Les problèmes de riches des Big Pharma

Le 11 avril 2025, pas moins de 32 multinationales de Big Pharma ont interpellé Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, avec les exigences suivantes :

– rémunérer l’innovation à sa juste valeur, avec des prix de médicaments qui ne soient plus sous pression permanente ;

– protéger la propriété intellectuelle avec douze années de protection au total, contre dix actuellement,

– harmoniser les législations environnementales, chimiques et sanitaires ;

– simplifier les processus de mise sur le marché en instaurant un cadre européen unique.

En résumé, les géants pharmaceutiques exigent des règles plus souples sur les prix des médicaments, un allongement de la durée de leur monopole de commercialisation, conféré par les brevets, la révision de normes environnementales, incluant la suspension de directives européennes protégeant l’environnement, une accélération des procédures de mise sur le marché[i].

Ces entreprises font planer la menace, en cas de refus, de détourner les investissements futurs vers les USA (ce que prévoyaient déjà plusieurs laboratoires, dont Roche). En clair, elles demandent une Europe moins exigeante et plus complaisante, sous peine de priver l’Europe de 16,5 milliards d’euros d’investissements d’ici à trois mois.

Le message des laboratoires est limpide : le marché américain est libre, rapide, rentable ; l’Europe est lente, fragmentée, bureaucratique. 

Ces entreprises seraient-elles en difficulté ? Que nenni !

Depuis trois décennies, le secteur de l’industrie pharmaceutique connaît une croissance soutenue avec un retour sur investissement médian de 13%[ii].

Le marché pharmaceutique mondial a atteint 1 607 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2023, en progression de +8,2 % par rapport à 2022. Selon les estimations d’IQVIA, le marché mondial du médicament devrait dépasser 2 200 milliards de dollars d’ici 2028[iii].

Ces deux dernières années, les plus grosses entreprises européennes : Sanofi, Novartis, GSK, Roche ou Astra-Zeneca, ont versé près de 50 milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires.

En 2024, Sanofi a réalisé un bénéfice net de 5,7 milliards d’euros. Novartis, de son côté, a enregistré un bénéfice net de 11,9 milliards de dollars.

Est-ce au profit des populations ? Que nenni !

L’innovation est envisagée par le seul prisme de la rentabilité maximale. De fait, les Big Pharma se concentrent sur les axes de santé les plus rentables, les cancers, les maladies chroniques, auto-immunes, où le prix des traitements explose, pour une durée que les entreprises cherchent sans cesse à prolonger, en demandant un allongement de la durée de vie des brevets.

Dans le même temps de nombreux médicaments anciens, efficaces, bien moins onéreux, sont cédés voire arrêtés pour certains.

Ces politiques du médicament sont en inadéquation avec les besoins de santé publique, dont témoignent notamment les pénuries de médicaments en France et en Europe, en augmentation depuis plusieurs années, compromettant l’accès aux soins et causant des pertes de chances de survie des patients. Parallèlement, l’escalade des prix pour les innovations thérapeutiques, conduit à des dispositifs de sélection des patient.e.s susceptibles de recevoir ces nouveaux médicaments, pour ne pas mettre à mal les systèmes de protection sociale, tels que la Sécurité sociale, en France.

L’évolution du groupe Sanofi en constitue le plus triste exemple : 

A l’assemblée générale (AG) des actionnaires de Sanofi, ce 30 avril, a été annoncé le nouveau record des dividendes Sanofi (3,92€ par action), marquant 30 années d’augmentation consécutives, portant le montant total versé aux actionnaires à 4,91 milliards d’euros. Le salaire fixe de son Directeur général, Paul Hudson, a cru de 14% et va probablement dépasser les 10 millions d’euros incluant une rémunération variable, dont les critères sont quasi exclusivement financiers. 

Les actionnaires sont chouchoutés au prix de cessions de centaines de médicaments anciens mais fort utiles, tels que, dernièrement, le Doliprane, le Kardégic, l’Aspegic ou abandonnés comme l’Immucyst (vaccin thérapeutique très efficace contre le cancer de la vessie).

Pour ne garder que les secteurs les plus rentables de la santé, Sanofi n’a pas hésité à vendre ses activités de médicaments grand public au fonds d’investissement spéculatif américain CD&R, a cédé la distribution de médicaments à DHL, et a massacré la recherche : ont été arrêtées les recherches en chimie, antibiothérapie, diabète, cardiovasculaire, et encore, dernièrement, sur le cancer. Au total 8 centres de recherche en France ont fermé et 50% des effectifs de ce domaine ont été supprimés. Le nombre de leurs salariés est passé de 28 000 à 18 000 en France ; et la saignée continue ! Ces plans de restructuration sont en partie financés par le crédit d’impôt recherche (plus de 100 millions € par an), permettant en outre à Sanofi de s’affranchir du paiement d’impôt sur les sociétés en France.

Sanofi, comme annoncé à grand renfort de publicité à l’AG des actionnaires,  préfère miser sur « la création de valeur durable pour les actionnaires » en rachetant 2,3 % des actions détenues par l’Oréal, avec l’objectif de les détruire, action qui «s’inscrit pleinement dans la politique d’allocation du capital de Sanofi »Le groupe précise qu’en 2025, 5 milliards de rachat/annulation d’actions seront réalisésUne aubaine pour la spéculation financière!

Si on récapitule, 5 milliards de dividendes plus 5 milliards de rachat d’actions, ce sont 10 milliards d’euros dilapidés en faveur des actionnaires. Ces chiffres ne révèlent pas une entreprise en difficulté, au contraire !

Heureusement des résistances, certes encore timides, se font jour :

Suite aux actions conduites par des organisations syndicales, le dernier plan de sauvegarde de l’emploi lié à la restructuration de la R&D de Sanofi (avec 335 suppressions d’emplois) vient d’être annulé par le Tribunal administratif[iv]. Même si la loi empêche de contester ce plan sur le fond, cette annulation permet aux salariés menacés de licenciement de gagner des reclassements.

Sur le site d’Amilly, qui produit entre autres le Kardegic et l’Aspegic, dont se désintéresse totalement Sanofi, les salariés se battent depuis 2 mois contre le projet de cession.

Ce ne sont pas les considérations de valeur d’usage des traitements au bénéfice des patients qui guident les choix de Sanofi – en se désintéressant de Kardegic, fort utile mais rapportant trop peu d’euros par mois, et en privilégiant Dupixent, médicament immunologique, dont le monopole de la commercialisation est protégé par un brevet d’exploitation, vendu 1200 € pour un traitement mensuel – mais bien la favorisation de l’accumulation des richesses au profit de quelques privilégiés.

La stratégie des industries pharmaceutiques de se recentrer sur les activités d’innovations thérapeutiques à haute valeur ajoutée, pour répondre à un objectif de croissance, avec une pratique de prix exorbitants, pose la question de l’accessibilité aux soins pour tous, et de la soutenabilité dans le temps du système de protection sociale comme celui qui prévaut en France. 

Les professionnels de santé, les organisations syndicales alertent mais le Gouvernement reste muet, empêtré dans sa logique néolibérale du marché : maintenir des prix libres même si ceux-ci conduisent à une explosion du coût des traitements, et en finir avec une assurance maladie solidaire financée par les cotisations sociales, pour la remplacer par le chacun pour soi des assurances privées. Vive la santé lucrative que seuls les plus riches pourront s’offrir !

Si les USA sont entre la 30e et la 40e place en termes d’espérance de vie, ce fait est lié, certes, au mode de vie d’une partie des populations mais surtout au système privé de protection sociale conduisant nombre d’américains à ne pas se soigner.

Ce système a conduit, entre autres, au scandale de la délivrance massive d’opioïdes par les labos pharmaceutiques, à l’augmentation inacceptable du prix des insulines… au mépris total de la santé des patients. Des milliers de morts en sont la conséquence ces dernières années. Est-ce là le modèle dont nous pouvons rêver ?

Nous sommes dans le monde du médicament bien marchand privé, loin, très loin du médicament bien commun. Ce qui est vrai pour le médicament l’est également pour l’ensemble des activités liées à la santé. Le rêve libéral est de pouvoir privatiser la Sécurité sociale et la santé dans sa globalité, pour en faire une manne financière. L’heure a sonné de dénoncer cette vision d’une société où tous les aspects de la vie sont totalement marchandisables et sources potentielles de profit.

Pour combattre avec force cette marchandisation de la santé, qui va à l’encontre de l’effectivité du droit à la santé pour tous, et imposer d’autres choix, nous avons à travailler à des convergences avec l’ensemble des personnels du système de soins de santé, les salariés de l’industrie, ceux de la recherche, de l’enseignement et du service public.

Le médicament doit devenir un bien commun via une appropriation sociale, sous la maîtrise d’une sécurité sociale refondée sur les bases de sa création, chacun cotisant selon ses moyens et recevant selon ses besoins. 

C’est l’engagement du collectif Médicament Bien Commun. Contactez nous.

NB : Le laboratoire pharmaceutique d’origine française, Sanofi, a fait part, mercredi 14 mai, de son intention d’investir « au moins 20 milliards de dollars » outre-Atlantique dans les cinq prochaines années[v]

Cet investissement est dans la continuité du renforcement industriel décidé par le groupe, dans l’un des plus grands clusters biotechnologiques au monde près de Boston, dans le Massachusetts, suite au  rachat de Genzyme, société américaine acquise en 2011, dans laquelle il a injecté 290 millions d’euros pour la transformer en site pilote de bioproduction digitalisé, inauguré en 2019. Cette installation est dans le viseur de la Food and Drug Administration (FDA) qui a adressé une lettre d’avertissement à la Genzyme Corporation de Sanofi SA, pour des manquements présumés à la qualité.

Cet avertissement est-il destiné à faire pression sur Sanofi, qui réalise 49% de son chiffre d’affaires aux États-Unis, mais n’y produit que 25% de ses médicaments, pour l’inciter à  accroitre plus rapidement sa présence  dans ce pays? L’entreprise explique dans son communiqué de presse que cet investissement s’inscrit dans un contexte de préparation au « lancement potentiel de nombreux nouveaux médicaments » à destination des Américains et qu’il était planifié avant toute la discussion sur les droits de douane initiée par D. Trump. 

Il n’en demeure pas moins que cette annonce est ressentie par les salariés de Sanofi comme un transfert de leur savoir-faire hors d’Europe, une délocalisation massive de la recherche réduisant drastiquement leur capacité d’innovation.

Médicament Bien Commun – mai 2025


[i] https://fnic-cgt.com/2025/04/18/les-laboratoires-pharmaceutiques-ne-reculent-devant-rien-2/

[ii] https://kpmg.com/fr/fr/insights/sante/panorama-enjeux-industrie-pharmaceutique.html

[iii] https://www.mind.eu.com/health/industrie/le-leem-dresse-le-bilan-economique-de-lannee-2023/

[iv] https://melun.tribunal-administratif.fr/decisions-de-justice/dernieres-decisions/travail-annulation-du-plan-de-sauvegarde-de-l-emploi-de-la-societe-sanofi-r-d

[v] https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/05/14/sanofi-promet-d-investir-20-milliards-de-dollars-aux-etats-unis_6606132_3234.html

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