activités délaissées par les premiers mais néanmoins indispensables, jonglent avec les difficultés d’organiser une production et une distribution cohérentes sur la base d’un modèle faisant largement appel à la sous-traitance.

D’ici fin 2026, les laboratoires pharmaceutiques s’apprêtent à supprimer plus de 1600 postes en France. Soit globalement la suppression de plus de 6400 emplois, car chaque emploi direct dans l’industrie pharmaceutique génère 3 emplois dans l’économie. Pour le seul groupe Sanofi, ces suppressions pourraient dépasser les 1200 postes en quelques mois (800 postes ont déjà été supprimés en 2022).

Cette hécatombe s’accompagne de l’abandon d’activités essentielles dans la recherche, la production et la distribution de médicaments. En premier lieu chez Sanofi :  l’arrêt des recherches en oncologie (cancers), cardiovasculaire, diabétologie, neurologie, infectiologie… soit plus de 70% des soins hospitaliers ou des besoins de santé publique ; les difficultés du sous-traitant de principes actifs EuroApi, c’est-à-dire d’usines lâchées par Sanofi, menaçant la dernière production européenne d’antituberculeux et d’autres antibiotiques vitaux ; la cession de trois centres de distribution de médicaments pour la France et l’Export au groupe de logistique DHL qui est sans expérience en France en la matière ; le désengagement de nombreux médicaments anciens, dont beaucoup d’anti-infectieux, de cardiovasculaires, d’anti-inflammatoires et de médicaments de neurologie et psychiatrie ; la sortie programmée des médicaments sans ordonnance traités comme des produits de grande consommation ; la délocalisation en Hongrie et en Inde de nombreuses fonctions support.

Chez Servier, la cession attendue des génériques Biogaran, qui s’approvisionnent davantage en Europe que les autres génériqueurs pour leurs principes actifs, relève de la même démarche et comporte un risque. Chez Pierre Fabre, la mise sous forme pharmaceutique des anticancéreux injectables à Pau a été externalisée et, si des investissements de relocalisation  de principes actifs anticancéreux ont eu lieu à Gaillac, cela s’est fait au détriment d’une usine allemande. L’externalisation est aussi la règle chez de nombreux groupes étrangers, américains, allemands, suisses, britanniques, qui ont cédé à des sous-traitants la plupart de leurs usines françaises, quand ils ne menacent pas de les fermer comme AstraZeneka à Reims.

Parmi ceux qui, au contraire, se développent, Novo Nordisk et Lilly donnent la priorité au futur marché rémunérateur de l’obésité : leur rivalité dans la course aux capacités de production d’injectables risque de se faire au détriment des insulines pour les diabétiques, dont les prix seront en situation de monter au moment où les États européens souhaiteraient qu’ils baissent. La mobilisation de capacités pour les vaccins Covid-19 a connu de nombreux ratages mais a assurément perturbé la production d’autres produits et contribué à leur pénurie, en anesthésie-réanimation ou en perfusions de nutrition hospitalière notamment. Et quand GSK investit à Mayenne pour développer la mise sous forme pharmaceutique d’amoxicilline, cela ne suffit pas à compenser les arrêts de production d’autres acteurs, ou de GSK lui-même, dans d’autres pays européens et contribue surtout au processus de concentration d’une molécule sur toujours moins de sites industriels. Ce phénomène affecte tout aussi lourdement une autre famille d’antibiotiques, les céphalosporines, ou encore les anti-inflammatoires corticostéroïdes.

Ces restructurations incessantes ont un coût humain exorbitant : le massacre de compétences de recherche et de production, d’équipes hautement qualifiées, qui ont mis des décennies à se constituer, hypothéquant le développement de nouvelles thérapeutiques dans le futur. Dans le présent, elles participent aux pénuries de médicaments essentiels mettant en danger les malades, la rupture d’égalité de l’offre de soins, la désertification de nos territoires. Quant aux rares sites qui se développent, tels que Novo Nordisk à Chartres, ils ont pour effet d’aspirer les personnels qualifiés d’autres usines de leur région qu’ils mettent parfois en difficulté sur des fonctions critiques.

Enfin, quand de nouvelles réglementations européennes vont dans le sens d’une meilleure maîtrise de la stérilité dans les processus de fabrication des médicaments injectables, comme c’est le cas avec la nouvelle Annexe I des Bonnes Pratiques de Fabrication, cela nécessite de lourds investissements industriels. Traduit en langage financier par le secteur privé, cela promet une rafale de fermeture d’ateliers ou d’usines de médicaments essentiels à travers toute l’Europe.

Le Gouvernement et les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité dans la carence de l’offre de soins. Ils ne montrent pas de réelle volonté politique pour enrayer cette spirale d’éclatement de l’industrie pharmaceutique, qui met la France et l’Europe en grave situation de dépendance et de pénurie. Le Gouvernement persiste à soutenir ce secteur par les fonds publics distribués sans conditionnalité. Aujourd’hui il mobilise 1,7 milliard d’euros pour l’innovation santé dans le cadre de France Relance 2030, une fois de plus sans aucune contrepartie. A cela s’ajoutent des milliards d’euros en crédits d’impôts et exonérations sociales dont les entreprises pharmaceutiques bénéficient depuis plus d’une décennie.

Bien des projets présentés comme de la relocalisation due à la politique d’aides et d’incitation du Gouvernement étaient déjà sur les rails bien avant et les firmes ont sauté sur l’occasion pour bénéficier d’un effet d’aubaine. Si Emmanuel Macron et Bruno Le Maire ont inauguré devant les caméras un nouvel atelier de principes actifs à l’usine PCAS (groupe Seqens) de Villeneuve-la-Garenne en août 2020, trois ans plus tard en octobre 2023, le même atelier fermait et conduisait à la suppression d’un tiers des effectifs du site. L’aide publique pour développer l’usine du sous-traitant Recipharm près de Tours a été l’occasion pour ce dernier d’acheter en Chine une ligne de seringues de mauvaise qualité qui n’a jamais pu fonctionner, faisant aujourd’hui planer un risque de fermeture du site ou de cession à un acteur aux perspectives incertaines ; site dont la croissance des années antérieures s’était faite en pillant les compétences de son voisin Delpharm. Quant à l’annonce par le Président de la République de la renaissance du site Benta Lyon grâce à six molécules relocalisées, il y a très loin de la coupe aux lèvres.

D’autres perspectives, dans l’intérêt du droit à la santé pour tous, de la recherche, de la maîtrise de la production, de la distribution des médicaments et traitements thérapeutiques, essentiels pour la santé publique, peuvent être développées. La commission d’enquête sénatoriale sur les pénuries de médicaments a permis de démontrer l’urgence d’une intervention publique, face aux choix du secteur pharmaceutique, ainsi que la nécessité d’une coopération européenne. Une autre politique du médicament est nécessaire. Sa mise en œuvre est de la responsabilité de l’Assemblée nationale et du Sénat, du gouvernement, des instances sanitaires et des laboratoires.

La reconnaissance du médicament comme bien commun, l’exigence d’une maîtrise publique de la recherche et de la production, autour d’un pôle public ou pôle socialisé du médicament, s’expriment dans l’espace public et tendent à devenir une aspiration commune des salariés et de la population. De telles approches sont expérimentées avec succès dans d’autres pays. Par exemple : aux Etats-Unis, avec l’expérience Civica de regroupement des hôpitaux pour maitriser les prix des médicaments et pour produire des médicaments génériques, en premier lieu l’insuline ; au Brésil pour copier les médicaments contre le VIH/Sida et les hépatites virales, à partir du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui ; en Afrique du Sud, où l’OMS a mis en place une plateforme de partage des technologies des vaccins à ARNm en juin 2021 pour copier le vaccin de Moderna.

Un grand débat public sur le devenir de l’industrie pharmaceutique en France et en Europe, au service du droit à la santé pour toutes et tous, est indispensable.

La santé, la recherche et la production de médicaments, sacrifiés sur l’autel de stratégies strictement financières et actionnariales, ça suffit !

Médicament Bien Commun

Big Pharma « Tout leur art est pure grimace » (Molière)

Emmanuel Macron a déclaré dans son discours sur l’Europe à la Sorbonne que seule la politique européenne va nous permettre de répondre aux pénuries de médicaments que nous vivons (1).

Qu’en est-il de cette politique ? Les pénuries de médicaments essentiels redoublent et les prix exorbitants de certains rendent les situations de plus en plus angoissantes pour les patients et les professionnels de santé.

La pandémie de COVID a rappelé avec force l’importance cruciale des traitements pharmaceutiques pour notre santé et l’état de la société. Ainsi que les compétences et le dévouement des salariés, personnels du système de santé et de l’industrie pharmaceutique.

En même temps, la pandémie a mis en évidence les carences du système de santé. Alors que la France dans les années 1970 était le deuxième pays en termes de découverte de nouveaux médicaments, il apparaît qu’elle ne dispose plus des capacités de recherche et de production pour répondre aux besoins.

Emmanuel Macron, plus généralement le gouvernement et l’État, ne sont pas dans l’ignorance de cette situation. Depuis des décennies ont été déversés des dizaines de milliards d’euros aux industries pharmaceutiques sous forme d’exonérations d’impôts et de crédits impôts en soutien à la recherche.

Dans l’immédiat vient d’être débloqué 1,7 milliard d’euros, toujours au profit de l’industrie du médicament, pour un développement de la recherche et de la production.

Mais pour quel résultat ? A l’évidence la question n’intéresse ni le Chef de l’État ni le gouvernement.

A quoi servent les bénéfices engrangés sur certains médicaments et l’argent public généreusement distribué à BIG Pharma ? Celui-ci décide la suppression de 1600 postes ! Donc la fermeture de sites de production et l’amputation des capacités de recherche. Des mesures qui font suite, pour ce qui concerne spécifiquement Sanofi, à la suppression de 800 postes dans la production et de 320 postes en recherche développement, dont l’arrêt de la recherche en oncologie (qui fait suite à l’arrêt sur les anti-infectieux, le système nerveux central, le diabète et la cardiologie). Des médicaments, dont certains sont considérés comme des médicaments d’intérêt thérapeutique majeur, sont abandonnés au nom de la rentabilité maximale.

La stratégie de Big Pharma est guidée par une seule recherche : celle du profit financier et la distribution de dividendes aux actionnaires.

Cela ne favorise guère la réponse aux besoins de santé, c’est même clairement l’inverse. Moins de recherche, moins de production, c’est plus de chômage, davantage de pénurie de médicaments, voire l’inexistence de certains dont dépend la vie de nombre de personnes.

La finance n’est soucieuse que de sa propre santé, peu lui importe celle de la population. Mais le pouvoir persiste à distribuer, sans aucune contrepartie, des subventions, lesquelles sont sans incidence positive pour la santé, voire carrément produisent des effets inverses dans le cas du plan actuel.

Puisqu’on ne peut compter ni sur Big Pharma ni sur le gouvernement pour répondre aux besoins de santé, imposons une autre politique avant qu’il ne soit trop tard : l’appropriation sociale des moyens de recherche, production, distribution du médicament déclaré bien commun.

Collectif Médicament Bien Commun

(1) : « Cette politique qui, seule, va nous permettre de répondre aux pénuries de médicaments que nous vivons ou au sujet d’accès aux patients ».

Communs pharmaceutiques – Un projet de médicament made in France

Un collectif réunissant des experts et acteurs du secteur cherche à repenser une économie des médicaments, notamment ceux frappés de pénuries, au service d’une politique de santé fondée sur une logique du bien commun et non une logique de marché.

Article paru dans la revue Bonne Santé Mutualiste n°105 Avril/Mai 2024, revue trimestrielle de l’UGM Entis www.groupe-entis.fr

Mutuale_article communs pharmaceutiques

 

 

Les laboratoires SERVIER condamnés

La Cour d’Appel a condamné le 20 décembre 2023 le groupe Servier à verser plus de 9 millions d’euros. Les six sociétés composant le groupe Servier ont été condamnées à  rembourser 415 Millions d’euros aux organismes de la Sécurité sociale et aux Mutuelles, 1M€ pour préjudice subi au titre de la désorganisation ainsi que 5 Ms€ pour frais de procédure.

Jean Philippe SETA ex-bras droit du fondateur s’est vu infliger une peine de 4 ans de prison dont 1 an ferme, sous bracelet électronique et à près de 90.000 euros d’amende.

C’est la conclusion d’un procès en appel qui a duré six mois. 7650 personnes s’étaient constituées parties civiles pour ce procès historique.  La cour d’appel a confirmé la culpabilité du groupe Servier pour les délits de tromperie aggravée, d’homicides et blessures involontaires, escroquerie, dans la commercialisation du MEDIATOR (Benfluorex).

ET C’EST JUSTICE !

« C’est une immense victoire pour les victimes que je représente et que je défends depuis la première plainte, de novembre 2010 », a commenté Charles-Joseph Oudin, un des avocats des parties civiles.

Lors de la présentation en détail du jugement, le président de la cour, Olivier Géron, a relevé que le laboratoire avait « privilégié son intérêt financier sur l’intérêt des patients ».

Le Mediator, commercialisé en 1976 pour le traitement du diabète, mais largement détourné comme coupe-faim, a été prescrit à quelque cinq millions de personnes. Il a été retiré du marché en 2009, après qu’un lien avec des lésions cardiaques et de l’hypertension artérielle pulmonaire a été établi par la pneumologue Irène Frachon. Il est tenu pour responsable de centaines de morts.

Les parties civiles au procès se sont constituées la plupart dans le volet tromperie. Quelque 5 000 autres dossiers pour homicides ou blessures involontaires sont toujours à l’instruction au parquet de Paris, ouvrant la voie à un probable second procès Mediator dans les prochaines années.

Écouter

[Vidéo] Mediator : le sourire et les mots d’Irène Frachon à l’annonce du verdict

L’Humanité · Alexandre Fache

https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwiLvoSM1-aDAxWwfKQEHZiYCB0QwqsBegQIDhAB&url=https://www.humanite.fr/societe/justice/video-mediator-le-sourire-et-les-mots-direne-frachon-a-lannonce-du-verdict&usg=AOvVaw3DkDzGqwq4Z7K05m8EX-NV&opi=89978449

Une loi contre les droits humains

Telle est la nature de la nouvelle loi sur l’immigration qui veut supprimer l’Aide médicale de l’État (AME), une couverture maladie pour les étrangers en situation irrégulière. Elle serait remplacée par une simple aide médicale d’urgence, beaucoup plus restrictive et conditionnée au paiement d’un forfait annuel fixé par décret.La santé des exilés (immigrés, réfugiés, demandeurs d’asile ou étrangers en situation irrégulière) se dégradera rapidement en raison des difficultés d’accès aux soins.

Cette loi sur l’immigration bafoue toutes les déclarations et engagements sur le droit à la santé :

– Celle de la déclaration de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) créée en 1948 sous l’égide de  l’Organisation des Nations Unies (ONU) pour la santé publique, qui définit la santé comme un « état de complet bien-être physique, mental et social et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité».

– Le préambule à la Constitution de 1946 qui garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs.

– La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, qui énonce dans l’Article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. »

La protection de la santé, définie dans l’Article 35 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne 2009 :

« Toute personne a le droit d’accéder à la prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux dans les conditions établies par les législations et pratiques nationales. Un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. »

A cette loi sur l’immigration s’ajoute l’attaque violente contre les médecins étrangers qui travaillent en France et qui sont indispensables pour maintenir à flot notre système de santé.

Plus de 3000 praticiens à diplôme hors Union Européenne (PADHUE) ont été recrutés à l’occasion de l’état d’urgence sanitaire et assurent depuis, le maintien et le renfort de l’offre de soins avec des contrats disparates et fragiles. Ils exercent en tant que Praticiens Attachés Associés (PAA, rémunérés 2200€ mensuels), ou faisant fonction d’interne (FFI) ou encore stagiaire associé (SA), (1.500 €). Ils sont nombreux à faire fonctionner les services des hôpitaux et EHPAD de Gériatrie et de Psychiatrie et donc à maintenir l’offre de soins aux populations les plus vulnérables.

Aujourd’hui, on exige de ces praticiens de passer le concours des épreuves de vérification des connaissances(EVC). Les épreuves étant particulièrement discriminantes, 80% d’entre eux sont non lauréats, ce qui signifie que 2000 PADHUE perdront leur contrat, au mépris des services rendus et de la continuité des soins qu’ils assurent dans les unités de santé.

Pour le maintien de tous les PADHUE dans leur poste, pour la reconnaissance de leurs compétences justement rémunérées, une pétition est à disposition :

https://www.change.org/p/r%C3%A9int%C3%A9grons-les-m%C3%A9decins-%C3%A0-dipl%C3%B4me-hors-union-europ%C3%A9enne-dans-nos-services-hospitaliers

Le gouvernement maintient son objectif de réduire les dépenses de santé, de promouvoir une santé « payante » (nouvelle mesure d’augmentation des franchises sur les médicaments), même au prix d’une dégradation de l’accès aux soins pour toute la population.

Il est urgent d’agir pour le peuple, de faire monde, de refuser cette loi qui aggrave l’accès aux soins, indispensables à la santé, et remet en cause un droit universel.

Le collectif Médicament Bien Commun, qui milite pour l’accès aux soins pour toutes et tous, entend pleinement y contribuer.