La construction du Projet de Loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) est l’occasion de discuter la politique du médicament avec différents partenaires, mais ne nous y trompons pas, c’est uniquement sous l’angle financier, en termes de dépenses à ne pas dépasser pour les uns, de subventions et de fiscalités, source de profit pour les plus grandes entreprises, pour les autres.
Le PLFSS est en effet établi sur l’énoncé gouvernemental d’un déficit social de 18,3 Md€, et 661 Md€ de dépenses de la Sécurité sociale. Cet aspect comptable de la gestion et du financement de la Sécurité sociale occulte les principes fondamentaux qui ont présidé à sa création. Rappelons que le principe fondateur de la Sécurité sociale est « à chacun.e selon ses besoins, de chacun.e selon ses moyens ». Le financement de la Sécurité sociale repose sur la cotisation sociale prélevée sur le travail, et si ce financement reposait réellement sur l’ensemble de la production de richesse (cotisation salariale et cotisation patronale), il n’y aurait pas de déficit. Par ailleurs il n’est pas anormal que les dépenses de santé augmentent à condition que celles-ci soient représentatives d’une amélioration effective de la santé publique.
Or ces augmentations sont qualifiées de « dérapage des dépenses de l’Assurance maladie ». Les 1,2 milliards d’euros supplémentaires possiblement dépensés pour les médicaments en 2024, par rapport aux prévisions sur lesquelles le budget 2024 a été construit, représenteraient un « risque » voire un drame à éviter. C’est refouler que ce dérapage est en partie lié à une erreur d’appréciation sur la dynamique des dépenses de médicaments, liée au vieillissement de la population et aux pathologies de longue durée qui y sont associées. Il est aussi le résultat des politiques passées de restrictions budgétaires de l’hôpital qui ont durement affaibli le système de santé, et du manque de volonté de résorber les déserts médicaux.
Ces politiques conduisent à des retards de prise en charge des patients, entrainant une aggravation de leur pathologie nécessitant alors une médicalisation plus lourde et souvent de plus longue durée. Est également en cause la législation du travail, modifiée pour renforcer la compétitivité des entreprises, au prix de conditions de travail délétères pour les salariés, génératrices de souffrance entrainant une augmentation de la fréquence des pathologies (depuis les troubles musculo–squelettiques [TMS] jusqu’aux burn-out). Ce qui risque de s’aggraver avec le recul de l’âge des départs à la retraite.
Le déficit social est le sempiternel prétexte, utilisé par le gouvernement, pour détricoter la Sécurité sociale, au profit de la privatisation de la santé par diverses entreprises lucratives dont les complémentaires de santé. Parmi les mesures prises pour réduire ce déficit, la baisse de 5% la part de la « Sécu » dans le remboursement des consultations médicales, en décidant dans le même temps de les augmenter de 26.50 à 30 Euros, et la baisse du remboursement des médicaments également de 5 %, en sont l’illustration. Elles représentent bien un transfert de charges aux assurés sociaux, soit directement, pour les 3 millions de personnes n’ayant pas de complémentaire santé, soit par une hausse proportionnelle de la part des complémentaires et mutuelles de santé. Ces dernières ont effectivement annoncé le 18 décembre dernier une augmentation de leurs tarifs, en moyenne de 6 % en 2025.
Peu importe que ces mesures risquent fort de s’accompagner d’une augmentation du renoncement aux soins pour raisons financières, estimé à 36% de la population en 2023. Ce qui compte c’est l’économie faite pour la Sécurité sociale ! Or ces économies remettent en cause le principe fondateur de prise en charge de chacun.e selon ses besoins !
L’impopularité de ces mesures a conduit M. Barnier, pour sauver sa tête de chef de gouvernement, à promettre, le 2 décembre 2024, de ne pas dérembourser de médicaments en 2025 par voie règlementaire.
Si la baisse du remboursement des médicaments n’est pas réintroduite dans la nouvelle mouture de PLFSS présentée par le gouvernement de F. Bayrou, le Leem (Les Entreprises du médicament) risque de grincer des dents, par crainte de voir sa contribution majorée. Ce qu’il s’empresse de signifier dans un communiqué de presse du 11 décembre 2024, demandant le respect des engagements budgétaires et alertant sur « les conséquences potentielles, [….] de la mise en application de mesures non concertées avec le secteur[i] ».
En novembre 2024 les représentants des Entreprises du médicament et le Gouvernement (les ministères de la Santé et de l’Accès aux Soins, du budget et des Comptes publics et de l’Industrie) ont conclu un accord destiné à générer 600 millions d’euros d’économies, essentiellement grâce à une démarche de bon usage et de promotion des bonnes pratiques en matière de médicament.
En échange, le Leem avait obtenu un plafonnement de la clause de sauvegarde à 1.6 Md€[ii], au même niveau qu’en 2024, et revendiqué un cadre politique et économique favorable aux investissements stratégiques en France, tant pour l’innovation que pour la production de médicaments en France et en Europe.
Les Entreprises du médicament considèrent que leur mise à contribution aux mesures d’économies de l’Assurance maladie est excessive. Selon le Leem, c’est le médicament qui contribuerait le plus aux économies du système de santé, alors qu’il ne représenterait que 8.9% des dépenses de l’Ondam (Objectif national de dépenses d’assurance maladie)[iii] dans lequel il est intégré à travers les soins de ville et les soins hospitaliers, et qu’il augmenterait moins vite que les dépenses totales de l’Ondam. D’autre part les entreprises estiment consentir suffisamment à l’effort collectif avec les réductions des prix sur certains médicaments et le montant des remises accordées lors des négociations avec le CEPS (Centre d’Etude et de Prospective Stratégique).
Le marché pharmaceutique se révèle particulièrement dynamique depuis 2021, avec une évolution annuelle du chiffre d’affaires (CA) brut du médicament ayant triplé (avant remises et clause de sauvegarde), passant de 3 % à la fin des années 2010 à près de 10 % en 2022. En 2023 Sanofi, la seule multinationale d’origine française, à elle seule a réalisé un chiffre d’affaires de plus de 43 milliards d’euros et distribué près de 5 milliards d’euros aux actionnaires. Pourtant, toujours d’après le Leem, la pression économique exercée impacterait la croissance. Il serait urgent d’arrêter d’asphyxier les entreprises avec la fiscalité la plus forte en Europe. A commencer par la clause de sauvegarde, dont le plafond doit être maintenu à 1,6Mds€ en 2024, et sa trajectoire de décroissance, amorcée dès 2025, pour atteindre moins de 500 millions d’euros en 3 ans. Dans le même temps le crédit-impôt recherche doit être sanctuarisé pour soutenir l’innovation thérapeutique, ainsi que l’accélération et la simplification des procédures d’accès précoce des patients aux traitements innovants et les recueils de données associées. Ces procédures permettent une mise sur le marché plus rapide synonyme d’augmentation du CA.
En filigrane se devine le chantage à la délocalisation (ce dont ne se prive pas Sanofi qui a fermé une vingtaine de sites en 10 ans), la perte d’emplois sur le territoire (Sanofi a supprimé un millier de postes depuis 2022) et aussi, in fine, notre souveraineté sanitaire, si les conditions de la soutenabilité économique, l’attractivité de la France en matière de recherche, d’essais cliniques, de production ne sont pas favorables.
Quid des besoins de santé de la population, de la disponibilité des médicaments vitaux, à l’heure où leur nombre en rupture de stock est en augmentation exponentielle ? Quid de l’accès pour tous les patients aux traitements innovants si leur prix reste à des hauteurs stratosphériques rendant problématique leur financement et leur intégration dans les parcours de soins ?
Un pilotage gouvernemental associant l’ensemble des acteurs du médicament, et la transparence sur l’état réel des stocks sur chaque maillon de la chaîne, sont des moyens de gérer la pénurie, pas de la réduire. De même l’accès précoce aux innovations thérapeutiques répond plus à un retour sur investissement plus rapide pour les entreprises qu’à un meilleur accès aux soins.
Une meilleure réponse aux enjeux sanitaires de la France nécessite de changer de paradigme. Les autorités publiques ont la responsabilité de garantir l’accessibilité universelle aux soins de santé et aux médicaments, mais en pratique les arbitrages politiques sont définis non pas à partir des besoins identifiés de la population, mais à partir des objectifs généraux d’économies que l’Etat compte réaliser sur le dos de la population. Ce sont les besoins de la santé publique qui devraient conduire à définir à quoi doit ressembler l’industrie du médicament, et non l’inverse. La taxation des entreprises est une source d’économies, qui reste bien en deçà de ce que ces dernières prélèvent à travers leurs activités et aussi de ce dont elles bénéficient en tant qu’entreprises tout court. La politique économique et industrielle doit être mise au service de la santé publique, pour le bien-être des citoyens, en respect du droit humain universel à la santé. Le budget consacré à la santé n’est pas une dépense mais un investissement pour le bien commun.
[i] https://www.leem.org/presse/plfss-2025-le-leem-appelle-nouveau-une-meilleure-previsibilite-de-la-charge-economique
[ii] La clause de sauvegarde s’applique a posteriori pour réguler le chiffre d’affaires de l’industrie pharmaceutique. La « contribution M », également appelée « clause de sauvegarde » consiste en une contribution due par les entreprises assurant l’exploitation d’une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques dès lors que leur chiffre d’affaires hors taxes et net de remises réalisé en France métropolitaine et dans les départements d’outremer, au titre de certains médicaments, dé- passe un certain seuil, appelé montant M.
[iii] l’Ondam représente un objectif de dépenses à ne pas dépasser en matière de protection sociale.
L’objectif national des dépenses de l’Assurance maladie est composé de 6 postes de dépenses (ou « sous-objectifs ») : 1. les dépenses de soins de ville, comprenant une partie des dépenses de médicaments ; 2. les dépenses relatives aux établissements de santé, comprenant l’autre partie des dépenses de médicaments ; 3. les dépenses en établissements et services pour personnes âgées ; 4. les dépenses en établissements et services pour personnes handicapées ; 5. les dépenses relatives au fonds d’action régionale ; 6. les autres prises en charge.
Ayant été administrateur de CPAM je partage complètement votre analyse.Mais la situation actuelle est à l’identique des années précédentes.L’usager de la santé est devenu coupable de ses dépenses peu importe son milieu de travail , son environnement qui engendre le mal de nuire à sa santé.
Ce résultat il est la conséquence de l’idéologie développé par les médias ,ainsi le patronat doit avoir tous les pouvoirs et les résultats financiers ne sont pas à partager. Or un meilleur partage résoudrait bien des problèmes.
Ainsi la santé n’est plus depuis des décennies réellement un domaine revendicatif ,il n y a plus de débat plus d’échange sur ce sujet.
Laisser la gestion de la santé aux syndicats est devenu une utopie or le changement n’interviendra qu’a une seule condition que le monde du travail et des retraités s ’emparent de cette revendication mais pas de manière épisodique ,l’action doit être permanente jusqu’à satisfaction et cela passe également par une formation sinon l ‘assurantiel sert bien présent de ce fait c’est la prime qui sera déterminante dans le remboursement des soins.Payer selon ses moyens et recevoir selon ses besoins deviendra caduque et nous serons de nouveau dans un recul historique ,n’est il pas proposé aujourd’hui de nouveau de travailler gratuitement.Hier nous avons connu le forfait hospitalier il est toujours en place non seulement la somme est supérieure à un repas mais le gouter de quatre heures à disparu . de même est il normal que l’état décide des remboursements mutualistes ,n ‘y a t il pas un abus de pouvoir .
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