Entretien avec Vladimir Nieddu: Construction du concept de médicament bien commun. Quels rapports de forces ? Comment, avec qui ?

Entretien avec Vladimir Nieddu *

(*) Vladimir Nieddu a travaillé 42 ans dans les services techniques d’un hôpital psychiatrique. Il est membre et animateur de Mouvement Populaire Pour la santé People’s Health Movement (PHM France) : https://www.facebook.com/groups/2666278480145495/

A ce titre il participera à la campagne mondiale pour la levée des brevets en marge de la réunion de l’OMC à Genève les 29 et 30 novembre, avec 90 autres participants de PHM de différents pays. Il faut faire pression pour  la levée de tous les brevets sur les vaccins et traitements anti Covid-19, mais aussi remettre en question les traités commerciaux dans l’esprit « notre monde n’est pas à vendre ». L’eau, la nourriture, le travail, le logement, les systèmes de santé, … qui doivent être des biens communs.

Introduction

MBC: Comme on peut le lire dans notre manifeste “Pour une appropriation sociale du médicament” (www.medicament-bien-commun.org) notre groupe se mobilise autour de 2 thèmes majeurs : médicament bien commun et propriété intellectuelle (brevets).

Nous pensons que ces 2 thèmes sont étroitement liés  et voulons progresser dans la construction du concept de médicament bien commun, c’est à dire un accès pour tous, un prix juste, des effets indésirables contrôlés, des pénuries évitées, une utilité sociale des traitements, une place aux patients, …. .

Quel est ton avis sur cette approche ? Est-ce que People’s Health Movement, notamment au plan international, s’inscrit dans une approche similaire ? Quelle est la vision de PHM?

Vladimir: PHM a pris naissance dans les pays du Sud (Inde et Afrique du Sud) où se trouvent ses principaux sièges. La coordination mondiale est tournante : en 2022 elle se tiendra en Amérique latine.

Les accords d’Alma Ata fixaient comme objectifs une santé pour tous en l’an 2000. PHM s’est engagé pour supprimer la mortalité évitable ; les premiers combats ont été de faciliter l’accès aux vaccins et la lutte contre le HIV.

Bien sûr que la santé est un bien commun (BC), mais également tous les déterminants de la santé, incluant les médicaments, l’accès à l’alimentation, le logement, l’eau ; ce qui remet en question la propriété.

Construire des biens communs nécessite des rapports de forces de très haut niveau et une coordination internationale, une alliance de tous les systèmes de santé et de tous les autres secteurs. Et il faut avoir une stratégie à long terme.

MBC : Dans la construction du rapport de forces, on constate une résistance énorme. Les manifestations pour exiger des vaccins pour tous sont peu suivies. Quelques personnalités se sont engagées, mais c’est insuffisant. Comment fait-on pour rassembler plus ?

Comment progresser dans l’opinion publique et les mobilisations sur cet objectif ? N’est-on pas freiné par la dispersion des définitions suivant les organisations ou mouvements, la faiblesse de la réponse du politique sur le sujet, une mobilisation insuffisante ou le fait que le médicament est considéré encore majoritairement comme une marchandise, le doute que l’on puisse faire reculer les Big Pharma. 

Vladimir : Comment progresser dans l’opinion publique ? C’est un projet de long terme. Obtenir la levée des brevets sur les vaccins serait une avancée considérable. La société a changé depuis le début de la pandémie : il y a des fissures, les relations sont différentes dans ce monde multilatéral. L’hégémonie américaine est en train d’être taillée en pièces avec la montée de la puissance chinoise. Le monde devient multipolaire. Les réponses de la bourgeoisie se différencient sur le pacte budgétaire, sur les intérêts nationaux. Il y a une crise capitaliste.

Il faut   exploiter les divisions de l’adversaire qui donnent des espaces de lutte. Par exemple les divisions entre les différents fabricants de vaccins sont une brèche dans le secteur privé. Il faut sensibiliser la population à la question des biens communs. Il faut articuler le problème du médicament à ceux de la santé. Aujourd’hui les médicaments sont un moyen de piller la sécurité sociale ; c’est scandaleux.

La situation est particulière en France : les médecins sont très attachés à la médecine à l’acte et se mobilisent peu. Dans d’autres pays (Afrique du sud, Inde), les médecins sont au contraire moteurs. En Grande Bretagne, les médecins ont joué un rôle considérable à la COP 26.

Cependant on constate en France depuis 2019 une évolution  avec une convergence entre des jeunes médecins, des soignants, les syndicats et la population. Des initiatives se construisent, comme la mobilisation de la psychiatrie https://printempsdelapsychiatrie.org/, le 18 novembre, comme les manifestations pour la santé, l’hôpital public et les soignants le 4 décembre, dans le secteur social et médico-social partout en France le 7 décembre 2021, à l’appel des syndicats, des collectifs de défense des hôpitaux, des associations, … c’est nouveau et porteur d’avenir.

MBC : on peut être optimiste parce que l’adversaire se divise. C’est une brèche où s’engouffrer, notamment pour remettre en question la propriété intellectuelle.

MBC est sollicité pour une audition par la commission des lois de l’Assemblée Nationale pour une proposition de loi donnant un statut aux biens communs. C’est un moyen de marquer des points et de sensibiliser la population. Même si tous les membres de MBC ne partagent pas cet enthousiasme ou ne pensent pas que cette proposition de loi soit une avancée. Elle risque d’être rapidement enterrée, comme l’a été la proposition d’inscrire les biens communs dans la constitution. Par exemple l’Université du bien commun (UBC) est très attentive à l’avènement de ce statut juridique. Pour qu’il advienne, la société civile doit pousser très fort. https://www.universitebiencommun.org/

Le concept fondamental de la loi sur les biens communs est posé en terme politique. Il pourrait être repris dans les programmes de la campagne présidentielle, mais pour le moment la santé en est totalement absente.

Cette proposition de loi, travaillée avec les associations, permet de mettre sur la place publique le concept de biens communs et d’avoir des débats, des prises de position, notamment des associations.

En proposant une loi sur les biens communs, prend-on les choses dans le bon sens ? C’est un choix de société dont il est question pour sortir de la domination de l’argent.

C’est une période très à risque pour la santé. Le bilan va encore s’alourdir avec la pandémie. La mobilisation citoyenne n’est pas suffisante face aux Big Pharma.  Il faut faire progresser dans l’opinion l’idée que ces questions sont fondamentales, existentielles. On a besoin que ces questions traversent toutes les couches de la population. Parmi les plus précaires, la situation est subie, il n’y a pas de mobilisations.

Les médecins ne bougeront pas si les mobilisations ne sont qu’à l’appel des syndicats. Il faut rester attentif à ce qui bouge, comme le fait que FO ait échoué à exclure les collectifs et associations de la mobilisation du 4 décembre. Une convergence a pris corps, qui est peut être une étape pour une prise de conscience citoyenne. Même si les gens se sont repliés sur eux-mêmes, les propositions de mobilisations comme celle du 4 décembre sont utiles.

La Santé doit devenir un dénominateur commun, qui permettrait de faire basculer le reste. Il faut construire en élargissant.  On a la possibilité d’avancer. La santé est passée du 7ème   au 3ème  rang des préoccupations des français. La fébrilité des gens au pouvoir indique qu’ils sont en difficulté.

Vladimir : Il ne faut pas opposer le débat législatif et les mobilisations. Tout est utile pour avancer.

Il faut s’appuyer sur les déterminants de la santé, globaliser les choses, et relier les problèmes (brevets – faim dans le monde par exemple) entre eux plutôt que les cloisonner.

Donner un objectif mondial à long terme (50 ans). Par exemple le besoin d’une protection sociale, c’est un bien commun sans frontière, un objectif de très long terme. L’idéal serait une sécurité sociale globale qui intègre tout le système de santé, incluant le système assurantiel, pour une santé démocratique sous contrôle populaire. A partir du global, il faut donner des objectifs locaux.

Ce qui est essentiel pour les communs, c’est une valeur juridique, une utilité sociale reconnue, impliquant une participation importante de la population. La réponse aux besoins, la démocratie, l’universalité, l’accès…

On observe beaucoup de mobilisations concernant la santé dans d’autres pays en Europe: Suisse, Italie, Grande Bretagne, Espagne, pays de l’est (en Pologne plusieurs dizaines de milliers de manifestants, du jamais vu depuis 1979)

En France, il faut relier notre discours sur la santé au discours général, désigner l’adversaire et faire savoir ce qui se passe. E. Macron est le verrou à faire sauter; c’est lui qui tient avec l’Allemagne le maintien des brevets, d’autant qu’il sera président de l’UE de janvier à juin 2022.

Il faut construire un agenda : une conférence européenne avant juin, un 8 mars 2022 très fort ainsi que le 7 avril 2022, journée mondiale de la santé. Des échéances sur le terrain social incluant des grèves en santé dans toute l’UE. Tout faire pour que la question santé devienne centrale. C’est à préparer dès maintenant.

Dans la discussion à l’OMC sur la levée des brevets, il existe une volonté de trouver une monnaie d’échange, mais pas celle de modifier les échanges inégaux entre pays riches et pays pauvres. A l’OMC, tout est lié. PHM n’est pas seulement là pour les vaccins mais veut élargir son champ d’intervention à l’alimentation, et  aussi au numérique. Pour PHM, il est nécessaire de supprimer l’OMC.

MBC : l’OMC peut faire pression sur l’industrie pharmaceutique pour la levée des brevets uniquement pour que l’économie reparte.

Les multinationales peuvent faire semblant de céder en mettant en avant les Medicine Patents Pools,https://medicinespatentpool.org/fr qui leur permettent de rester propriétaires des brevets tout en laissant croire qu’elles les partagent. En échange elles vont demander à ce que les « intrants » circulent plus facilement. Autrement dit obtenir une baisse des prix, ce qui serait préjudiciable pour les fournisseurs de ces intrants, bien souvent les pays pauvres. Les industries du médicament veulent sauvegarder leur image de marque, conscientes qu’au procès de Pretoria, ce n’est pas d’avoir cédé sur les licences d’office  qui leur a fait mal, mais d’avoir, par leur comportement, terni leur image de marque.

Vladimir : Rendre compte de la situation, c’est aussi rendre compte des divergences au sein du système capitaliste actuel. La concurrence inter-capitaliste entre les industries de production entraîne des divisions qui constituent des « trous de souris » pour nos luttes.

MBC : Comment verrais-tu une rencontre avec la participation de plusieurs groupements, mouvements ou personnalités mobilisées ou en réflexion sur le sujet ?

Vladimir : je vois trois objectifs

– Très vite rédiger un très court document adressé à E. Macron, Il est nécessaire de le cibler sur les responsabilités criminelles du gouvernement français en refusant la levée des brevets à la réunion de l’OMC.

– Faire en sorte que la mobilisation du 30 novembre soit un succès.

– Mettre en œuvre une stratégie tout de suite après la réunion de l’OMC, au niveau international, pour que la santé soit au premier plan des préoccupations.

– Articuler national/international avec une grève générale européenne autour de la privatisation de la santé le 7 avril 2022. Cette date (3 jours avant la présidentielle) doit devenir une référence de mobilisation contre la privatisation de la santé.

La santé touche tout le monde, c’est une question transversale dont il faut faire une bataille centrale. Se saisir de la situation de la pandémie pour sensibiliser les citoyens en faisant des assemblées populaires sur la santé partout (ce qui a été fait en Inde), en restant au plus près des populations, et dans l’unité.

Anecdote : Le texte syndical et du mouvement associatif “plus jamais ça” https://plus-jamais.org/ en réponse à la pandémie avait « oublié »  les questions de santé ; ils ont réécrit un  nouveau texte  les intégrant.

Il se pourrait que nous ayons une avancée soudaine. Comme en Tunisie, avec l’ampleur des mobilisations, la prise du pouvoir par le président (issu du mouvement social). Ou au Brésil, avec une brusque mobilisation début septembre, avec des millions de personnes dans la rue et dé-légitimation de Bolsonaro.

La pandémie est à l’origine de crises sanitaires et sociales qui poussent à de fortes mobilisations.

MBC : La couverture médiatique est faible sur les initiatives citoyennes, ce qui freine l’effet boule de neige nécessaire. Les réseaux sociaux prennent le relais sur les mouvements sociaux. Les assemblées populaires permettraient de contrecarrer la faible diffusion de l’information.

La santé est vraiment dans toutes les têtes (hôpital public, manque de médecins..). Il faut fédérer tous les acteurs.

La santé est un problème central et avec la volonté du gouvernement d’étatiser la Sécurité sociale c’est un moment historique où tout ce qui tourne autour de la santé se fédère, ce qui peut constituer un cocktail explosif qui peut nous surprendre. Le sujet est brûlant.

Vladimir : Pour devenir membre de PHM, il suffit d’approuver la charte – possibilité de suivre des formations sur la santé. PHM est en capacité de mettre MBC en contact avec des chercheurs, activistes du monde entier sur ces questions. Il est possible de suivre des visios avec des internationaux (Afrique du Sud, Inde).

Il tiendra MBC informés de la suite des activités de PHM.

Entretien réalisé le 17 novembre 2021

 

 

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