Le modèle économique de délégation de l’État à des acteurs privés de produire et distribuer les soins de santé ne garantit pas l’indépendance sanitaire de la France. Ce constat est une incitation pour la société civile à s’emparer du sujet et à proposer de nouvelles formes d’organisation et de production d’un médicament bien commun, répondant aux besoins de la population. Face aux carences, profitant des compétences et des savoir-faire présents sur nos territoires, la relocalisation de productions des soins de santé est l’occasion d’imposer de nouveaux choix politiques favorisant la création d’organismes à but non lucratif, gérés démocratiquement par la collectivité et garantissant l’effectivité du droit à la santé à l’ensemble de la population.
L’État reconnaît la nécessité, pour la France, de « gagner en indépendance industrielle et sanitaire », tant en approvisionnement en médicaments qu’en dispositifs médicaux. Il a mobilisé une enveloppe de 200 millions d’euros pour accompagner l’industrialisation, la production et le stockage des produits thérapeutiques sur le sol national. Ces aides ciblent les industries pharmaceutiques. Nous sommes en accord avec une tribune parue dans le Monde en date du 16 avril : « Il serait paradoxal de donner à l’industrie pharmaceutique la maîtrise d’œuvre de la relocalisation, alors qu’elle a été responsable de ces délocalisations délétères uniquement pour des raisons de profitabilité et qu’elle pourrait en saisir l’occasion pour de nouvelles augmentations indues des prix. »
En revanche, nous pensons que la mise en place d’un établissement public utilisant « les compétences de chimie et de façonnage locales dans le cadre de partenariats public-privé » ne serait pas la solution. Trop d’exemples de partenariats public-privé se sont avérés dispendieux pour les ressources publiques et sans efficacité. Dans le contexte actuel, il n’est pas pensable de concevoir l’État comme seul garant de l’intérêt général. Il a autorité pour limiter l’accaparement privé de biens ou de ressources d’intérêt collectif, ainsi que la puissance des intérêts privés. Mais, depuis le XIXe siècle, l’attribution de droits subjectifs le consacrant personnalité juridique font qu’il aliène la chose publique en s’en considérant propriétaire, et transfère à des acteurs privés des biens et ressources jusque-là publics.
Cela est flagrant pour les soins de santé, dont le développement, la production et la distribution ont totalement été abandonnés au privé. L’État ne joue plus son rôle pour protéger les intérêts des personnes malades et encadrer les industries pharmaceutiques. Il en résulte un modèle économique rendu favorable aux acteurs privés par la consolidation des accords sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (Adpic), mais incapable de répondre aux besoins de santé de la population. Ce qui a été crûment démontré par l’inégalité d’accès aux vaccins contre le Covid. L’accès aux médicaments est mis à mal. Il est soumis à un rapport de forces dominé par des entreprises pharmaceutiques, qui imposent aux institutions publiques leurs conditions dans les négociations sur les régulations et les prix de vente, négociations dont sont exclus citoyens et patients.
Pour sortir de cette situation, nous devons remplacer ce système par un modèle novateur, dans lequel les responsabilités ne seront plus déléguées ni à des acteurs privés, ni à la puissance publique, mais contrôlées par les intéressés eux-mêmes. Il est temps pour la société civile de se mobiliser pour collectivement se saisir de l’opportunité offerte par la situation actuelle de concrétiser une des revendications écrites dans le manifeste « Pour une appropriation sociale du médicament » (medicament-bien-commun.org).
Une production de médicaments collaborative, axée sur la valeur d’usage plutôt que lucrative, est le point d’entrée d’une transformation du modèle vers une appropriation collective des moyens de recherche, de production et de distribution. Il s’agit de s’inscrire dans une dynamique de sortie des médicaments des circuits des marchés financiers. L’objectif est de leur donner un statut juridique de « biens inappropriables » par les intérêts privés, et de les reconnaître comme un bien commun.
Cet objectif ne peut être atteint qu’en remettant en question la soumission des médicaments au droit commun des brevets, qui restreint la diffusion et le partage des connaissances et la libre production de traitements pharmacologiques. La reconquête de la Sécurité sociale est cruciale pour pérenniser ce nouveau modèle de production, et aboutir à des services de santé plus inclusifs et égalitaires, mettant l’humain au centre.
Publié le vendredi 17 Juin 2022 dans l’Humanité des débats
COLLECTIF MÉDICAMENT BIEN COMMUN