Le vaccin, on ne parle que de lui, il est adulé, voire idolâtré……Mais au vu des échauffements qu’il suscite dans l’espace public, on découvre qu’il est lesté d’un gros sac à malice. Hier, il fallait convaincre de la nécessité de se faire vacciner. D’où de grands efforts pour obtenir le consentement des personnes âgées (voire de leurs proches dans certains cas). Le débat se voyait polarisé par la question de savoir s’il fallait le rendre obligatoire (ou très incitatif grâce à la ruse d’un éventuel « passeport vaccinal »). L’accompagnaient les appels de scientifiques expliquant que le vaccin est un médicament comme un autre, donc ne devant susciter nulle crainte. Avec déploration à l’appui : comment, au « pays de Pasteur » (sic), peut-on être sceptique quant à l’utilité des vaccins ?
Aujourd’hui, il s’agit plutôt de limiter l’accès au vaccin, l’État ne pouvant répondre à la demande faute d’une quantité suffisante de doses et du fait de difficultés logistiques… Pourtant, au vu du faible nombre de commandes le déficit à venir était hautement prévisible. Outre l’inévitable comparaison avec l’Allemagne, s’impose la question « à qui la faute ? » Aux laboratoires, au gouvernement, à la Commission européenne ?
Reste que le renversement complet de perception et d’argumentation est spectaculaire. Illustration caricaturale de ces volte-face : si, hier, certains souhaitaient que les responsables politiques et autres vedettes médiatiques se fassent vacciner les premiers et publiquement, afin de donner l’exemple, aujourd’hui on soupçonne certains de profiter de leur statut et de leur influence pour accéder au vaccin en usant de passe-droits…
De tout cela résulte un grand trouble, gros de confusions et d’angoisses collectives…Cette dramatisation autour du vaccin traduit la peur (légitime) face à la pandémie. Mais les discours tenus par les autorités et les grands médias risquent de transformer celle-ci en panique.
A quoi il faut opposer une approche raisonnée.
Le vaccin ne saurait être présenté comme la solution miracle, qui va permettre de terrasser le mal et éradiquer le virus. Donc, le vaccin, oui. Mais accompagné des nécessaires explications sur ce qu’il est, les conditions et limites de son efficacité.
Face au virus, différentes ripostes…
Le vaccin n’est pas à lui seul la réponse à la crise sanitaire. Celle-ci appelle un faisceau de réponses.
- Les mesures de protection sont décisives : les gestes barrières, l’hygiène, la stratégie « tester-détecter-isoler » … Le port du masque ou la distanciation physique sont des changements des comportements individuelsqui témoignent des capacités collectives à affronter la situation créée par une épidémie. On doit prendre exemple des politiques de santé publique que des États (certains pays asiatiques, comme Taïwan ou la Corée du sud…) ont su très vite mettre en œuvre sans un accompagnement par trop autoritaire, telle que la stratégie « tester-détecter-isoler », le séquençage génomique…
- Des traitements médicaux sont indispensables. Or, si des recherches sont en cours dans ce domaine, ce besoin essentiel est relativisé au nom du discours sur le thème « seul le vaccin permettra d’en sortir… ». En conséquence les moyens financiers ne sont pas au rendez-vous, comme ils le furent pour les vaccins. Si, par définition, le vaccin est en retard par rapport à l’avènement d’un virus ou de ses variants, en revanche des thérapies préventives ne sauraient être ignorées ou relativisées. Donc il faut des traitements médicaux pour les malades (ou en prévention) et des vaccins pour les bien-portants afin de leur éviter d’être malades, et pour limiter les mutations du virus. Aujourd’hui, près de 500 molécules sont en cours de développement, dont 400 en phase 3. De l’argent a été mis dans ces essais, mais avec peu de résultats jusqu’à présent.
- Quant à l’objectif d’éliminer le virus, c’est un horizon. L’immunité collective ne peut être recherchée au seul niveau national, ni même d’un continent, car elle concerne toute l’humanité. La vaccination de l’ensemble de la population humaine (donc à une échelle de vaccination en milliards de doses…) suppose la reconnaissance de sa qualité de bien commun. Viser cet objectif impose impérativement d’écarter toute forme du « chacun pour soi », que ce soit entre individus ou pays. La solidarité doit s’imposer contre la concurrence.
L’OMS et la propriété intellectuelle
Tedros Adhanom Ghebreyesus a déclaré « le monde ferait face à un “échec moral catastrophique” si les pays riches continuaient d’accaparer les vaccins contre la COVID-19 au détriment des pays en développement.» (2) Cette intervention n’a eu à ce jour que peu d’impact sur la politique sanitaire mondiale. Quant aux responsables scientifiques de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ils craignent que l’épidémie ne soit pas endiguée par les campagnes de vaccinations et que le monde ait à vivre avec la Covid-19.
« Étant donné que le Conseil de Sécurité des Nations Unies vient de se prononcer, j’ajouterai ces quelques mots : on ne viendra jamais à bout de la Covid sans équité en termes de vaccins. Le monde ne se remettra pas suffisamment rapidement si on n’assure pas l’équité en termes de vaccins, c’est une chose certaine. Partager les vaccins fabriqués, c’est la meilleure manière de pouvoir revenir à la normale en termes d’activités économiques et de moyens de subsistance. Il est donc dans l’intérêt de tous les pays de coopérer.
Sur la question des vaccins, il y a des choses évidentes mais que l’on refuse parfois de voir, le problème de la répartition, du partage peut être résolu de manière efficace si on augmente la production. Or il y a un certain nombre d’obstacles commerciaux ou d’autre nature qui entravent l’accroissement de la production, il faut surmonter ces obstacles. On en a déjà fait le recensement : les transferts de technologie, les licences volontaires, les dérogations temporaires à la propriété intellectuelle. Lorsque l’on soulève la question de la dérogation à la propriété intellectuelle, un certain nombre d’acteurs ne sont pas très portés à la coopération, je dirai même qu’un certain nombre y résiste, personnellement je ne comprends pas pourquoi. En effet nous vivons aujourd’hui une pandémie sans précédent, le virus a pris le monde entier en otage. Nous assistons à un évènement qui se produit probablement une fois par siècle, or l’accord ADPIC prévoit justement une disposition portant dérogation de la propriété intellectuelle et pourtant certains s’opposent frontalement à toute discussion sur la question. Si ce mécanisme ne peut pas être mis en application maintenant, quand le sera-t-il ? Si nous ne parvenons pas à nous prévaloir d’une disposition qui était prévue justement pour ce type de situation sans précédent, quand le ferons-nous ? Je suis très heureux que le Conseil de Sécurité des Nations Unies ait voté en faveur de l’égalité dans l’accès aux vaccins. Cela dit si nous voulons des solutions pratiques, à ce moment là, il faut prendre très au sérieux la possibilité d’imposer une dérogation à la propriété intellectuelle. Le Conseil de Sécurité peut le faire si la volonté politique est là. C’est important de voter en faveur de l’équité dans l’accès aux vaccins, nous nous en félicitons, encore faut-il prendre les mesures concrètes pour donner effet à cette déclaration et autoriser une dérogation de la propriété intellectuelle pour accroître la production, élargir la couverture vaccinale et nous débarrasser de ce virus le plus rapidement, concrètement voilà un outil auquel il faut recourir… »
(Verbatim de la fin de la conférence de presse qui a eu lieu le 26 février 2021 à l’OMS Genève.
Mots prononcés par le Directeur Général de l’OMS : Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus.)
Maîtriser l’immédiat et le long terme
Dans l’immédiat s’imposent des mesures d’urgence. Comment prend-on en charge les patients ? Quel financement pour l’hôpital, les Ehpad ? Les respirateurs, les lits, les médicaments pour la douleur ? Faut-il proposer la réquisition des outils de production de médicaments et de vaccins, des personnels qualifiés du privé, idem pour les militaires, les pompiers, la sécurité civile ? Tout en mettant en œuvre les moyens pour que soit identifiée l’origine de cette pandémie, et ainsi les moyens pour mieux la contrôler.
Dans le long terme, au-delà du SARS-CoV-2, il est certain qu’il y aura d’autres virus, d’autres pandémies… C’est inscrit dans le logiciel des virus, et aussi dans celui du développement capitaliste de nos sociétés (urbanisation galopante, destruction des milieux naturels et des espèces etc…) La crise actuelle impose de donner la priorité à la santé par rapport à la « performance économique », d’où il découle pour l’avenir l’obligation de repenser les systèmes de santé publique, de recherche, de production des médicaments et vaccins… Exemple, parmi de nombreux autres, de ce qui est à revoir fondamentalement : les élevages intensifs. Face à une zoonose, quel enseignement tirer ? Aller vers des modes d’élevage extensifs (recommandés par la Commission Climat) ou pratiquer la fuite en avant en vaccinant tous les animaux d’élevage intensif ? Au demeurant la question est posée d’un encadrement plus strict interdisant, en raison des fraudes pratiquées, des antibiotiques à « usage vétérinaire » ? L’émergence rapide et brutale du COVID-19 doit conduire à redéfinir les politiques sanitaires, en combinant santé humaine et santé animale, en cherchant à prévenir plutôt que guérir.
Le vaccin sans fétichisme
L’exploit d’être parvenu à proposer un/des vaccins en une année ne doit pas aveugler, faisant croire que « quand on veut, on peut !». Au vaccin sont liées deux questions indissociables. Celle de l’efficacité : les vaccins mis sur le marché et validés par les autorités sanitaires sont-ils efficaces par rapport à la pandémie et pour combien de temps ? Celle de l’innocuité : pour les vaccins réalisés à partir de nouvelles technologies, on manque de recul quant aux effets secondaires, pour les plus classiques, certains contiennent des adjuvants toxiques. D’où la question d’évaluer la balance bénéfices/risques : quel vaccin avec le risque le plus faible ? Sans oublier que dans bien des situations, en particulier dans les pays pauvres, le vaccin fait la différence entre la vie et la mort.
Les différents vaccins
Selon le dernier bilan de l’Organisation mondiale de la Santé (26 janvier 2021), 181 vaccins seraient au stade d’évaluation préclinique et 70 candidats-vaccins seraient en phase d’essais cliniques sur l’homme. Pour rappel, le seuil d’efficacité minimal fixé par l’OMS est de 50 %.
- Les laboratoires Pfizer/BioNTech, Moderna et Curevac utilisent la technologie des ARN messagers.
Un vaccin à ARN ou à ARN messager consiste à injecter des nanoparticules de graisse “entourant” un ARN messager synthétique. Les molécules de graisse permettent à l’ARN d’entrer dans le cytoplasme des cellules humaines qui vont commencer à fabriquer des copies des protéines du SARS-CoV-2 (comme les Spikes proteins). Le système immunitaire produit ensuite, de ce fait, des anticorps dirigés contre le SARS-CoV-2. Les vaccins ARN ont pour particularité de pouvoir être produits très facilement en très grande quantité.
- La technologie du virus inactivé, qui consiste à injecter dans l’organisme un virus inactivé afin de faire réagir ce dernier, est utilisée par la biotech chinoise Sinovac, un laboratoire chinois Sinopharm, et la société indienne Bharat biotech.
- Les vaccins à « vecteur viral » utilisent comme support un autre virus peu virulent, transformé pour y ajouter une partie du virus responsable du Covid-19. Cette approche est employée pour le vaccin russe, Spoutnik V, les vaccins de AstraZeneca, de Johnson & Johnson, Jansen et de CanSino Biological (chinois).
- La protéine recombinante : il s’agit de reproduire des pointes (protéines virales) qui se trouvent sur le coronavirus, de les présenter au système immunitaire afin de le faire réagir. On estime que ce vaccin pourrait être plus efficace que les vaccins à base d’ARN. Sanofi en collaboration avec GSK utilise cette technologie, ainsi que Novavax aux États-Unis.
En février 2021, il y avait 10 vaccins mis sur le marché (3). A ce jour, on manque de recul pour disposer des informations sur le rôle des vaccins dans la diminution de la transmission et dans la durée d’efficacité de la vaccination, qui sont des enjeux essentiels.
La mise au point d’un vaccin est l’aboutissement d’une recherche qui demande la mobilisation de moyens considérables (humains, économiques, sociaux…) et du temps… Gaëlle Krikorian dénonce l’argument selon lequel les profits des entreprises pharmaceutiques répondraient aux risques pris pour la recherche : « Mais peut-on vraiment parler de prise de risques quand ils ont bénéficié de trente ans de recherches sur ces technologies, largement financée par le secteur public ? D’ailleurs le fait que plusieurs firmes sortent quasiment le même produit en même temps en atteste : elles ont toutes bénéficié du même niveau de connaissances scientifiques. » (in Le Monde du 11.02.2021)
En effet, l’exploit unanimement salué n’aurait pas été possible sans les milliards versés par des États (ceux qui en avaient les moyens). Ceux-ci, en particulier les États-Unis dans le cas de l’ARNm, ont financé la recherche fondamentale depuis trente ans, dont les résultats permettent à des start-ups de se développer grâce au capital-risque. Les États de l’Union européenne ont financé le 3ème stade d’essais cliniques par des « achats » avant même que le vaccin existe (y compris Sanofi, qui devra rembourser ces sommes si l’entreprise ne trouve pas un vaccin).
Cela signifie que de considérables moyens publics et capacités humaines se trouvent appropriés par des entreprises qui, en situation d’oligopoles, œuvrent sous les implacables contraintes capitalistes de la concurrence et du profit. D’où des risques de dérapages (quant à la sûreté des vaccins) et des limitations dans les possibilités de production et de mise à disposition des vaccins.
Une contradiction qui cristallise sur la question du brevet : outil de la privatisation de ce qui devrait être un bien commun, pour le soumettre à la loi du profit.
Les droits de propriété intellectuelle et les licences d’offices
Depuis l’acceptation par les États, en 1994, que les services de santé relèvent du droit commercial (via l’OMC), le secteur s’est doté d’une législation internationale des droits de la propriété intellectuelle (PI) protégeant strictement les innovations. À chaque mise sur le marché d’un nouveau traitement est associé un brevet qui, pour une période de 20 ans, confère une exclusivité de production et de commercialisation à la firme détentrice. Ce brevet lui en assure le monopole. La firme impose alors les prix de vente qui ont peu à voir avec les coûts de production (sur lesquels par ailleurs il est très difficile, voire impossible, d’obtenir des informations), mais sont fonction de ce que le marché accepte, en assurant des marges considérables. La brevetabilité du médicament a favorisé la concentration économique, et donné aux industries une rente de situation. Elle est devenue la clé de voûte du contrôle du marché et de l’accumulation du capital.
En cas de situation d’urgence sanitaire nationale, une flexibilité a été introduite. Il s’agit de la licence obligatoire (ou licence d’office), qui donne la possibilité à un pays de produire des copies de médicaments (et de vaccins) même s’ils sont protégés par un brevet. Cette procédure est très laborieuse. Elle n’est obtenue le plus souvent qu’en concédant de fortes indemnisations aux firmes détentrices de brevets. Elle doit être demandée pays par pays, alors que la dérogation sur les brevets est un moyen pour l’ensemble des pays de se rendre autonome pour une production des médicaments et des vaccins ou d’importer à bas coût depuis des pays tiers.
La suspension de l’application des droits des brevets sur les traitements anti Covid-19 serait un moyen d’étendre la production à tous les pays qui en ont la capacité, pour une distribution plus rapide et plus équitable à l’ensemble de la population mondiale. Cette dérogation pour le temps de la pandémie, a été demandée en octobre 2020 par l’Afrique du Sud et l’Inde, appuyés par une centaine d’États. Elle se heurte depuis à l’opposition des États-Unis, de l’Union européenne, du Royaume Uni, de la Suisse et du Canada, dont sont originaires les principaux groupes pharmaceutiques impliqués dans la production du vaccin contre la Covid-19.
- La production des vaccins relève d’un processus industriel. L’image du « laboratoire » est trompeuse au regard de ce qu’est le Big Pharma, l’industrie pharmaceutique : une des plus puissantes de l’économie mondiale, sans doute parmi les plus concentrées et génératrices des plus importants profits, et donc des dividendes les plus élevés.
Quelques chiffres clés
En France, en 2019, le chiffre d’affaires des médicaments était de 60 milliards d’euros. Pour la même année, le chiffre d’affaires mondial des plus grandes IP a dépassé les 1000 milliards de dollars, en croissance de plus de 5% par rapport à 2018, dont 47,5% réalisés aux États-Unis. (https://www.leem.org/marche-mondial). Les cinq premiers groupes représentent 23,7% du marché mondial. En poursuivant la politique des fusions-acquisitions les grands groupes mondiaux espèrent atteindre une taille critique permettant de réaliser des économies d’échelle (réduction des coûts de recherche), renforcer leur présence sur les marchés et faire face à la pression exercée sur les prix des médicaments par les pouvoirs publics. En 2019, le montant des fusions-acquisitions dans le monde a atteint un record, environ 357 milliards de dollars. (https://www.leem.org/marche-mondial)
Le chiffre d’affaires total des vaccins, avant Covid, est estimé à 35 milliards de dollars par an (https://www.creapharma.ch/vaccination-contre-la-covid-19#). Cinq laboratoires se partagent 80 % du marché des vaccins : J & J, Pfizer, Merck, GSK et Sanofi. Pfizer estime que les ventes de son vaccin atteindront 15 milliards de dollars en 2021 (https://www.sudouest.fr/2021/02/02/)
Des défis multiples
Comment dans les conditions actuelles l’industrie du médicament pourrait-elle être en capacité de produire des quantités colossales de vaccins dans des conditions de sécurité garantie ?
Plusieurs problèmes :
- Côté production : le besoin, si l’on veut l’accès aux vaccins pour tous, à raison de deux injections par individu, est de 2 fois 7 milliards. Les outils de production sont-ils en capacité de répondre ? Fabrication, remplissage, conditionnement, distribution, matières premières (principes actifs et adjuvants), articles de conditionnements primaires, secondaires et tertiaires (en contact direct avec le médicament : verre et bouchons ; étuis, notices, puis cartonnage) et la chaîne du froid. Et le savoir-faire, des effectifs suffisants, le temps de travail (24 h/24h et 7j sur 7).
Les autres productions, elles, de même forme pharmaceutique (galénique), sont retardées ou en rupture de stock (car d’autres médicaments utiles : antibiotiques, anti inflammatoire, anticancéreux, corticoïdes ont un besoin énorme en flacons et en seringues…)
- La question du prix. L’absence de transparence sur les prix (derrière il y a la Sécurité sociale, et sans doute la fiscalité avec la TVA à 5%) est un problème politique et démocratique majeur. Ces vaccins sont-ils issus de la seule recherche privée ? Les pré-commandes ont-elles fait l’objet d’avances y compris pour les laboratoires qui n’ont pas de vaccin ?
« Le gouvernement américain a droit à la plus grosse précommande car il a investi dans la prise de risque.» Voilà ce qu’a déclaré, en mai 2020, Paul Hudson, directeur général de Sanofi, au sujet du vaccin co-développé par le groupe pharmaceutique français avec GlaxoSmithKline (GSK) contre le covid-19. (3) Les industriels ont poussé les États à acheter « à risque » de potentiels vaccins contre le Covid-19, pour assurer à leurs ressortissants un accès privilégié aux doses vaccinales. Très peu d’informations sont disponibles quant au montant dépensé pour ces doses. Les contrats très confidentiels sont signés dans la plus grande opacité.
Les prix négociés avec certains industriels ont-ils pour contrepartie une collectivisation des risques ?
- Les contraintes de sûreté sont considérables, car c’est la santé humaine qui est en jeu.
A propos du génie génétique.
Tous les vaccins ne sont pas identiques par rapport à notre matériel génétique. Concernant ceux de Pfizer et Moderna, les plus discutés : « il est important de préciser que l’ARN injecté via le vaccin n’a aucun risque de transformer notre génome ou d’être transmis à notre descendance dans la mesure où, comme mentionné plus haut, il ne pénètre pas dans le noyau des cellules. Or, c’est dans ce noyau cellulaire que se situe notre matériel génétique » (Inserm, salle de presse, 14 décembre 2020). L’ARNm reste dans le cytoplasme, là où se trouvent les ribosomes. Il n’entre pas dans le noyau et ne peut pas interagir avec notre ADN ni provoquer de modifications du génome. Par contre les vaccins AstraZeneca et Spoutnik5 peuvent être considérés comme génétiquement modifiés.
D’où l’enjeu majeur de la pharmacovigilance, dont les modalités de mise en œuvre doivent être revues afin d’améliorer son efficacité (modes de déclaration des effets indésirables, moyens humains non seulement en période d’épidémie mais aussi de manière permanente).
En matière de vaccination il est impératif de veiller à repérer les effets secondaires, de contrôler les possibles pertes de leur efficacité du fait des mutations du virus. Jusqu’à quel point est-on assuré qu’il sera possible d’adapter les vaccins actuels à ces transformations ? On sait que tout dépend des mutations du virus…
La production des vaccins, et leur distribution équitable, pour tous, et dans un temps assez court : autant de défis logistiques !
Entre la production du vaccin et son injection aux personnes, bien des conditions doivent être réunies :
– Un personnel formé.
– Des seringues (du verre et des aiguilles) qui dépendent d’autres processus industriels.
– Des circuits de distribution (dont la chaîne du froid).
– Des réseaux de centres de vaccination. Donc un déblocage du numerus clausus dans l’accès aux études médicales, afin de former massivement médecins et personnels soignants, et à mieux les répartir sur l’ensemble du territoire du pays.
De proche en proche, c’est toute la société qui est impliquée.
On voit les difficultés pour un pays comme la France, on peut imaginer ce qu’il en est dans la grande majorité des pays du monde… On estime à 9 personnes sur 10 le nombre de celles et de ceux qui cette année ne pourront pas être vaccinées dans les pays les plus pauvres. L’Afrique subsaharienne n’a toujours pas vu la couleur du premier vaccin. « Les États, riches ou pauvres, doivent pouvoir disposer de tous les outils pour venir à bout du Covid-19. Or, des pénuries à l’échelle mondiale existent dans tous les domaines : vaccins, tests, matériel de protection des soignants… Et la principale raison à cela réside dans la position monopolistique exercée par quelques entreprises », soutient Mustageem de Gama, le négociateur sud-africain à l’OMC (4). Ces pénuries font que dans certains pays africains, la mortalité liée au virus progresse à une vitesse supérieure à la moyenne mondiale (5).
Nombre de pays riches ont acheté des quantités de vaccins qui permettent de vacciner plusieurs fois leur population. Pour le Canada 5 fois, pour la Royaume Uni 3 fois, pour l’Union européenne 2 fois… Ces quantités ne sont pas disponibles actuellement par défaut de capacités de production, mais c’est là un barage supplémentaire pour les autres pays (source John Hopkins Explore vaccination, Progress by country, 2/3/2021).
Pour « vaincre » une pandémie, la chose la plus importante, c’est la vitesse. Aujourd’hui il faut que la transmission soit la plus faible possible. Plus le virus se transmet, plus il a d’occasions de muter, donc il faut faire en sorte qu’il ne se transmette plus (gestes barrières, tester… etc.), mais au vu de la situation dans le monde on n’y arrivera pas sans les vaccins. Pour que le monde soit vacciné le plus vite possible, il faut des vaccins efficaces, de bonne qualité, peu chers et des usines partout pour le produire. Les vaccins que nous avons sont très semblables, ils s’attaquent à cette fameuse protéine spike. Avec les mutations nous pourrions avoir un virus qui échappe à l’action de ces vaccins, il faut donc d’autres approches, avec des vaccins dirigés contre différentes protéines du virus.
Analyse de Maurice Cassier
« Nous sommes dès aujourd’hui confrontés à un cas urgent pour dépasser les impasses des exclusivités de marché : il est crucial de partager les technologies, pour produire suffisamment de vaccins contre la Covid 19, dans un contexte de course de vitesse avec les mutations du virus. Il n’y a ici pas d’issue sans la mise en commun des technologies, la multiplication des transferts de technologies, l’augmentation du nombre des producteurs, à l’échelle européenne, à notre porte, et mondiale. Il est impossible, irrationnel, de s’en remettre aux stratégies individuelles des firmes pour maximiser leurs rentes et profits. En fait, le plus réaliste, ce sont des initiatives pour des mises en commun et un gouvernement collectif des technologies. »
Une approche sociale et démocratique
Il faut libérer le vaccin du « face à face » entre des autorités (politiques et/ou scientifiques) qui prétendent disposer de la compétence et du pouvoir de décider de l’offre, d’une part, et, d’autre part, des « gens », toujours mécontents et insatisfaits, émetteurs de demandes déraisonnables… Une élite éclairée face à 66 millions de « patients » impatients !
La crise actuelle éclaire violemment les contradictions de nos sociétés capitalistes. Les réponses à apporter ne peuvent être que solidaires, excluant concurrence et profit, incluant toute l’humanité, donc nécessitant la rupture avec le chacun pour soi, et les inégalités systémiques…
Ce pourquoi, comme le médicament, le vaccin doit être reconnu comme un bien commun mondial.
Pas dans les mots et les proclamations, mais dans la réalité. Ce qui doit imposer une rupture avec la loi du profit et la dictature du Big Pharma. En 1955, Jonas Salk n’a pas breveté le vaccin contre la poliomyélite qu’il avait mis au point. Ce qui sans aucun doute a favorisé l’éradication de cette maladie. « Eh bien, au peuple je dirai : ” Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ?” ». Ce rappel dit que c’est possible…
Conclusion
Le statut de super star du vaccin anti-Covid n’est pas usurpé.
Comme pour d’autres maladies, le vaccin peut faire le partage entre la maladie et la santé, entre la vie et la mort. La dramatisation autour de lui est à la mesure des caractères inédits de la pandémie que la Covid 19 provoquée : celle-ci frappe vite et brutalement l’ensemble de la population sur toute la planète, et du coup entraîne un arrêt spectaculaire de l’économie. D’où une situation marquée du signe de l’urgence.
Pourtant il ne faut pas oublier ou relativiser les autres dimensions du problème posé. Face au virus, le vaccin, pour décisif qu’il est, ne saurait à lui seul permettre de surmonter la crise sanitaire. Il faut maintenir les mesures de protection, il faudrait des traitements, il convient d’être certain de le l’efficacité et de la sûreté des différents vaccins… Donc il faut d’autres moyens et une autre politique pour l’hôpital et la recherche.
Le grand défi lié à l’ampleur de l’épidémie est que la protection vaccinale ne saurait être réservée à quelques portions de l’humanité, celles des sociétés les plus riches, alors que le plus grand nombre d’humains en serait privé. Situation que d’aucuns, à juste titre, dénoncent comme un « apartheid vaccinal ». Un scandale moral et humaniste, et aussi contraire à toute rationalité : tant que le virus restera présent dans telle ou telle partie du monde, il se diffusera, l’épidémie s’enflammera de nouveau… Et le virus connaîtra des mutations rapides le rendant plus contagieux et virulent, menaçant de neutraliser l’efficacité des vaccins.
Aujourd’hui, plus des trois quarts des vaccinations ont lieu dans 10 pays, lesquels représentent 60% du PIB mondial. Au rythme actuel de vaccination, certaines populations dans les pays pauvres ne recevront pas de vaccin avant 2023. (6)
Et voici la question clé : un tel défi peut-il être relevé tant que le vaccin – les recherches dans ce domaine, sa production, sa distribution… – sera entre les mains des multinatinationales pharmaceutiques ? Celles-ci n’ont pas pour logique de répondre aux besoins humains, à la défense de la santé, mais obéissent aux lois du marché, qui sont celles du profit et de la concurrence. Ce qui fait qu’aujourd’hui le vaccin est une marchandise. D’où ce que nous voyons : des pénuries, des inégalités sociales, importantes dans nos sociétés et abyssales entre continents, des chantages financiers et des dérapages nationalistes entre États…
Une exigence vitale s’en trouve actualisée : le vaccin doit devenir un bien commun de l’humanité. C’est vrai de tous les vaccins et de tous les médicaments essentiels. Une exigence qui appelle à des grandes mobilisations et à des ruptures majeures avec la situation présente.
Sanofi
Pour 2020, Sanofi a enregistré un chiffre d’affaires de 36 milliards d’euros, en hausse de 3,3 % à taux de changes constants, et distribuera plus de 4 milliards d’euros à ses actionnaires. Le dividende a augmenté de 600 % en vingt ans. Sanofi poursuit cependant son plan d’économie avec de nouvelles suppressions d’emplois en R&D en France (300 en 2020 et 400 d’ici 2022), la fermeture du site de Strasbourg et d’Alfortville. A ceci s’ajoutent 1300 suppressions de postes en France et en Allemagne), réalisées en 2020. En 12 ans 5000 emplois ont été supprimés en France.
Sanofi, l’un des leaders mondiaux des vaccins, a enregistré un revers dans le développement de son principal candidat-vaccin contre la covid-19, désormais attendu fin 2021. Bien que recevant, comme l’ensemble du secteur pharmaceutique, des soutiens publics tels que le Crédit d’Impôt pour la Recherche, de 120 millions d’euros / an depuis 10 ans, il tente de comparer ces aides aux milliards distribués aux États-Unis, pour justifier du retard de son vaccin anti-Covid. Sans remettre en question les suppressions de postes, essentiellement en recherche.
Le vaccin Sanofi : « humiliation nationale » ou bilan d’une politique ?
Le « vaccin tricolore » est en rade…Mais Sanofi est-elle une entreprise « française », à ce titre en charge de l’honneur du pays ? Plutôt, une multinationale. Sa stratégie est davantage déterminée par la loi du profit (donc la priorité restreinte aux intérêts des actionnaires) que par le souci de répondre aux besoins de santé des populations. Son marché est celui de la souffrance humaine, sa priorité le profit des actionnaires.
Là est le vrai problème. À pointer pour interpeller l’État français (et les autres) quant à ses (leurs) responsabilités. La recherche a-t-elle été au centre des préoccupations, les moyens nécessaires ont-ils été alloués à la recherche fondamentale ? L’échec de Sanofi est lié à la privatisation de la recherche, grâce en particulier au Crédit Impôt Recherche généreusement distribué aux grandes entreprises. Un « crédit » qui a plus profité au Capital qu’à la Science !
Les actionnaires, qui sont-ils, que font-ils de leurs dividendes faramineux ? A quels autres usages cet argent pourrait-il être utile en matière de santé.
Notes :
(1) : https://biorender.com/covid-vaccine-tracker/details/d-0113/camostat-mesylate-transmembrane-protease-serine-2-tmprss2-inhibitor-approved-in-japan-to-treat-multiple-conditions-including-pancreatitis-dwj1248-foy-305
(3) : https://www.creapharma.ch/vaccination-contre-la-covid-19#)
(6) : https://www.who.int/emergencies/diseases/novel-coronavirus-2019.