Sanofi en contre-exemple

La France veut relocaliser les moyens de son indépendance sanitaire. Les milliards d’euros engagés ne modifieront pas pour autant les pratiques des « big pharma » dont Sanofi. Le plan de relance du gouvernement annonce prioriser l’industrie pharmaceutique parmi les domaines d’activité stratégiques. Le secteur va à lui seul bénéficier d’un financement public de 15 milliards d’euros et d’une réduction supplémentaire d’impôts de 300 millions pour « améliorer sa productivité ». Autrement dit, pour compenser, par anticipation, la réduction des marges qui résulterait d’éventuelles relocalisations en France ?

Les gestes de l’État en faveur du secteur n’ont jamais manqué ; ils se multiplient dans la période. En juin, 200 millions d’euros de fonds publics ont été engagés pour soutenir un partenariat de Seqens, Upsa et Sanofi autour d’un projet permettant de maîtriser la chaîne de production du paracétamol (apap : acétyl paraminophénol, principe actif). Le paracétamol illustre les logiques financières à l’œuvre dans la filière, et l’imbrication mondiale des chaînes de production, pour ne pas dire leur opacité. L’apap n’est plus fabriqué en France depuis 2008. Les grands groupes préfèrent s’approvisionner auprès d’usines basées en Chine ou en Inde, où les exigences sociales et els contraintes environnementales sont moindres. Pourtant, le coût de l’apap détermine moins de 3% du prix du médicament.

Investissements publics, bénéfices et rentabilité financière privés

A tous les niveaux de la chaîne, les labos ne déterminent jamais leurs stratégies en fonction des besoins sociaux mais bien des marchés les plus rentables. Outre l’imprévoyance, c’est une des raisons pour lesquelles, au plus fort de la crise sanitaire, la France a manqué de matériel médical, de tests, mais aussi de médicaments de première nécessité utilisés au quotidien dans les services de réanimation – antidouleurs, décontractants, anesthésiques ou antibiotiques. Même le paracétamol a été menacé de rupture de stocks ! Les pénuries ponctuelles de médicaments ou de vaccins sont récurrentes depuis des années et ont fait l’objet de deux rapports parlementaires en 2018 et 2019, sans déboucher sur des décisions politiques.

Sanofi, 5ième laboratoire mondial, 3ième entreprise française en termes de bénéfices en 2019. Le groupe revend une partie de ses activités mais rachète des start-up innovantes sur les marchés sur lesquels il souhaite se recentrer : mi-août par exemple, 3,7 milliards de dollars pour acquérir l’américain Principia Biopharma, en pointe sur les maladies auto-immunes ; ou en début d’année 2020, 2,5 milliards de dollars pour Synthorx, spécialisée dans les biotechnologies en immuno-oncologie. « Cela lui paraît moins coûteux que d’investir sur le long terme en intégrant en son sein des équipes de recherche, explique Thierry Bodin, délégué central Cgt pour Sanofi-France. Sanofi ne cache pas sa stratégie, ni sa florissante trésorerie. C’est bien pour cela que nous dénonçons le chantage permanent de notre groupe, comme celui d’autres labos, pour capter des fonds publics sans contrepartie, ni pour l’emploi ni pour la sécurité sanitaire. »

Comment prioriser l’emploi et la santé publique ?

Sanofi vient certes de s’engager à investir 490 millions d’euros dans une nouvelle usine à Neuville-sur-Saône (69) qui permette de produire, sur le même site, plusieurs vaccins en même temps, mais a annoncé dans la foulée un plan de 1700 suppressions d’emplois en Europe, dont 1000 en France ! Le groupe a aussi distribué 4 milliards de dividendes à ses actionnaires cette année, et déjà engrangé 17 milliards de chiffre d’affaires au premier semestre 2020, tablant sur +7% cette année, en particulier grâce au Covid ! Il ne crache pas pour autant sur ces quelques 130 millions de crédits d’impôts au titre du CICE et du CIR, concédés là encore sans conditions.

Bilan : 13 sites fermés en France depuis 2008, et deux fermetures supplémentaires sont prévues ; près de 7000 emplois en moins, au fait de l’externalisation de certaines fonctions supports ; l’abandon de multiples activités et de médicaments y compris d’intérêt thérapeutique majeur, en particulier des anti-infectieux et antibiotiques.

La R&D est également touchée : les effectifs sont passé de 6350 en 2008 à moins de 3500 en 2020. « Dans la recherche d’un vaccin contre le covid, les salariés, très impliqués, auraient préféré que leur direction ne se comporte pas comme un mercenaire », ajoute Thierry Bodin. A l’image de leur directeur général, qui au printemps, a cherché à faire monter les enchères. D’ailleurs sur l’un des deux programmes prometteurs auxquels il participe, Sanofi a perçu 2,1 milliards de dollars des États-Unis et 300 millions de l’union européenne, pour le préachat de doses de vaccins.

L’État français disposerait pourtant de meilleures marges de manœuvres s’il s’appuyait sur une recherche publique mieux pourvue en moyens humains et financiers, s’il imposait des partenariats, qui ne soient pas au seul bénéfice des entreprises, engendrant des embauches de jeunes chercheurs et d’ingénieurs, sur des médicaments et traitements répondant aux besoins et à l’intérêt général. Même si Sanofi ne réalise plus que 8% de son chiffre d’affaires en France, peut-il se passer de son cœur de métier et de son implantation historique ? L’enjeu est de libérer la filière de la course effrénée à la concurrence et à la rentabilité financière, et de construire des chaînes de production plus vertueuses, sur le plan social et environnemental. L’État dispose de ressources et de leviers juridiques, économiques, fiscaux, pour assurer la sécurité sanitaire autrement qu’en se remettant au bon vouloir des labos pharmaceutiques.

 

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