Ayant à peine regagné le bureau ovale début 2025, le président Trump a déclenché une guerre commerciale tous azimuts à l’échelle mondiale, utilisant comme une arme, sans modération et selon son bon vouloir, l’augmentation des droits de douane à l’importation des marchandises. Il s’autorise tous les coups, il piétine tous les accords, bilatéraux ou conclus dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), tels ceux exemptant les médicaments de toutes taxes, prenant en compte qu’ils sont des biens essentiels à la santé publique. Peu importe que les équilibres économiques soient mis à mal, le président Trump déclame que le monde entier s’est enrichi sur le dos des Américains, qu’est venue pour le monde entier l’heure de rembourser afin que « Make America Great Again » (MAGA – l’Amérique doit être de nouveau grande). Le premier à avoir utilisé ce slogan est Ronald Reagan dans les années 1980 ; cette politique n’est donc pas née avec l’arrivée de Donald Trump à la maison blanche, mais ce dernier l’applique avec plus de déterminisme et de brutalité que ses prédécesseurs.
Pour l’Europe ce sera une imposition de 20% de droits de douane sur les produits importés aux US. Dans un premier temps, les médicaments y échappent, puis D.Trump décide que seuls les médicaments génériques en seront exemptés, …ou peut-être pas. Il justifie ses décisions par la nécessité de relocaliser la production pharmaceutique sur le sol américain, ce qui créerait richesse et emplois sur son territoire. Il est vrai que les États-Unis ont importé pour près de 250 milliards de dollars de produits pharmaceutiques en 2024 (contre environ 100 milliards d’exportations). Et que les principes actifs de 83 % des génériques les plus prescrits aux États-Unis sont fabriqués à l’étranger, ainsi que ceux de 92 % des 111 antibiotiques les plus consommés[i].
Les Big Pharma (BP), un temps déstabilisées, moins par les annonces de D.Trump que par leurs imprévisibilités – faisant un jour, défaisant le lendemain, l’économie n’aime pas l’incertitude – se ressaisissent vite. Leur réaction est « même pas mal » au vu des cours de la bourse qui se stabilisent rapidement. Les firmes font cependant une démonstration d’allégeance au président américain, d’une part parce que le marché pharmaceutique états-unien est bien trop important pour se permettre de le bouder. Les États-Unis concentrent, à eux seuls, près de la moitié des ventes mondiales en valeur de médicaments, soit 1 607 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023. D’autre part D.Trump sait se montrer généreux : l’impôt sur les sociétés est abaissé de 21 % à 15 %, et les délais d’implantation des usines de médicaments sont raccourcis par une « simplification » administrative. Les fabricants de médicaments rendent public leur plan d’investissement sur le sol américain, la plupart « dans les tuyaux » depuis des mois. Qu’importe, les chiffres impressionnent : en l’espace de six mois, près de 350 milliards de dollars d’investissements dans le pays d’ici à 2030 sont annoncés.
En Europe, les Big Pharma n’hésitent pas à utiliser cette guerre commerciale comme un argument de pression sur l’Union européenne (UE), en vue d’obtenir des avantages supplémentaires pouvant satisfaire les attentes des marchés financiers. Leurs tentatives se heurtent constamment à la régulation imposée par les gouvernements de l’UE pour maintenir l’équilibre financier de la protection sociale. Trente-deux patrons de labos (dont Pfizer et Sanofi) ont envoyé un courrier à la présidente de la Commission européenne pour la sommer de reconsidérer la politique de prix des médicaments, d’assouplir les normes de régulation et les contraintes environnementales, de revoir à la baisse la fiscalité et de ne pas remettre en cause la durée de la propriété intellectuelle[ii]. Leurs revendications sont assorties d’un avertissement d’«exode» massif des investissements vers les États Unis pouvant atteindre quelque 100 milliards d’euros (soit 60 % des investissements prévus).
Le Royaume Uni fera les frais de cette réorientation des flux d’investissements en fonction des meilleures offres économiques. Profitant de la visite diplomatique en septembre du président américain, le géant britannique GSK annonce un investissement de 30 milliards de dollars (25,4 milliards d’euros) aux États-Unis dans les cinq prochaines années. Dans le même temps le groupe pharmaceutique américain Merck et le groupe anglo-suédois AstraZeneca, respectivement renoncent à un investissement de 1 milliard de livres sterling (1,15 milliard d’euros) à Londres pour l’un, et de 200 millions de livres sterling (230 millions d’euros) à Cambridge pour l’autre[iii]. Coup dur pour le gouvernement britannique, griserie pour D.Trump et avertissement pour le reste de l’Europe.
Face au chantage, la Commission européenne choisit d’abord de contenir l’incendie allumé par la hausse des droits de douane. Fin août, Washington et Bruxelles finalisent un accord commercial, jugé inéquitable pour l’UE, qui prévoit une limitation des tarifs douaniers à l’importation à 15%, y compris pour les produits pharmaceutiques. Cet accord protègerait les médicaments européens contre toute nouvelle surtaxe douanière. Bruxelles a ainsi assuré qu’ils seraient épargnés par la nouvelle salve de droits de douane pouvant aller jusqu’à 100 %, annoncée le 25 septembre 2025 par D.Trump. Mais cet accord ne protège pas des conséquences de la baisse des prix des médicaments aux États-Unis que le président américain a promis à ses concitoyens durant la campagne électorale. Aux USA, les laboratoires fixent librement leur tarif et négocient individuellement avec les assureurs sans plafond imposé par l’État. Le résultat est que les prix y sont trois fois plus élevés que dans les autres pays développés.
Dans sa logique MAGA, D.Trump accuse les gouvernements étrangers de tenter d’obtenir des prix déraisonnablement bas, qui seraient compensés par une facture plus lourde pour les Américains pour subventionner des coûts de R&D très importants. Dit autrement, les profits des laboratoires et les systèmes de santé étrangers seraient essentiellement financés par les énormes dépenses de soins de santé des États-Unis. Souhaitant que son territoire bénéficie systématiquement du prix le plus bas parmi ceux constatés dans les autres pays, D.Trump a signé un décret imposant aux fabricants de réduire le coût des médicaments pour ses concitoyens.
Les demandes du président américain, instaurer des barrières commerciales qui vont engendrer, directement ou indirectement, une hausse du prix de vente des produits de santé aux usagers, incluant les Américains, tout en imposant que leurs prix baissent aux US, ne sont contradictoires qu’en apparence. Elles obligent les entreprises, pour maintenir leur chiffre d’affaires, à chercher à se rattraper ailleurs, en tentant d’augmenter les prix des médicaments dans les pays de l’UE et ailleurs dans le monde. Ce qui est implicitement souhaité par D. Trump.
Dans un ultimatum, lancé en juillet 2025, les grandes entreprises pharmaceutiques américaines sont mises en demeure de se conformer aux exigences présidentielles, sous peine de droits de douane de 250%. Le laboratoire Pfizer a été le premier à conclure un accord avec l’administration Trump[iv]. La firme promet d’investir massivement sur le sol américain, de baisser le prix de certains traitements destinés aux patients assurés par Medicare, et de négocier systématiquement à la hausse sur le marché européen le prix des nouvelles thérapeutiques. En échange, elle est exemptée de taxes douanières pendant 3 ans, et pourra vendre en ligne directement ses produits aux patients, avec des rabais pouvant être supérieurs à 50%, via le site web gouvernemental appelé «TrumpRx». AstraZenaca s’est inscrit en second dans cette négociation, dans des termes similaires. Il y a fort à parier que les autres laboratoires suivront.
Peut-on imaginer pire sort pour un médicament, surtout si l’application devient accessible mondialement, que d’être mis en vente en ligne comme une vulgaire trottinette ! Et pour les patients, quelles garanties que le produit reçu est bien celui commandé, pour peu qu’il y ait substitution de marque, que ce ne soit pas une contrefaçon, que les bonnes conditions de stockage et d’acheminement ont été respectées ?
On peut s’interroger sur le lien entre les Big Pharma et l’administration américaine. Ce ne sont pas les laboratoires pharmaceutiques que D.Trump cible : il n’aurait pas détricoté, aussitôt revenu à la Maison Blanche, les mesures du président Biden de négocier à la baisse directement avec les industriels le prix des dix médicaments les plus coûteux de Medicare, impactant à la marge leur revenu mais diminuant les frais des patients âgés, couverts par cette assurance. Par ailleurs il apparait que les BP tirent leur épingle du jeu quel que soit le scénario imposé, pour peu qu’elles soient suffisamment flexibles pour s’adapter rapidement. Ce n’est sans doute pas sans arrière-pensées qu’elles ont contribué financièrement, à la hauteur de 500 000 dollars, à la campagne électorale du candidat conservateur, via phRMA (Pharmaceutical Research and Manufacturers of America) qui recouvre toutes les multinationales du médicament dont Sanofi[v].
De fait, les intérêts des fabricants de médicaments et ceux de D.Trump convergent : les deux parties réclament à l’UE des tarifs revus à la hausse pour les produits de santé. Ce qui oblige à bousculer la logique de négociation centralisée de limitation des prix, mise en place pour rendre remboursables les médicaments par les systèmes de santé. C’est vouloir exploser les capacités de financement de la protection sociale. Indéniablement, ce sont les systèmes de protection sociale des différents pays de l’UE, accusés de fausser la libre concurrence qui sont remis en cause. C’est vouloir obtenir du vieux continent des « réformes ambitieuses » pour libéraliser le marché du médicament, par des politiques de dérégulations favorables à la libre entreprise, seule à même de savoir ce qui est « bon » pour l’économie. C’est vouloir faire sauter toutes les digues ! C’est vouloir imposer comme étant la norme que les BP priorisent l’accumulation des richesses de quelques privilégiés, avant de tenter de répondre aux besoins de santé de la population. D.Trump tient le même raisonnement pour le médicament que pour l’armement ou le numérique, mais le service rendu n’est pas le même !
Les gagnants de cette guerre commerciale sont les multinationales et leurs actionnaires qui dépouillent le médicament de sa qualité de bien essentiel à la santé, pour ne voir en lui que le bien industriel dont la commercialisation est très lucrative. C’est la logique même du système capitaliste de tout transformer en marchandise et occasion de profit. L’industrie pharmaceutique est l’une des plus rentables de toutes les industries, avec des taux de rentabilité supérieurs à 20%. Au bout de la chaine, les principales victimes sont les patients qui verront leur reste à charge augmenter, jusqu’à compromettre l’accès aux soins, ceci à l’échelle mondiale. A terme les plus démunis ne pourront-ils compter que sur la philanthropie pour être soignés ?
Comment se protéger ? On ne peut pas compter sur la Commission européenne, ni sur les différents gouvernements des pays membres en place pour nous défendre. Ils sont majoritairement imprégnés, la France en tête, de l’idéologie néolibérale qui, sous prétexte d’une absolue nécessité de réduire la dette, tire à boulets rouges sur le niveau de dépenses publiques, mettant à mal les services publics et la protection sociale. Quels leviers actionner alors ? Comment parler d’une seule voix à l’échelle internationale pour se réapproprier la chaine de valeur du médicament, avec des productions publiques et solidaires adossées à un système de protection sociale, pour une égalité d’accès aux soins pour tous-tes ? Les objectifs de santé publique doivent primer sur les intérêts commerciaux, notamment pour l’accès aux médicaments essentiels, aux innovations thérapeutiques et aux technologies de santé. C’est à la société civile de prendre conscience des choix à faire, de réaffirmer les normes et les valeurs que nous voulons, à l’échelle de la planète, de coopération, de démocratie, et de solidarité, pour une société humaniste. Pour un monde de partages des connaissances et des ressources au service du bien-être et de la santé de la population mondiale.
[i] [i] https://www.alternatives-economiques.fr/leurope-victime-collaterale-de-guerre-entre-donald-trump-big-pharma/00115107
[ii] https://www.usinenouvelle.com/article/32-patrons-de-laboratoires-menacent-l-union-europeenne-d-un-exode-de-la-pharma.N2230682
[iii] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/09/18/au-royaume-uni-les-geants-de-la-pharmacie-arretent-brutalement-leurs-investissements_6641727_3234.html
[iv] https://www.liberation.fr/international/amerique/prix-des-medicaments-trump-annonce-le-lancement-du-site-trumprx-et-un-accord-global-avec-pfizer-20251001_2E3NV4H5RJCMFKFG645YOQLW3Y/
[v] https://basta.media/Elections-Etats-Unis-Ces-entreprises-francaises-qui-preferent-financer-le-camp-Trump-plutot-que-Kamala-Harris
