Sanofi: mouvement de grève inédit

En réponse à une inflation estimée à plus de 6% (dont 12 à 20% pour l’alimentaire et l’énergie), mais qui dépassera probablement les 10% en 2023, Sanofi n’a consenti, lors des dernières NAO (négociations annuelles obligatoires) avec les syndicats, qu’une augmentation de 4 % des salaires pour les non-cadres et de 3 % pour les cadres, ainsi qu’une prime de 2 000€.

En 10 ans, les salaires des employés de Sanofi n’ont augmenté que de seulement 2%, alors que l’inflation sur cette période progressait d’environ 10 %. Cette absence d’augmentation collective et un salaire d’embauche au rabais font que les minimas salariaux dans le groupe Sanofi ont diminué entre 2014 et 2019. Ce qui n’empêche pas Paul Hudson, Directeur Général de Sanofi, dans un courrier aux salariés (document de référence de 2021), de prétendre que les salaires de base annuels dans son groupe sont supérieurs à la moyenne nationale de l’industrie pharmaceutique. C’est incontestable pour lui, qui figure dans le top 5 des dirigeants du CAC40 les mieux payés en 2021, avec 10,98 millions d’€ à lui seul.

Dans ce contexte, a éclaté le 14 novembre 2022 une grève pour revendiquer une augmentation des salaires de 10%, assortie d’une prime de 10 000 € pour tous, ainsi que l’intégration d’au moins les 2/3 des précaires (3700 précaires dans le groupe Sanofi en France).

Ce mouvement, initié par la CGT, rejointe par les syndicats FO, CFTC et CFDT, s’est étendu de la recherche à la production, en passant par la distribution, à 16 sites, incluant celui de Vitry où travaillent 2000 salariés. Quoique d’une ampleur inédite, cette grève a d’abord été minimisée par la direction de Sanofi, qui a déclaréqu’elle n’avait aucun impact sur la production en cours des produits pharmaceutiques. Elle ne fait pas non plus la une des grands médias, muets sur les nombreux conflits sociaux actuels, quand ils ne les dénigrent pas pour la gêne occasionnée pour la population.

Devant le peu de prise en considération des revendications, somme toute légitimes, des grévistes de Sanofi, les syndicats se demandent, s’il ne faut pas bloquer le périphérique pour être entendus[1]. Ce qui ne manquerait pas d’être décrié par les tenants de l’information, comme une escalade de la violence visant à nuire au quotidien des Français, et mise sur le compte d’une « minorité » que représentent les syndicats du groupe.

Voir les grands émois suscités par les longues queues d’attente des automobilistes devant les stations-service suite au blocage des raffineries de TotalEnergies  en octobre : aussitôt avait été dénoncé « l’abus de pouvoir » des syndicats, une « minorité d’individus » qui prenait en otage ceux qui se lèvent tôt, en les empêchant de se rendre au travail.  Sans signaler la responsabilité des dirigeants de Total, qui dans le même temps affichait des bénéfices record (17,3 milliards € sur les 9 premiers mois de 2022). La direction de TotalEnergies a cependant été contrainte de revoir sa copie.

C’est bien le couplet habituel de la « prise d’otage » des français, confrontés à la pénurie de Doliprane, qu’utilise Paul Hudson, en durcissant le ton face à la durée du mouvement, dans un document destiné à l’ensemble des salariés (Note interne du 6/12/2022) : « Le droit de grève consiste à cesser collectivement le travail, et non à volontairement interférer ou bloquer la livraison de médicaments. (…) Ce type de blocages par une minorité de grévistes (…) sont tout simplement irresponsables et illicites. Ils ne seront pas tolérés ».

La ficelle est un peu grosse : reporter sur les grévistes la responsabilité d’une mise en danger de la population par le manque d’accessibilité des produits de santé.

Les ruptures de stock de médicaments ne font que s’accroître depuis une décennie, pour atteindre aujourd’hui un seuil critique, avec les pénuries d’antibiotiques comme l’Amoxicilline, essentiel dans les prises en charge des pathologies des jeunes enfants (bronchiolites, otites).  Elles s’ajoutent à l’arrêt de la production ou de la vente, ces dernières années, de dizaines de médicaments jugés insuffisamment rentables. Certains sont pourtant d’intérêt thérapeutique majeur, tel  l’Immucyst, vaccin thérapeutique très efficace contre le cancer de la vessie, arrêté définitivement par Sanofi en 2019, malgré la protestation des urologues. Par ailleurs, les médicaments sont négociés à des prix exorbitants, ce qui les rend plus difficile d’accès pour les patients. En exemple, le prix des insulines aux USA, dont le Lantus de Sanofi, qui, en 8 ans, est passé de 99 à 269 € (entre 2010 et 2018).

Toutes ces mesures s’inscrivent dans les politiques libérales appliquées depuis plusieurs années, d’une financiarisation à outrance des activités liées à la santé, les transformant en une gigantesque source de profits pour les Big Pharma. Pfizer a doublé son bénéfice net en 2021, à 22 milliards de dollars, principalement grâce à la vente de son vaccin contre le coronavirus, Sanofi affiche en 2021 un bénéfice net des activités de 8,1 milliards d’€, en hausse de 11.8 %, pour ne citer que ces deux exemples. Ce modèle économique des entreprises du médicament est pourtant rarement remis en cause dans l’opinion publique.

Ce ne sont pas les grévistes, en lutte depuis le 14 novembre, qui sont à l’origine de cette impossibilité, pour des dizaines de milliers de patients, de bénéficier de traitements adaptés. Au contraire, c’est leur force de travail qui assure la production des médicaments et vaccins, et permet à Sanofi d’atteindre 38 milliards de chiffre d’affaires en 2021 et de distribuer 4 milliards d’€ de dividendes à ses actionnaires. Ce qui autorise cette entreprise à prévoir une hausse de 16% d’augmentation des dividendes à destination des actionnaires en 2022.

Dans le même temps les salariés ont à subir les décisions, prises pour satisfaire l’insatiable appétit des actionnaires, de délocalisations de production, de fermetures de sites (fermeture de 9 centres de recherche et d’une usine de production en France), de réduction des effectifs (Sanofi a réduit de 28% ses effectifs en CDI entre 2008 et 2022). Ils sont malmenés de restructurations en restructurations, tout en étant incités à donner le meilleur d’eux-mêmes pour que l’entreprise reste dans le top 10 des multinationales de la pharmacie. En échange de quoi les salariés subiraient une baisse effective de leur revenu (augmentation de salaires de 3 à 4%, bien inférieure à l’inflation) alors que les actionnaires verraient leurs dividendes continuer à croître bien au-delà de l’inflation (+16%).

Les salariés ne font que revendiquer une juste rémunération et une meilleure répartition des richesses. Saluons leur courage et leur détermination. Aidons-les en dénonçant aussi souvent que possible la toxicité, pour l’ensemble de la société, des politiques néolibérales menées à l’échelle internationale et incarnées en France par l’exécutif actuel. Elles favorisent l’usurpation des pouvoirs dans les entreprises par une minorité de financiers/rentiers, et l’accaparement de la totalité de la valeur ajoutée produite par les acteurs de terrain que sont les chercheur-se-s, ingénieur-e-s, technicien-ne-s, ouvrier-e-s, considérés comme de simples variables d’ajustement.

Médicament Bien Commun – 14-12-2022

[1] https://www.lamarseillaise.fr/france/la-greve-dans-16-sites-sanofi-est-historique-JA12749819

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