Communication au 7ème colloque “Sur et Sous-médicalisation, sur diagnostic et surtraitements » 29-30 novembre 2019
Merci d’avoir sélectionné notre poster sur l’envolée des prix des médicaments et de nous donner ainsi l’opportunité de communiquer, au nom de tout le groupe, sur notre initiative d’un médicament pensé comme un bien commun.
La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, adoptée en 1948, reconnaît (article 25) un droit à la Santé et à la Protection Sociale. La santé humaine est multifactorielle : cela va des conditions à l’accès aux besoins vitaux tels que l’eau, l’alimentation, aux conditions de travail, en passant par l’environnement et le risque d’exposition à la pollution, et enfin à l’accès aux soins de santé. Le médicament fait partie des soins, et son accessibilité à toutes et tous est une condition indispensable à la jouissance du droit à la santé.
Cet objectif d’une totale accessibilité est loin d’être atteint : des millions de personnes dans le monde meurent faute de soins ou d’accès aux médicaments, notamment à cause de leur prix, objet de notre poster présenté à ce colloque, qui est au cœur de cette problématique de l’accès aux soins de santé.
Depuis plus d’une décennie, nous constatons une envolée des prix. Cette augmentation est flagrante pour les nouveaux traitements dits innovants, notamment ceux issus des biotechnologies. Les exemples sont nombreux : en France le traitement d’un cancer ou d’une polyarthrite rhumatoïde par un anticorps monoclonal est de l’ordre de 20 000 € à 40 000 € par an, le traitement du mélanome par le Keytruda est chiffré environ à 180 000 Euros par an et par patient (soit 6000 Euros /mois).
Le montant des dépenses des médicaments contre le cancer, est ainsi passé de 24 milliards en 2008 à 80 milliards en 2014, faisant de l’oncologie l’aire thérapeutique la plus rentable pour les industries pharmaceutiques.
Deux thérapies géniques contre les cancers (deux traitements CAR-T), le Kymriah® de Novartis et le Yescatya® de Gilead, sont vendues en Europe respectivement 320 000 et 350 000 euros par patient-e.
Aux Etats-Unis, une autre thérapie génique, administrée en dose unique, le Zolgensma, développée par le laboratoire Novartis vient de recevoir l’approbation de la FDA (autorité sanitaire américaine), au prix de 2,125 millions de dollars la dose.
La hausse des prix des médicaments n’est d’ailleurs pas cantonnée aux nouveaux médicaments. Des molécules déjà présentes sur le marché, connaissent des hausses de prix spectaculaires et injustifiées. Aux Etats-Unis le prix de l’insuline a plus que doublé en quinze ans : le Lantus de Sanofi a vu son prix passer de 99,35 dollars en 2010, lors de son lancement, à 269,54 dollars en 2018, (soit une hausse de 171,3%). L’Avastin est passé de 10 à 100 euros, soit une hausse de 1000%, lorsque son usage a été étendu au traitement de la dégénérescence maculaire,
Cette inflation des prix n’est pas sans conséquences sur les populations. La principale est l’augmentation des inégalités d’accès aux médicaments. Onze millions de personnes meurent chaque année de maladies infectieuses faute d’avoir accès aux médicaments essentiels. Deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès aux soins de santé de base, parce que ceux-ci sont trop coûteux. C’est vrai pour les pays du sud mais également pour ceux du Nord : Aux USA près de 30% de la population renoncent aux soins, 7% des patients en France et 18% en Grèce renoncent aux prescriptions, principalement en raison du coût des traitements.
Ces prix exorbitants conduisent les décideurs de la santé à une hiérarchisation des malades : c’est le cas avec le traitement de l’hépatite C par le Sofosbuvir, (initialement vendu 41000 Euros la cure). Seuls les patients ayant atteint un certain stade de fibrose ont été admis au bénéfice du traitement, alors qu’en termes de santé publique, le traitement du plus grand nombre est essentiel afin d’enrayer durablement l’épidémie et d’éviter de nouvelles contaminations…
Cette sélection de malades pour un accès à un traitement risque de s’étendre à d’autres indications, comme le cancer par ex, au vu des prix faramineux des anti-cancéreux.
Ces prix mettent en danger notre système de solidarité : à terme, l’assurance maladie ne pourra plus faire face à la croissance inexorable des dépenses de santé. D’ores et déjà des réductions sont régulièrement annoncées : réduction du taux de prise en charge par l’assurance maladie de dépenses de santé, réduction des budgets hospitaliers, amplification des déremboursements de médicaments et d’actes médicaux. Ces dispositions favorisent la privatisation des systèmes de santé par une augmentation du financement privé du risque maladie, qui est passé de 5.3% en 1980 à 13.3% en 2015.
Pourquoi des prix si élevés pour les médicaments ?
L’IP (Industrie Pharmaceutique) se justifie par des arguments plus fallacieux les uns que les autres : elle invoque le coût de la R&D (recherche et développement) qui atteindrait 2 milliards de dollars, mais elle omet de mentionner le montant des investissements publics en recherche et les crédits d’impôts dont elle bénéficie : Ex en France, en 2019, plus de 600 millions d’euros de Crédit d’Impôt Recherche (CIR) sont alloués aux industriels privés au titre de la recherche pour la santé. Il est notoire que les frais de R&D annoncés sont artificiellement gonflés par les dépenses de marketing et de lobbying réalisées pour positionner avantageusement leurs produits « sur le marché ».
Un autre argument invoqué est que les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain pour le développement de nouvelles thérapies. Dans les faits, 50 à 100% des bénéfices sont distribuées aux actionnaires.
En réalite le prix est plus déterminé en fonction de ce que le malade est prêt à payer pour rester en vie que du service médical rendu (SMR), ou du coût réel de la production.
Force est de constater que la politique de santé est dominée par les lois du marché et de la finance, que ce sont les entreprises vendeuses qui décident de façon exclusive de leurs conditions de vente, et que face à elles, les pouvoirs publics n’affirment pas suffisamment leurs exigences, en termes de prix ou de sante publique.
De tous les secteurs industriels, celui du médicament est de loin le plus profitable : le chiffre d’affaire des multinationales dépasse les 1000 milliards d’Euros, avec une rentabilité de 20 %.
Comment justifier les profits exorbitants de cette industrie ?
Le médicament est considéré par les IP comme un bien de consommation comme les autres, dont le prix de base devrait être fonction de l’offre et de la demande, comme pour n’importe quel business. Cette démarche a été facilitée par l’intégration du médicament aux activités commerciales de l’Organisation Mondiale du Commerce (l’OMC) en 1994 (accord de Marrakech), alors qu’il était jusqu’à cette date exclusivement sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Santé (l’OMS). Transformé en « marchandise », dans le Traité commercial de libre échange TAFTA, signé en Juillet dernier, le médicament voisine avec les pompes à vélo et les poulets aux hormones.
De plus en 1994, l’OMC a légitimé internationalement les droits du Brevet d’Invention appliqué aux médicaments devenus marchandises. A chaque mise sur le marché d’un nouveau traitement est associé un brevet qui octroie, pour une période de 20 ans, une exclusivité de production et de commercialisation à la firme détentrice, lui assurant un monopole. Il y a une incidence directe et forte de la réglementation des brevets sur les prix des médicaments, le brevet conférant aux entreprises une position de domination dont elles usent pour imposer leur prix de vente aux gouvernements.
De plus en plus souvent des voix s’élèvent contre les abus de monopole liés aux brevets ; un exemple récent (février 2019) : en Inde, Johnson & Johnson (J&J) a voulu breveté la forme saline d’un anti tuberculeux (la bédaquiline), pour prolonger sa position monopolistique et vendre son produit au prix fort (400$ pour six mois), retardant d’autant l’entrée sur le marché du générique moins cher. Des activistes soutenus par MSF, se sont élevés contre cette prise injustifiée de brevet.
Plus récemment encore (juillet 2019) MDM s’est opposé au brevet du KYMRIAH, pour dénoncer son caractère abusif, et le prix excessif de ce traitement, véritable barrière à l’accès aux soins pour toutes et tous.
La santé de tous, finalité et justification initiales des laboratoires a disparu. La volonté de conquérir les « marchés émergents », tel que celui de la Chine, est devenu la priorité. Les IP favorisent la production pour le profit, à l’opposé de leur vocation initiale : la santé des hommes.
Ce qui signifie que, via le prix du médicament, c’est la survie de 7 Mds d’humains que détiennent entre leurs mains quelques dizaines d’hommes par la seule légitimité d’être installés au faîte de quelques multinationales. Ils se sont enrichis grâce aux cotisations sociales payées par les millions de cotisants malades et bien portants. A aucun moment, ceux-ci, premiers concernés, ne sont admis à participer aux décisions qui les concernent pourtant en premier lieu puisqu’il y va de leur survie.
Le médicament ne peut pas être un bien marchand : il doit être libre de droits exclusifs. Il est temps que nous nous approprions les médicaments et produits de santé, largement financés par les contribuables. Ils doivent être pensés comme un Bien Commun et accessibles au plus grand nombre. Ils ne peuvent pas être source de profit.
Nous devons changer de paradigme, l’IP doit revenir à ce qu’elle doit être : une industrie au service de la santé publique. Pour que les besoins de santé de la population humaine prévalent sur les spéculations financières, le médicament doit sortir des règles de l’OMC, la notion de propriété intellectuelle appliquée aux Brevets sur les médicaments doit être revue. Pour que soient pris en compte les intérêts humains majeurs en matière de Santé, mobilisons-nous pour que soit instauré un regard démocratique des patient(e)s et des citoyen(e)s sur la politique du médicament. Ce qui pourrait se réaliser par la mise en place de partenariats entre société civile, des citoyen(e)s et des élu(e)s, centrés sur les exigences sociales, animés par celles et ceux qui s’inscrivent dans le mouvement de la société. C’est possible si soutenus par une forte volonté politique.
Mesdames, Messieurs je vous remercie au nom de notre groupe et des centaines de cosignataires du Manifeste que vous trouverez sur le site www.medicament-bien-common.org et que nous vous invitons à signer.
Intervention de Eliane Mandine, au nom du groupe