De : François Ruffin,
Député, 1ère circonscription de la Somme
A Monsieur et Madame :
Paul Hudson, directeur général de Sanofi
Audrey Derveloy, présidente de Sanofi France
Copie à :
Apolline de Malherbe
2 Rue du Général-Alain-de-Boissieu
75015 Paris
Mesdames, messieurs, les dirigeants de Sanofi (et Madame Apolline de Malherbe),
C’est la magie du direct, paraît-il. Jeudi dernier, de bon matin, sur BFM-RMC, Apolline de Malherbe m’interrompait, en plein entretien : « Sanofi écoute. Ils nous écoutent, et ils viennent d’envoyer un message, à l’instant, pour vous répondre, en direct, sur RMC et BFM TV. Pour vous répondre que la production des médicaments Sanofi, pour 40 %, se fait sur le sol français… »Donnons nos chiffres, d’abord, avant de contester les vôtres.
Sanofi, ces dix dernières années, c’est 4 000 postes de chercheurs supprimés dans le monde, 2 000 en France.
Sanofi, c’est sept sites de « R&D » vendus ou fermés, à Evreux, Porcheville, Bagneux, Rueil, Strasbourg, Toulouse, Alfortville, plus Chilly-Mazarin (en cours). Sanofi, ce sont six sites de production fermés ou vendus, à Elbeuf, Neuville-sur-Saône, Vertolaye, Colomiers, Labège, Romainville.
Sanofi, c’est l’abandon de secteurs vitaux comme les antibiotiques, la cardiologie, la neurologie, la maladie d’Alzheimer, le diabète…
Sanofi, c’est un bâtiment flambant neuf du centre de recherche de Montpellier, 107 millions d’euros, détruit la veille de sa mise en service, pour un « changement de stratégie » d’entreprise.
Sanofi, c’est, depuis trois ans, 350 brevets vendus à la concurrence. Parce que, faute de rechercher et de trouver, faute d’innover, on peut encore solder les bijoux de famille pour augmenter la « marge opérationnelle brute».Sanofi c’est, maintenant, l’activité d’approvisionnement, acheminer les médicaments jusqu’aux officines, dans des conditions techniques parfois difficiles, dans des frigos spéciaux, c’est cette activité qui va être externalisée : cédée à… DHL !
Qu’on ne s’y trompe pas : ce réquisitoire, je le dresse par amour de Sanofi. Eh oui. Sanofi, longtemps public, et qui prospère encore sur l’argent public, Sanofi devrait être notre instrument de souveraineté sur le médicament. Un outil au service du pays, de ses citoyens. A la place, médiocrement, banalement, Sanofi est avant tout au service de ses actionnaires, dépensant chaque année des milliards en dividendes et en rachats d’actions.
Et encore, je ne mentionne pas les scandales sanitaires.
La Dépakine : 35 000 enfants atteints de malformations ou de troubles neuro-développementaux, qui souffrent d’autisme, parce que vous n’avez pas indiqué à leurs mères, enceintes, les risques qu’elles encouraient. Alors que vous saviez. Et derrière, votre refus d’indemniser les familles, de prendre votre part de responsabilité, malgré les milliers de dossiers constitués auprès de l’Oniam, les décisions de justice, les demandes des autorités, jusqu’à celle de la ministre.
Mourenx, votre usine des Pyrénées-Atlantiques, qui a rejeté pendant quarante ans dans l’atmosphère jusqu’à 190 000 fois plus que le maximum autorisé de bromopropane et de valproate de sodium, deux substances cancérigènes et mutagènes.
Le Lantus, le traitement à l’insuline, contre le diabète, que vous vendez à 1300 dollars pour un mois aux Etats-Unis, et que les malades ne peuvent pas s’offrir. Des parents ont déposé les cendres de leur enfant devant votre siège, là-bas.
Le Dengvaxia, vaccin contre la dengue, et ses effets secondaires qu’on accuse d’avoir tué des centaines d’enfants. Au point que les Philippines vous attaquent en justice, jusqu’aux mises en examen, dans cette affaire, de six de vos dirigeants.
Votre fiasco dans la crise du Covid, enfin, incapables de trouver un vaccin, un remède, à cause de vos années de retard dans la recherche sur l’ARNM. Et le gouvernement français vous a récompensé, pour ce naufrage, pourtant, avec des centaines de millions de subventions…
C’est qu’il faudrait dire votre poids politique. Sanofi rime avec Macronie. Votre ancien PDG, Serge Weinberg, était le parrain en affaires d’Emmanuel Macron. Qui, depuis l’Elysée, lui a bien rendu, avec légion d’honneur et consorts, allant jusqu’à héberger dans son palais de la République une réunion du Dolder, le lobby de Big Pharma. Cette influence, dans son « Journal », l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn la déplore : devant le cynisme de votre firme, le mépris de l’intérêt général, elle va jusqu’à souhaiter un « pôle public du médicament ». Qui n’était pas vraiment dans son tempérament.
Mon prêche, vous le connaissez depuis sept années, mais c’est en général dans le désert, sans écho – du moins de votre côté.
Jusqu’à ce jeudi matin, et « la magie du direct », donc.
Que nous racontiez-vous, dans le communiqué transmis « en direct, à l’instant », à Apolline de Malherbe ? On vous cite :
« 60 à 70% de notre production se fait en Europe, dont 40 % en France. 30 à 40% en dehors d’Europe (surtout US et Canada). 5% de nos principes actifs viennent d’Asie seulement. Cet été on a annoncé 1 milliard d’euros d’investissements dans l’outil industriel en France sur les 3 prochaines années. On est le 1er investisseur en R&D en France tous secteurs confondus : 2,5 milliards par an en France. »
Allons-y, donc, pour le fact-checking.
Pour une fois qu’on peut inverser les rôles…
« 60 à 70% de notre production se fait en Europe, dont 40 % en France. »
D’où sortez-vous ces chiffres ? On l’ignore. Car depuis des années nous demandons, justement, que soit faite la transparence sur la filière du médicament. Et notamment : où produisez-vous, quelles molécules, en quelles quantités ? Alors, poursuivez sur votre lancée : informez les parlementaires, les pouvoirs publics, les salariés et leurs syndicats, les associations de patients, sur ces données. Et qu’on puisse en discuter.
Et puis : qu’entend-on par « production » ?
Il y a, d’une part, la production des principes actifs, les molécules, la matière première essentielle à la confection d’un médicament (le « vrac », comme on dit dans le jargon). Là, ce que l’on sait, c’est que Sanofi a fermé tous ses sites en France, ou presque : il n’en reste plus que deux, à Aramon et Sisteron, qui subissent eux aussi des fermetures d’ateliers.
Et puis, d’autre part, il y a la production dite « pharmaceutique » : récupérer le vrac, la matière première, le mettre dans des tablettes, et apposer le tampon Sanofi dessus.
En d’autres termes : la « production » que vous évoquez, c’est surtout de la mise en boîte.
Car la fabrication de principes actifs, elle, a bel et bien été ravagée.
« Cet été, on a annoncé 1 milliard d’euros d’investissements dans l’outil industriel en France sur les 3 prochaines années. »
Là encore, faisons, ensemble, la division, même de tête : 1 milliard sur 3 années, cela revient à 330 millions d’euros par an. C’est, de suite, moins impressionnant.
Surtout, qu’est-ce, pour vous ? Votre chiffre d’affaires annuel s’élève à 43 milliards. Votre bénéfice net consolidé à plus de 10 milliards. Les dividendes aux actionnaires, à 5,5 milliards. Bref, vous allez investir 3,3 % de votre bénéfice dans l’outil industriel en France : cela mérite-t-il vraiment des applaudissements ?
« On est le 1er investisseur en R&D en France tous secteurs confondus : 2,5 milliards par an en France. »
Là encore, reste à savoir ce qu’on entend par « investir dans la recherche et le développement »…
Car quelle est votre grande astuce, votre tour de passe-passe géant, depuis une dizaine d’années ? Faire passer pour de la « R&D » le fait d’acheter, très cher, des brevets clé en main à des start-up. Ou alors, nouer des « partenariats ».
Tandis que, dans le même temps, vous fermez très concrètement vos sites de « Recherche & développement ». Alors même que vous avez perçu, depuis dix ans, plus d’un milliard d’euros de l’Etat en Crédit impôt recherche – sans même parler du CICE et autres subventions.
On pourrait poursuivre ainsi longuement.
Mais on a une meilleure idée, que nous a soufflée, en fait, Apolline de Malherbe en personne.
« Moi, je suis prêt à avoir une discussion avec les dirigeants de Sanofi sur le sujet, je lançais, à l’antenne, en guise de conclusion.
– Et moi, je suis prête à l’organiser, répondait la présentatrice.
– Eh bien, organisez-la ! »
Alors allons-y : débattons, au grand jour, en pleine lumière, d’un sujet qui concerne tous les Français ! La production qui se balade à travers le monde, soumis aux aléas du marché et au profit des actionnaires ? Ou un grand pôle public du médicament, organisé, contrôlé par la démocratie, et au service des citoyens ?
Madame de Malherbe, la balle est dans votre camp !
Bien à vous,
François Ruffin.