Protection et statut juridique des biens communs

Le député Pierre Dharréville (Groupe Démocrate et Républicain) a présenté le 1er décembre 2021 devant la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, deux propositions de lois, l’une pour une protection des biens communs (N°4576 dossier législatif ), l’autre créant un statut juridique des biens communs (N°4590 dossier législatif). Dans son rapport rendant compte du contenu des auditions, P. Dharréville souligne en introduction des débats en commission : « Humain, on ne l’est pas seul, pris chacune, chacun, isolément. On le devient chacun, chacune, singulièrement, par ce qui nous est commun. Sans conscience de ce commun, l’humanité́ court à sa perte. Poser la question « qu’avons-nous en commun ? », c’est à la fois reconnaitre l’individu et le collectif, c’est parler le langage du partage, s’intéresser à l’avenir. »

Malgré la robustesse du dossier et les avancées sur le sujet soulignées par les nombreuses personnalités auditionnées, les groupes LREM, LR, Démocrates, Agir Ensemble, ont majoritairement rejeté ces deux propositions de lois (seuls les groupes de la gauche GDR, PS et LFI les ont approuvées). Celles-ci n’ont donc pas été examinées en séance de l’Assemblée.

Pourtant les enjeux ont été largement éclairés par toutes les personnes entendues. Le collectif « Médicament bien commun » a été auditionné. Cela lui a permis de réaffirmer qu’un bien est commun parce qu’il est lié à un droit fondamental. Nous avons montré que le médicament peut prétendre au statut de bien commun (c’est à dire un accès pour tous, au prix juste, des effets indésirables contrôlés, des pénuries évitées, une utilité́ sociale des traitements, une place aux patients), parce que la santé est un droit fondamental. La recherche médicale, les médicaments, contribuent à l’effectivité de ce droit fondamental. Le commun pose par nature la question des finalités là où règne l’utilitarisme capitaliste.

Ainsi le droit d’usage doit primer sur le droit de propriété, dans le cadre d’une auto-organisation démocratique des usagers, avec une mise en commun des connaissances, le partage des découvertes et technologies, l’organisation d’une production en fonction des besoins, de prévention et de traitement, selon les principes d’égalité d’accès.

  • Protéger les connaissances et savoirs scientifiques

La recherche génère des connaissances et des savoir-faire qui appartiennent à l’humanité́. Ce sont des biens communs qui devraient être protégés de la privatisation. Leur appropriation s’est faite en leur donnant un titre de propriété́, par le biais de la propriété́ intellectuelle (PI). Le brevet, est un titre de propriété́ qui confère à son détenteur les droits d’un propriétaire, notamment celui d’exclure tous ceux qui ne détiennent pas ce sésame. Le brevet joue le même rôle que les enclosures qui empêchent la population d’avoir accès à une ressource naturelle par exemple comme le bois dans une forêt privatisée. De fait, par l’imposition des droits des brevets, l’humanité́ se voit exclue d’un accès aux savoirs et aux technologies scientifiques.

Considérer les connaissances comme des biens communs permettrait de remettre en cause les droits de propretés intellectuelles (DPI), pour les remplacer par exemple par des licences mises en commun (Creative Commons) favorisant l’échange et le partage. La recherche cesserait alors d’être assimilée à un marché́ (marché des idées).

  • Protéger le vivant

Dans un but avoué d’améliorer les thérapeutiques des maladies rares et des cancers, un programme de séquençage du génome humain à grande échelle a été lancé en 2016/2017, appelé́ France Médecine Génomique 25. L’idée derrière est d’avoir à terme la possibilité́ de séquencer le génome de toute la population, dès que les coûts du séquençage le permettront.

Le séquençage du génome permettra entre autres, d’identifier des marqueurs génétiques, prédictifs d’une maladie et donc pouvant servir à améliorer le diagnostic. Les entreprises qui mettront au point une méthode de diagnostic à partir de ces marqueurs voudront déposer des brevets, portant sur le vivant. Il y a des précédents de dépôts de brevets sur des gènes, exemple avec BRCA1 et BRCA2, gènes associés au cancer du sein. Mais à la suite de ce programme de séquençage, les demandes de brevets sur le vivant risquent de considérablement s’intensifier. Il apparait urgent de pouvoir résister à cet accaparement du vivant. Imposer l’approche de « communs » ou de « biens communs » pourrait aider.

  • Protéger les données de santé des patients

Une Plateforme des données de santé (PDS), également appelée « Health Data Hub » (HDH), a été créée par arrêté́ du 29 novembre 2019 (https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039433105/) pour faciliter le partage des données de santé, issues de sources très variées afin de favoriser la recherche clinique.

Des plateformes d’innovation et de santé numérique privées ou associatives souhaitent avoir accès à ces données pour participer au déploiement de l’e-santé́, qui serait essentielle pour répondre aux nombreux défis auxquels le système de santé fait face. Ces données de santé sont revendiquées dans un rapport de l’Institut Montaigne (https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/e-sante-augmentons-la- dose-rapport.pdf) comme des biens communs précieux pour leur potentiel de « création de valeur » estimé entre 16 et 22 milliards d’euros annuels. C’est un cas typique de captation de valeur par le privé, qui donne raison à Benjamin Coriat lorsqu’il affirme « Les communs ne peuvent exister que sur la base d’un cadre légal qui empêche leur prédation ».

Par ailleurs ces bases de données concernant la santé des personnes, représentent des enjeux éthiques considérables, notamment dans le domaine du droit à la vie privée. Là encore il apparait urgent qu’un contrôle par les citoyens de l’usage de ces données soit rendu possible et que la notion des biens communs ne soit pas détournée au profit d’intérêts privés.

Créer un statut juridique des biens communs

L’appropriation mondiale des médicaments a été rendue possible par la légitimation du droit international du brevet, obtenue lors des accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), les fameux ADPIC ou TRIPS (Accord sur les aspects des droits de propriété́ intellectuelle qui touchent au commerce), négociés en 1994 à Marrakech. De cette appropriation découle l’exclusivité́ de l’exploitation commerciale lucrative des innovations pour une période de 20 ans. En découle aussi la situation de monopole des industries de la santé sur le marché́ du médicament.

La pandémie Covid-19 et l’accès aux vaccins a soudain fait prendre conscience que le brevet est un frein majeur à une distribution mondialement équitable des doses vaccinales. Le modèle économique reposant sur les brevets ne répond pas aux besoins en santé de la population et induit de fortes inégalités. Nous constatons qu’à ce jour plus de la moitié de la population mondiale n’a pas accès à la vaccination. Ce qui s’est illustré avec les vaccins et traitements contre le Covid-19, existe également pour l’ensemble des soins. Deux milliards d’êtres humains n’ont pas accès aux soins de santé de base, parce que ceux- ci sont trop coûteux.

Les médicaments, les vaccins ne peuvent pas être la propriété́ absolue des industries pharmaceutiques. Le régime de la propriété́ doit être remis en question. Le concept du commun ou de biens communs, est proposé́ comme une alternative à la propriété́ exclusive, qu’elle soit privée ou le fait d’une administration publique.

Ce qui ne peut être réalisable que si ce statut de bien commun est reconnu juridiquement

L’idée est de créer une catégorie juridique de biens « inappropriables » par les intérêts privés, d’appartenance collective, placés en dehors du marché́, du profit et de la concurrence, dont le contrôle, la gestion, la possession, relèvent de la collectivité́ dans son ensemble et non d’une structure administrative telle que l’État, et garantissant l’usage de tous (selon le droit des gens), selon des modalités établies démocratiquement.

Des expérimentations de partage des innovations et technologies dans le domaine de la recherche médicale, existent d’ores et déjà̀. On peut citer :

  • Les recherches menées par Jonas Salk, découvreur du vaccin contre la polio qui a refusé́ de breveter sa découverte afin qu’elle puisse être accessible à l’ensemble de la population ;
  • Le Global Initiative on Sharing Avian Influenza Data (GISAID) créé́ par un groupe de chercheurs de renommée mondiale en 2006, pour favoriser le partage des données sur la grippe aviaire, et maintenant impliqué dans la collecte de données sur SARS-CoV-2 ;
  • Le Covid-19 Technology Access Pool (C-TAP), initiative du Costa Rica, prise en mai 2020, consistant à mettre en commun (pool) les données et connaissances produites par les recherches sur le Covid-19, de façon à les partager et à les rendre accessibles à l’ensemble de la communauté scientifique mondiale.

Il existe des bases de données en libre accès, telle que la GenBank qui est une base de données de séquences d’ADN, créée au Centre américain pour les informations biotechnologiques (NCBI) dans le cadre de la collaboration internationale sur le séquençage des nucléotides. Mais également des productions de médicaments par des structures publiques. En France, l’APHP développe et produit des médicaments orphelins contre les maladies rares ou prend en charge des productions arrêtées par le secteur privé. Aux États-Unis, le laboratoire de production de médicaments génériques Civica a été monté par une association à but non lucratif regroupant 1000 hôpitaux.

L’exemple le plus emblématique de bien commun, qui a prouvé son efficacité depuis 76 ans et au combien dans cette crise Covid, est celui de la Sécurité́ sociale. Institution conçue par le Conseil National de la Résistance, avant son étatisation, le Sécurité sociale est aujourd’hui gravement menacée par une volonté́ ancienne et tenace de privatiser la santé et soumise à de continuelles contre-réformes. Sa reconquête par les citoyens, sur la base de ses fondamentaux, est cruciale pour le maintien d’une protection sociale solidaire.

“Nous sommes parvenus au terme d’une grande offensive, que certains appellent néolibérale, et que je nommerais plutôt l’offensive du capitalisme absolu, qui tend à la privatisation absolue de tous les rapports sociaux et à la destruction des espaces collectifs”. Jacques Rancière : « La transformation d’une jeunesse en deuil en jeunesse en lutte » ; entretien mené par Joseph Confravreux pour Médiapart, 30 avril 2016

Médicament bien commun

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *