Introduction au débat
Par Thierry Bodin
Bienvenue à toutes et tous, merci de votre présence, malgré la météo, pour cette rencontre et merci au Lieu-dit café culturel et associatif qui nous accueille.
La santé des populations à travers le monde ne serait se résumer à l’accès aux médicaments, nous avons bien conscience qu’elle est multifactorielle, conditions de vie, accès aux besoins vitaux que sont l’eau, l’électricité et l’alimentation, conditions de travail, environnement, mal bouffe, accès à un médecin et aux hôpitaux de proximité, sans oublier un aspect essentiel, la prévention des risques sanitaires.
Pour notre part, le groupe que nous avons constitué et que nous vous invitons à élargir, s’est attaché à traiter la question de l’accès aux médicaments, avec l’ambition de conjuguer nos efforts avec toutes celles et ceux qui ambitionnent de faire de l’accès aux soins un droit universel sorti des griffes de la finance.
Les prix provisoires de 2 anticancéreux innovants dépassent les 300 000 € par patient. Ces prix sont fixés par le laboratoire en attente de fixation du prix par le CEPS.
Il suffit également d’entendre le cri d’alarme de l’OMS : « La résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement ». Et pourtant la très grande majorité des labos dont Sanofi ont abandonné les recherches dans ce domaine pour cause de rentabilité insuffisante.
Face aux prix stratosphériques de certains médicaments décidés par accord entre gouvernement /institutions d’état et Big Pharma, face aux ruptures de médicaments essentiels, à l’absence de traitement efficace comme de nouveaux antibiotiques, les professionnels de santé, associations, certains politiques, se font entendre en France et dans le monde. Où est l’utilité sociale ? L’industrie du médicament illustre l’emprise croissante des marchés financiers. Elle détourne notre système de santé et de Sécurité Sociale, pour accumuler des profits faramineux, alors qu’elle doit être au service de la santé publique et des patients.
Le brevet est le symbole de ce processus. Utilisés par les Big Pharma dans un « contrat social faussé » disposant d’une garantie publique, les brevets sont un outil, un instrument de chantage auprès des gouvernements, un support de spéculation pour des prix exorbitants. Les brevets n’ont pas toujours existé. A l’origine, ils visaient à protéger les découvertes. C’est en 1959, que les brevets, dans leur conception de préservation d’un monopole capitalistique, ont été instaurés.
Ceci conduit forcément à des constats inacceptables :
- Le choix des axes de recherche en fonction du maximum de rentabilité conduisant à une impasse sanitaire ;
- Le prix des médicaments constitue un handicap majeur dans les pays en développement, pour de nombreuses populations du monde et conduit à des surcoûts inacceptables pour les systèmes de santé.
Le brevet permet aux labos pharmaceutiques de rentabiliser au prix fort certaines, « plus ou moins », avancées technologiques avec interdiction, sauf acceptation du détenteur du brevet, de pouvoir utiliser ces connaissances. Ainsi se constituent des monopoles capitalistiques gigantesques dans le domaine du médicament comme dans celui de l’informatique et des communications.
Les multinationales prétextent que les brevets financent la recherche. Ce n’est absolument pas le cas au sein des multinationales de la pharmacie puisqu’elles suppriment toutes des milliers d’emplois : 6300 effectifs en France dans Sanofi en 2008 et 3500 au mieux en 2020, malgré le milliard € perçu par Sanofi en Crédit d’Impôt Recherche durant ces 10 dernières années. Autant de moyens qui manquent cruellement à la recherche publique.
Il est urgent de changer. L’idée clé de ce changement, c’est la maîtrise sociale et publique de la santé et des pouvoirs. De l’Assemblée nationale aux agences gouvernementales, dans les partis politiques, dans l’opinion publique, il faut faire avancer cette idée de maîtrise sociale de la santé. Les labos ne doivent pas être hors des choix et du contrôle du citoyen, alors que nous les finançons.
Des questions sont alors posées : qui décide ? Comment contrôler ? On devrait pouvoir en discuter avec le grand public, les professionnels de santé, les salariés… La transparence doit être un programme d’urgence : la visée c’est la santé de tous, quels sont les besoins, les choix de recherche, comment produit-on? Quels sont les coûts de production ? Tout ceci est aujourd’hui de manière inacceptable, sous le sceau du secret. Secrets, scandales, racket des patients et des organismes de sécurité sociale, destructions de projets de recherche, pillage légal du bien commun….Le temps est venu d’imaginer une société plus humaine et plus juste.
Médicament bien commun. Quelles conséquences ? Quels choix ? Qui décide ? Quel contrat social ? Peut-on breveter les biens communs ? En 1955, Jonas Salk, père du premier vaccin contre la poliomyélite, répondait à la question : qui détient le brevet : « Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ? ». Au vue des expériences internationales (exemple Afrique du Sud en 2001, Procès de Prétoria), la Licence obligatoire est-elle une solution durable, suffisamment efficace contre les pressions des Big Pharma, pour combattre le prix faramineux des médicaments ?
Recherches, avancées des connaissances et des procédés de production du médicament sans brevet : une propriété intellectuelle pour la société, refusant la propriété marchande ? Comment sortir la recherche médicale de la captation des Big Pharma ? Quels moyens pour soustraire l’industrie pharmaceutique des exigences des actionnaires et du marché?
Quelles initiatives pouvons nous prendre (colloque, journée d’étude, ateliers), quelle dynamique pouvons nous créer pour faire converger toutes celles et tous ceux qui réfléchissent et agissent sur le médicament comme bien commun ?
Voici quelques suggestions, mais ne nous freinons pas – soyons inventifs. Il est urgent d’être audacieux – c’est de la santé, de la vie dont nous débattons.
Le temps est venu de rompre avec le système et d’imaginer une société plus humaine et plus juste.