Pénurie de médicaments 

Quand la santé devient une angoisse collective, des réponses politiques urgentes à la hauteur des enjeux doivent être apportées.

La situation

Depuis plusieurs années, la France connaît une multiplication sans précédent des ruptures de stocks de médicaments. Aujourd’hui, plus de 5 000 références sont concernées — soit cinq fois plus qu’en 2018. Ce phénomène n’est pas anodin mais une tendance lourde : il touche toutes les catégories de médicaments, y compris les plus courants. L’hiver dernier, la pénurie d’amoxicilline pédiatrique a particulièrement choqué l’opinion publique, révélant la fragilité de notre système pharmaceutique.

Ces ruptures ne sont pas de simples incidents logistiques. Elles conduisent à des conséquences concrètes de mise en danger de la santé de milliers de patients: aggravation des pathologies, souffrances évitables, perte de chance thérapeutique. Elles génèrent aussi un sentiment d’abandon chez les patients et leurs familles, qui voient leur droit à la santé compromis.

1. Le droit à la santé, un principe fondamental en péril /ignoré.

Le droit à la santé est un objectif à valeur constitutionnelle, affirmé par l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946 et réaffirmé par celle de 1958. Ce droit fait partie intégrante du droit positif français et figure également dans plusieurs textes internationaux qui le consacrent comme un droit fondamental.

Pourtant, les faits montrent une dégradation inquiétante de l’accès aux soins.  26% des Français, selon un sondage IFOP réalisé en avril 2025, ont renoncé à se faire soigner, et 61% disent avoir fait une croix sur des médicaments en raison de leur prix, un pourcentage qui a quasiment doublé par rapport à 2009 (36%)[i]. La France, autrefois dans le haut du classement européen pour la mortalité infantile, occupe aujourd’hui la 23ᵉ place sur 27. 

Cette régression traduit le dévoiement d’un modèle solidaire partant du postulat « chacun y contribue selon ses moyens, chacun y reçoit selon ses besoins » pour tendre vers un système à deux vitesses « l’accès aux meilleurs soins pour ceux qui ont les moyens et une réponse minimum et/ou l’absence de réponse adéquates pour les plus démunis/ pauvres. »

2. Une responsabilité politique.

Face à cette crise, les questions se multiplient : qui est responsable ? La Sécurité sociale, accusée de dépenses excessives ? Les pouvoirs publics, incapables d’anticiper ? Les laboratoires pharmaceutiques, guidés par la recherche de profit ?

Les services publics de santé sont souvent pointés du doigt pour leur coût croissant, tandis que les malades sont soupçonnés d’abus ou de fraude. Ces discours occultent une réalité économique : les exonérations de cotisations sociales en faveur des entreprises, la pression à la baisse des salaires, et les inégalités de rémunération entre femmes et hommes appauvrissent structurellement la Sécurité sociale. Rappelons que les cotisations sociales ne sont pas une dépense publique mais un salaire socialisé, c’est-à-dire une part de la richesse collective destinée à garantir le bien-être de tous. En aucun cas ce ne sont des charges.

Qui gèle les salaires, exonère les entreprises de cotisations sociales (CICE, intéressement des salariés, stocks option et autres rémunérations individualisées …) ?

3. Les logiques financières mondialisées affectent la production de médicament et s’affranchissent des lois de la cité.

Au cœur de la crise se trouve une dérive structurelle : la financiarisation du secteur pharmaceutique. Les grands laboratoires, dont le capital est majoritairement détenu par des fonds d’investissement transnationaux, ne sont plus gouvernés par des impératifs de santé publique, mais par les exigences de rentabilité des marchés.

Ces groupes imposent des critères de performance toujours plus élevés : gestion à flux tendus avec des stocks minimaux, restructurations permanentes entraînant la perte de savoir-faire, sous-traitance massive de la recherche à la distribution, optimisation et évasion fiscales, spéculation sur les devises et les prix d’achat.

Cette logique fait fi des législations du travail : à réduction des passifs sociaux, elle propose intérim de longue durée (rappel du code du travail : recours à l’intérim, un motif, une durée, sinon une requalification en CDI), plans « sociaux » financés par l’allocation chômage, salaire individualisé en lieu et place des conventions collectives, négociation de salaire minimum en dessous du SMIC.  D’autres exemples peuvent être décrits.

Cette logique est encouragée par les agences de notation, qui récompensent les entreprises capables de réduire leurs coûts et d’augmenter leur rentabilité financière. Une « bonne note » donne accès à des taux d’emprunt plus bas, voire négatifs faisant abstraction de la qualité du service rendu. Idem pour l’État français qui a interdit de financer sa dette via la Banque de France pour un financement via les banques privées. 

4. La fixation opaque du prix : un levier de pouvoir

Un autre levier de déséquilibre réside dans la fixation du prix du médicament, souvent déconnectée du coût réel de production. Protégés par le secret des affaires, les laboratoires exercent un véritable chantage à l’accès aux soins, menaçant de retirer certains produits si les prix imposés par l’État ne leur conviennent pas.

Dans l’émission Cash Investigation, plusieurs acteurs ont dénoncé cette dérive. Pour Nathalie Coutinet, économiste de la santé, et Agnès Buzyn, ancienne ministre, l’augmentation du prix des médicaments, réclamée par le LEEM (Les Entreprises du Médicament), ne résoudra pas la pénurie. La tentative de compromis menée par Grégory Emery, Directeur général de la santé, proposant une hausse de 10 % des prix, s’est d’ailleurs soldée par un échec : preuve que le problème est structurel et non conjoncturel.

5. Une industrie en décomposition : exemples concrets

Deux sites symbolisent aujourd’hui la fragilité industrielle française : Cenexi à Fontenay-sous-Bois (ex-Roche) et Sanofi à Maisons-Alfort. Ces établissements, situés en proche banlieue parisienne, sont menacés de fermeture ou de revente à des sous-traitants. Outre les emplois supprimés, ces projets font peser un risque sur la conservation des savoirs-faire et sur la capacité de production nationale. Certains évoquent même des opérations immobilières déguisées, tant la valeur foncière des sites est élevée.

Le débat dépasse donc le cadre local. Il s’agit d’un enjeu national, voire européen : celui de la souveraineté pharmaceutique et du maintien d’une production publique et solidaire.

La liberté d’entreprendre (y compris celle de désinvestir/casse) est plus forte que le devenir des salariés, de leurs savoirs-faire, de leur outil de travail etc. C’est sans doute ce qui explique le silence du gouvernement sur les menaces de fermeture de sites industriels, quand bien même il doit répondre aux besoins de santé de la population et honorer une promesse de réindustrialisation.

6. Repenser la production du médicament comme bien commun

Face à ce constat, des initiatives émergent. Le collectif « Médicament Bien Commun » (medicament-bien-commun.org) participe avec des acteurs variés — Médecins du Monde, Remix the Commons, mutuelles, universitaires, pharmaciens, élus, salariés du secteur, sociologues — à l’élaboration d’une alternative humaniste en matière d’accès aux soins et de production de médicament. 

L’objectif : créer des communs pharmaceutiques à différentes échelles (locale, régionale, nationale, européenne) afin de répondre aux besoins réels de santé plutôt qu’aux impératifs de rentabilité. Parmi les pistes envisagées : la reprise de sites industriels sous forme de SCIC ou de SCOP, la création de réseaux coopératifs ancrés dans les territoires, l’engagement sur des valeurs sociales, environnementales et démocratiques, un pilotage collectif et transparent des bénéfices ou excédents de gestion pour soutenir la production de médicaments d’intérêt général.

Placer cette dynamique au cœur de la population, malades, soignants, systèmes éducatifs et de recherche, respect du travail et de l’intégrité des salariés, respect de l’environnement. 

Initier un processus collectif créatif au service de l’humanité.

7. Une leçon de la pandémie : la santé comme bien commun

La pandémie de Covid-19 a cruellement rappelé la fragilité de notre système de santé : manque de masques, de respirateurs, de lits, de personnel… Cette crise a mis en évidence la nécessité de réinvestir massivement dans la santé publique, dans les hôpitaux, la formation, la recherche et la production locale.

Elle doit désormais nous inciter à tirer les leçons de nos erreurs. Garantir l’accès aux médicaments, c’est garantir l’égalité et la dignité. C’est aussi refuser que le soin devienne une marchandise soumise aux logiques du profit.

Conclusion

La pénurie de médicaments n’est pas une fatalité. Elle résulte d’un système économique qui a perdu de vue sa mission première : soigner. Repenser la gouvernance du médicament, c’est redonner sens à la santé comme bien commun.

Cela suppose une volonté politique forte, une mobilisation citoyenne, et une coopération entre tous les acteurs : patients, professionnels, collectivités, associations, chercheurs, mutuelles et entreprises coopératives.

Ensemble, réinventons un modèle fondé sur la solidarité, la transparence et le progrès humain. 

Car la santé n’est pas un marché, c’est notre bien commun.


[i] https://www.magnolia.fr/actualites/sante/sante-inflation-2023-francais-renoncent-acheter-medicaments

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