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Focus sur la propriété intellectuelle et son rôle pivot du modèle économique de l’industrie pharmaceutique

Me Michael SANKARA, avocat

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Ce n’est plus un secret pour personne, la santé, ce bien précieux et indispensable à tout être humain, érigé comme un droit, voire un droit fondamental, normalement accessible à toute personne indépendamment de sa condition économique et sociale, a fait son entrée depuis très longtemps dans les règles du marché, compliquant ainsi son accès par tous.

Si, aujourd’hui encore, les problèmes de pénuries des médicaments se posent encore avec acuité pour bon nombre d’Etats, c’est aussi parce que les politiques publiques nationales et internationales sont largement influencées par un levier important : les propriétés intellectuelles.

Quel rôle joue ce levier dans le modèle économique de l’industrie pharmaceutique ?

Un tour d’horizon du cadre juridique des brevets sur le médicament (II) après un rappel historique de l’introduction des propriétés intellectuelles dans le médicament (I) permettra d’appréhender la remise en cause questionnée de l’utilité des brevets sur ce bien de santé (III).

I / RAPPEL HISTORIQUE DE L’INTRODUCTION DES PROPRIETES INTELLECTUELLES DANS LE MEDICAMENT

A/ Une absence de brevetabilité justifiée par la nature de « bien de santé » du médicament

Considérés comme étant des biens de santé dont il faille permettre l’accès au plus grand nombre, les médicaments ont longtemps été proscrits du champ de brevetabilité dans de nombreux pays, classés aujourd’hui pays développés.

C’est le cas de l’Allemagne, la France, l’Italie, la Suisse, et la Suède, qui ont adopté tardivement une législation en matière de brevets sur le médicament.

En 1967 en France, 1968 par l’Allemagne, et 1970 par l’Italie et la Suède ; le Japon et la Suisse, quant à eux, n’en ont adopté qu’en 1976 et 1977.

En France, par exemple, le médicament n’a pas toujours été protégé par le brevet, et cela en raison de la logique forte de santé publique qui prévalait à l’époque et empêchait la subordination de l’intérêt général du grand nombre à la propriété exclusive d’un inventeur ou d’un industriel.

Le déclassement du médicament sur le terrain de la brevetabilité s’expliquait très clairement par le fait que la primauté de la santé publique sur les intérêts mercantilistes des entreprises pharmaceutiques ne souffrait d’aucun débat jusque dans les années 1968 en France[1]..

L’éthique avait encore voix au chapitre, et pouvait dénoncer le totalitarisme économique car la santé publique représentait l’intérêt supérieur, et le médicament, parce qu’il concernait le bien-être de la population, n’était pas considéré comme un produit ordinaire.

Toutefois, l’industrie pharmaceutique naissante de l’époque, chargée de la fabrication de ces produits nécessaires à la protection de la santé publique, était déjà, comme aujourd’hui, une industrie partagée « entre logique économique et logique sociale »

C’est ainsi qu’après une tentative de réglementation générale d’un droit des brevets par l’édit royal du 24 septembre 1762, c’est finalement après la grande révolution de 1789, que la loi du 7 janvier 1791 est venue reconnaître un droit de l’inventeur sur son invention.

Et seuls les remèdes approuvés par les écoles et sociétés de médecine étaient autorisés par la loi du 21 GERMINAL an XI (11 avril 1803), à être commercialisés[2].

C’était en quelque sorte une forme de reconnaissance officielle à l’égard des inventions méritantes sur le médicament qui donnait lieu à une proposition de rachat par la Nation.

Dans le souci d’éviter les abus des détenteurs de brevets sur les médicaments, un décret du 18 août 1810 avait institué une commission chargée de l’évaluation des valeurs des formules avant de soumettre une offre de rachat de la formule au grand profit de la Nation.

Par la suite, la loi du 5 juillet 1844, est revenue supprimer les brevets sur les « compositions pharmaceutiques ou remèdes de toutes espèces »[3], les auteurs de cette loi craignant, au nom de l’intérêt supérieur de la santé publique, que le brevet accordé soit non seulement perçu comme un certificat de l’innocuité du produit, mais aussi que le monopole d’exploitation qui en découle n’entraîne une fixation de prix excessifs.

A travers ce bref rappel historique[4], nous faisons le constat que la protection des inventions pharmaceutiques a connu une certaine évolution dans le temps.

Elle semble avoir eu du mal à être reconnue à cause de la prédominance d’une certaine logique sociale et éthique qui voulait que l’intérêt de la santé publique soit un motif suffisant pour limiter ou suspendre le droit d’un inventeur.

Cette logique, le jurisconsulte et homme politique français Félix BARTHE[5], l’avait défendue avec hargne depuis le XIX siècle lorsqu’il soutenait qu’« Il y a d’après la loi et le simple bon sens, incompatibilité entre une composition pharmaceutique utile à l’humanité et une exploitation exclusive au profit d’un seul…Messieurs, le seul argument vrai, c’est que les compositions pharmaceutiques ou spécifiques ne sont pas susceptibles d’une exploitation privilégiée ».[6]

Cette vision a aussi été défendue aux Etats-Unis par un célèbre bactériologiste de l’Université de HARVARD qui soutenait en substance que « les biens nécessaires à la santé individuelle ou publique sont d’une autre catégorie que les automobiles. Dès lors que ces biens s’appliquent au soulagement ou à la prévention de la maladie ou de la douleur, leur libre utilisation devient une nécessité publique »[7].

Toutefois, la logique économique semble avoir pris le dessus dans les années 70 avec l’adoption des différentes législations sur la brevetabilité du médicament.

B/ Une introduction du brevet légitimée par la nature industrielle du médicament 

Un droit patrimonial n’existe que parce qu’il a un titulaire qui le possède comme un bien.

En ce qui concerne le médicament, il s’identifie de par son apparence, comme une chose matérielle, saisissable et palpable. C’est aussi un produit final issu d’une transformation ayant une valeur thérapeutique[8].

Et qui dit transformation industrielle, sous-entend, en arrière-plan, un travail inventif d’une structure spécialisée, entreprise industrielle dans notre cas.

Le médicament s’analyse donc sous cet angle comme une chose industrielle, le fruit d’une invention d’une industrie, qui regroupe en son sein un ensemble d’activités de recherches, de fabrication et de commercialisation.

Et c’est l’appropriation de cette chose industrielle à valeur thérapeutique par l’industrie pharmaceutique et les motivations commerciales pour le retour sur investissement qui ont prévalu sur la brevetabilité du médicament.

Toutefois, cette nature de bien industriel n’a pas réussi à faire disparaître la nature hybride du médicament comme bien de santé. C’est pourquoi, l’adoption d’un cadre juridique spécial des brevets sur le médicament s’est imposé par la suite dans les instances internationales comme l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

II / CADRE JURIDIQUE DES BREVETS SUR LE MEDICAMENT

A/ Un système des brevets posé par les accords ADPIC et renforcé par les accords ADPIC +

Sur le plan institutionnel, l’OMC, en sa qualité d’enceinte de négociations sur la politique commerciale internationale, a permis, à travers ses différents cycles, d’édicter des règles pour régir le commerce international du médicament.

Jugée à l’origine trop favorable aux intérêts des firmes pharmaceutiques en leur « garantissant des prix de vente élevés pendant de nombreuses années grâce à la protection conférée par le brevet », l’OMC a dû réaménager ses dispositions, pour tenir compte de la problématique d’accès aux médicaments. C’est précisément au cours des accords de DOHA signés en 2001 que cette prise de conscience du caractère prioritaire de la santé apparaîtra véritablement dans l’enceinte de l’OMC.

Il a clairement été précisé à cette réunion que « les médicaments n’étaient pas des marchandises comme les autres et qu’une certaine flexibilité des droits de propriété intellectuelle était possible pour un pays, en cas d’urgence sanitaire ou si la protection de la santé publique était en jeu ».  

Autrement dit, en fonction de l’urgence du contexte national dans un État donné, un pays pourrait se voir octroyer une licence de fabrication, ou encore prendre d’office la décision de recourir à une licence d’office afin de fabriquer ou d’importer des médicaments génériques d’une spécialité pharmaceutique toujours brevetée.

Depuis lors, les rencontres se sont multipliées pour résoudre le problème de l’accessibilité au médicament par une réflexion sur l’effectivité des flexibilités contenues dans les accords ADPIC. C’est ainsi que des aménagements de standard minimum (des règles que les États devraient s’efforcer de garantir) en faveur de l’accessibilité au médicament ont été instaurés au grand avantage des pays en développement (PED) et de ceux classés les moins avancés.

L’article 30 des accords ADPIC vient donc consacrer une exception aux droits exclusifs des propriétés intellectuelles, qui devraient permettre aux États de maintenir un certain pouvoir d’action au niveau national afin de veiller au respect des principes d’intérêt général de santé publique tels que posés par l’article 8 du même accord.

En référence donc à ces articles de l’accord, les médicaments sont des produits qui, au nom de la santé publique, devraient pouvoir faire l’objet des exceptions prévues à l’article 30 de l’accord.

Ainsi, en cas d’urgence sanitaire, un Etat pourra en toute légalité prévoir l’exclusion de la protection par brevet des médicaments à caractère vital. Il pourra tout de même, en cas d’absence ou exploitation insuffisante, ou encore en présence d’abus de monopole, faire usage des flexibilités prévues pour favoriser l’accessibilité des médicaments à ses populations.

Au titre de ces flexibilités, nous citerons : 

  1. Le recours à la licence obligatoire 

Le principe de la licence obligatoire est consacré à l’article 31 de l’accord ADPIC intitulé « Autres utilisations sans autorisation du détenteur du droit ». Même si le texte de l’accord n’emploie pas expressément l’expression « licence obligatoire », il importe de relever que la licence obligatoire est une flexibilité qui s’inscrit dans l’objectif de recherche d’un équilibre entre la promotion de la recherche et développement de nouveaux médicaments et celle de l’accès aux médicaments existants. En quoi consiste-t-elle exactement ? Pour le savoir, nous nous référons au commentaire de l’OMC sur l’article sus-cité qui précise qu’il « y a délivrance d’une licence obligatoire lorsque les pouvoirs publics autorisent un tiers à fabriquer le produit breveté ou à utiliser le procédé breveté sans le consentement du titulaire du brevet ».[9]

  1. Les importations parallèles

Les importations parallèles constituent un mécanisme permettant l’importation et la revente dans un pays, sans l’accord du titulaire du brevet, d’un produit protégé par un brevet et commercialisé à l’étranger par le détenteur du brevet lui-même ou par une autre personne ayant reçu son autorisation.

De manière concrète, ce mécanisme revient à dire que « si un médicament X est commercialisé dans les pays A et B et s’il l’est à un prix plus faible dans le pays A, alors le pays B sera tenté de l’importer depuis le pays A pour bénéficier d’un prix plus intéressant »[10].

  1. L’exception Bolar

L’exception Bolar est une flexibilité aux droits des propriétés intellectuelles qui permet de résoudre un tant soit peu l’inaccessibilité des médicaments de référence. Ces produits étant à prix prohibitif et inaccessibles pour les PED, cette exception permet d’anticiper ce problème en préparant des médicaments génériques qui seront commercialisés dans ces pays dès l’expiration de la protection conférée par le brevet. La commercialisation des médicaments génériques entraîne une concurrence accrue sur le marché pharmaceutique ; cela se traduit par une baisse des prix pour le consommateur et rend donc les médicaments plus abordables.

 S’il est vrai que ces flexibilités ont déjà le mérite d’exister, il est cependant malheureux de constater que d’énormes entraves sapent leur efficacité, notamment les accords ADPIC +.

Et c’est l’occasion de préciser que les accords ADPIC de l’OMC établissent des règles minimales de droit des propriétés intellectuelles que les États, parties de l’accord (au sens juridique), doivent impérativement garantir.

Il s’agit donc de règles de standard minimum car elles laissent la liberté aux Etats membres de prévoir une protection plus large que l’accord ADPIC ne prévoit.

Cette faculté laissée aux États s’est révélée être la boite de Pandore au regard de la prolifération des accords ADPIC + suscités dans les accords bilatéraux et multilatéraux.

Vous aurez donc compris qu’il s’agit principalement des accords de libre échange négociés de manière bilatérale et comportant « un volet de renforcement de la propriété intellectuelle »[11].

Le véritable enjeu de ces accords est qu’ils tendent à limiter le recours aux flexibilités prévues aux articles 30 et 31 des ADPICS. Ils entravent donc fortement la production de médicaments génériques.

Dans le rapport du Groupe de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur l’accès aux médicaments, il est possible de relever certaines clauses ADPIC+ dans les Accords commerciaux conclus par les Etats Unis avec des Etats. On y retrouve des clauses qui interdisent, soit le recours aux importations parallèles, soit l’approbation d’une version générique d’un médicament faisant l’objet d’un brevet, sans l’autorisation du titulaire du brevet. Il y figure également des clauses qui limitent les motifs de recours aux licences obligatoires au seul motif de limitation des pratiques concurrentielles, et aussi des clauses qui interdisent la remise en cause d’un brevet avant son octroi. Pour finir, on n’oubliera pas de mentionner les clauses qui accroissent les périodes d’exclusivité pour les périodes de test d’équivalence des génériques, empêchant ainsi le recours à l’exception Bolar.

Voilà autant de clauses ADPIC+ régulièrement insérées dans les accords commerciaux qui constituent des pressions constantes et colossales visant à anéantir les effets des flexibilités de l’accord ADPIC.

Outre le cadre juridique posé par les flexibilités prévues par les accords de l’OMC, la brevetabilité sur le médicament a aussi favorisé le développement de techniques offensives et défensives, s’analysant comme des obstacles substantiels à la disponibilité des médicaments.

B/ Un renforcement de la brevetabilité par les techniques offensives et défensives du droit des brevets

Dans la pratique, le brevet a connu beaucoup d’évolutions dans ses usages. Longtemps proscrit dans le domaine du médicament, il est désormais perçu par l’industrie pharmaceutique comme une arme défensive et/ou offensive qui l’utilise contrairement à sa finalité première d’incitation à l’innovation.

C’est ainsi que l’on pourra relever certaines pratiques d’obtention d’une protection supplémentaire indue :

  1. La technique de « l’evergreening patents » ou« brevets de seconde génération»

Cette technique consiste, pour une entreprise pharmaceutique ayant obtenu une AMM (Autorisation de Mise sur le Marché), à procéder à une nouvelle demande de brevet, à travers une faible modification du produit de base à quelques années de la fin de l’exclusivité conférée par le brevet initial, de manière à perpétuer la période de protection du « nouveau médicament ».

Le « nouveau médicament » n’en est pas un en réalité, car la modification apportée au produit de base ne constitue pas véritablement une amélioration dans le traitement de la maladie.

Cette technique a donc pour particularité de maintenir le droit exclusif d’exploitation pendant des années supplémentaires et d’empêcher les concurrents du générique de développer des médicaments abordables pour les patients sans tomber sous le coup de la contrefaçon.

2. La stratégie des « grappes de brevets »ou « patent fences » 

Dans ce cas de figure, pour un même médicament, plusieurs brevets « s’enchevêtrent comme des branches pour former un buisson épais et broussailleux »[12].

Ce qui pose problème, dans ce type de stratégie, est précisément la détermination par les concurrents de leur liberté d’exploitation, compte tenu du nombre pléthorique de brevets que peut revêtir une seule invention.

Tout concurrent ou, plutôt, toute autre entreprise pharmaceutique innovatrice aurait du mal à déterminer sa liberté d’exploitation, les grappes de brevets ayant entraîné un climat d’incertitude juridique qui pourrait malheureusement, non seulement décourager les efforts d’innovation des uns, mais aussi bloquer le désir d’entrée des autres sur le marché.

3. Le retrait du médicament de référence

Il s’agit d’une stratégie visant à empêcher l’accès des médicaments génériques au marché. Cette stratégie consiste à faire recours au cadre réglementaire pour demander l’annulation de l’enregistrement d’une AMM à l’approche de l’expiration de la protection conférée par le brevet.

Le retrait du médicament princeps juste avant la possibilité d’entrée des génériques sur le marché est jugée redoutablement abusive dans le sens où la vente du générique devient impossible en l’absence du produit de référence sur le marché.

A ce niveau, les affaires Gaviscon (médicament de la famille des antiacides d’action locale-ndlr) et AstraZeneca sont très illustratives. La concurrence du Losec (inhibiteur de la pompe à protons (IPP) qui ralentit ou prévient la production d’acide-ndlr), par des produits génériques et parallèlement importés a été rendue impossible par l’annulation stratégique de l’enregistrement de son AMM. Dans cette affaire, Astrazeneca a fait usage de la directive 65/65 qui en vertu du droit exclusif d’exploiter lui donnait le droit de retirer l’AMM du Losec[13].

4. Brevet de barrage

La finalité de ce type de brevet est d’entraver l’accès d’une technologie à un concurrent. La technique consiste à faire une demande de brevet sans une volonté réelle d’exploitation. L’accumulation de ce type de brevets aura pour objectif de « geler » des technologies de substitution (par rapport à celles d’ores et déjà exploitées). Les brevets triviaux et les brevets leurres sont des variantes de ce type de brevet.

5. Les accords de report d’entrée de médicaments génériques

Les accords de report d’entrée, encore appelés contrats « pay for delay », dits aussi, « Reverse Payment Patent Settlement », constituent un type particulier de contrat assez développé aux Etats-Unis, conclus entre entreprise pharmaceutique de princeps et entreprise du générique, et ayant pour objet de reporter l’entrée des médicaments génériques dans un marché, cela, en contrepartie soit d’un versement d’indemnité ou de la délivrance d’un service à travers une convention de coopération.

Ce type d’arrangement permettra in fine au détenteur du princeps d’écarter la concurrence et de toujours continuer à tirer profit de l’allongement de son exclusivité d’exploitation. Pour le producteur de générique, cela constitue également une belle opportunité de réalisation de bénéfices importants, sans toutefois entrer sur le marché.

III/ UNE REMISE EN CAUSE QUESTIONNEE DE L’UTILITE DES BREVETS SUR LE MEDICAMENT

A/ Une incompatibilité de principe entre l’utilité thérapeutique du médicament et les principes directeurs du droit des brevets[14]

Le brevet a pour rôle premier de protéger une innovation en accordant à son propriétaire un monopole temporaire d’exploitation, cela, en contrepartie de la diffusion de l’innovation pour le bien-être social. Ce privilège de protection sous forme de propriété intellectuelle, attribué par la société, s’analyserait donc comme une récompense pour la contribution à l’innovation.

Cette exclusivité offerte constitue, en définitive, une incitation à l’innovation car elle permet d’assurer au détenteur du brevet, un retour sur investissement.

Toutefois, il est permis de constater que ce rôle premier a été dévoyé, le brevet dans le secteur pharmaceutique étant devenu une arme défensive et offensive à l’encontre des concurrents, et créant in fine un lourd préjudice pour les patients, privés de biens de santé d’utilité publique à coût abordable.

Le système actuel du droit des propriétés intellectuelles, comme nous l’analysions dans notre thèse[15], en raison des prérogatives d’exclusivité accordées au propriétaire, est caractérisé comme étant un système individualiste, faisant la promotion de l’intérêt individuel, en l’occurrence celui des  actionnaires de l’industrie pharmaceutique, et cela au détriment de l’intérêt de la communauté.

Cet exclusivisme qui caractérise ce droit présente de grands risques pour l’accessibilité à des biens privés d’utilité publique, comme l’est le médicament, de sorte qu’un changement dans le mode de fonctionnement des brevets s’impose.

En rappel, comme le consacre le droit des propriétés intellectuelles, l’exclusivisme sur la chose objet de brevet, est une prérogative reconnue de principe à tout propriétaire qui l’exerce librement selon son bon vouloir. De ce pouvoir absolu du propriétaire sur « sa chose », découle indirectement, le deuxième caractère du droit de la propriété, en l’occurrence celui du « pouvoir envers autrui », qui serait expressément un pouvoir d’exclure.

Ce pouvoir d’exclure est l’expression de la liberté du propriétaire de choisir de se prémunir de toute interférence arbitraire d’autrui sur la chose dont il exerce toutes les prérogatives.

En vertu donc de cette exclusivité, des patients pourraient se voir interdire toute atteinte à ce bien. Et nous le constatons aujourd’hui, avec les pénuries des spécialités portant sur des médicaments dont les brevets sont déjà tombés dans le domaine public.

Conformément à la conception civiliste de la propriété, l’individu étant l’unique garant de la satisfaction de ses intérêts privés, il lui revient en vertu de la situation de monopole conférée par le droit de propriété, d’en tirer la meilleure utilisation possible de son bien, quelle que soit sa rareté ou son utilité ; d’où l’intérêt de la remise en cause de ce monopole ; car avec un « droit d’exclure », qui s’est imposé comme le critère déterminant de la propriété et un pouvoir d’appropriation qui obéit à un principe unique de protection des intérêts individuels du propriétaire, l’on est en droit de s’inquiéter pour l’accessibilité de tous aux biens d’utilité publique.

En définitive, le problème qui se posera est que la satisfaction de ces biens d’intérêt collectif dépendra du droit subjectif absolu de leurs propriétaires, les industriels.

Alors quoi faire lorsqu’un propriétaire, du fait de son monopole sur un bien, fixe des conditions très élevées, rendant ainsi ce bien inaccessible à ceux qui ont juste besoin de ce bien de santé pour se soigner et survivre ?

B/ La prédominance d’une logique de rentabilité économique aux antipodes du droit d’accès au soin

Le constat, aujourd’hui, est que le marché du médicament s’est imprégné d’une logique de rentabilité qui entrave fortement l’accès et la disponibilité des médicaments.

La structure du marché, fortement accentuée par un monopole exclusif de commercialisation par l’entremise du brevet donne une liberté économique totale à l’industrie pharmaceutique dans la fixation des prix des produits de santé.

En raison des coûts de production du médicament, les industriels, qui disposent dans la majorité des Etats d’une liberté de fixation des prix, exigent de fortes sommes.

La justification rapportée en est principalement l’incitation à la recherche, et la nécessité de compensation des investissements réalisés.

Autrement dit, selon leurs explications, la préservation de la grande profitabilité de l’industrie pharmaceutique est la condition sine qua non de la promotion de recherches futures.

 Il est temps de réfléchir à d’autres mode de fonctionnement des industries pharmaceutiques, car le mode de fonctionnement actuel, par des actionnaires privés, voudrait, malheureusement, signifier que l’indisponibilité des médicaments pour des millions de personnes pourrait se justifier par la nécessité de garantie de la survie de l’entreprise, gage de continuité d’accumulation de profits pour les actionnaires.

François COLLART DUTILLEUL définissait le droit comme étant « le langage social qui porte les valeurs qu’une société se donne à elle-même ». Cette définition interpelle notre responsabilité dans la hiérarchisation des valeurs en fonction de leur priorité.

Alors, entre l’intérêt économique que représente les médicaments pour les industries pharmaceutiques et l’intérêt sanitaire en matière de santé publique, à nous de lutter pour la logique qui devrait primer.

[1] Claude MFUKA, Accords ADPIC et brevets pharmaceutiques : le difficile accès des pays en développement aux médicaments antisida. In : Revue d’économie industrielle, vol. 99, 2e trimestre 2002. Les droits de propriété intellectuelle : nouveaux domaines, nouveaux enjeux, sous la direction de Benjamin CORIAT. pp. 192.

[2] Voir note de bas de page n°28 de la thèse de Michael SANKARA sur « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international » p.9.

[3] Antoine LECA, Droit pharmaceutique, 6ème éd., Préface de Georges VIALA, Les études hospitalières, Bordeaux, 2012, n°15, p. 55. (Voir également cet ouvrage pour meilleur approfondissement sur l’histoire de la pharmacie depuis son invention médiévale à sa conceptualisation contemporaine).

[4] Pour aller plus loin sur l’histoire du droit français des brevets, voir Jacques AZEMA, Jean-Christophe GALLOUX, Droit de la propriété industrielle, 8ème éd., Paris : Dalloz, 2017, p. 139-143.

[5]Un avocat et homme politique français du 19e me siècle (né en 1795 et mort en 1863), qui fut successivement député, ministre à mainte reprise, sénateur et premier président de la Cour des comptes.

[6] Cité par Maurice CASSIER in: Maurice CASSIER, Brevet et santé, Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, 2004, halshs-01970644, p.5.

[7] Voir Maurice CASSIER, Brevet et santé, Dictionnaire de la pensée médicale, PUF, 2004, halshs-01970644, p.5.

[8] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue par le 11 décembre 2020.

[9] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue, le 11 décembre 2020, p. 72-74.

[10] Voir Para. 33 de l’article de l’article de Samira GUENNIF, Julien CHAISSE, « L’économie politique du brevet au sud : variations Indiennes sur le brevet pharmaceutique », Revue internationale de droit économique, 2007/2 (t. XXI, 2), p. 185-210. DOI : 10.3917/ride.212.0185. URL : https://www-cairn-info.proxy-scd.u-bourgogne.fr/revue-internationale-de-droit-economique-2007-2-page-185.htm.

Pour aller plus loin dans la thématique des importations parallèles, voir p. 74-90 de la thèse sur « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue par Michael SANKARA, le 11 décembre 2020.

[11] Bruno BOIDIN, Lucie LESAFFRE, « L’accès des pays pauvres aux médicaments et la propriété intellectuelle : quel apport des partenariats multi-acteurs ? », Revue internationale de droit économique, 2010/3 (t.XXIV), p. 325-350. Para. 6, DOI : 10.3917/ride.243.0325. URL : https://www-cairn-info.proxy-scd.u-bourgogne.fr/revue-internationale-de-droit-economique-2010-3-page-325.htm.

[12] Laure MARINO, « Les patent thickets : du brouillon de l’innovation à la poudrière », in les nouveaux usages du brevet d’invention entre innovation et abus, sous les directions de Jean-Pierre GASNIER et Nicolas BRONZO, Aix-Marseille, PUAM, Innovation et brevets, p. 17.

[13] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue, le 11 décembre 2020.

[14] Extraits choisis dans notre thèse sur « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », soutenue, le 11 décembre 2020.

[15] Cf. Thèse de Michael SANKARA, « L’accessibilité au médicament dans le contexte du commerce international », thèse soutenue, le 11 décembre 2020.

Produire des communs pharmaceutiques

Transformer l’économie des médicaments
Un réseau de communs pharmaceutiques

Gaelle Krikorian, sociologue

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Je voudrais partager ici une partie de nos résultats, sur l’aspect réseau des communs pharmaceutiques.

Nous avons travaillé à partir de deux sites pour essayer de conceptualiser de quelle façon pourrait être réalisée la production de biens communs pharmaceutiques.

Sachant que, plus largement, si on essaie de réfléchir à cette logique de communs pharmaceutiques, il ne s’agira pas de produire juste un produit ou même une poignée, mais beaucoup plus.

C’est une discussion qu’il serait intéressant d’avoir : combien de produits estime-t-on qu’il faudrait arriver à produire pour satisfaire un certain niveau de besoins essentiels : peut-être 30 ou 50 produits, par exemple.

Si l’on part sur 30 produits, cela signifie qu’au moins autant de sites devraient participer. On sait bien que, pour faire un produit, le plus souvent tout ne se passe pas en un seul endroit. La matière première vient de quelque part. Ensuite, il peut y avoir plusieurs étapes dans le processus de fabrication de produits intermédiaires, dans différents ateliers qui ne sont pas forcément sur un seul site. Bref la production repose sur un réseau. C’est la logique dans laquelle nous nous sommes placés, celle qui est la plus adaptée d’un point de vue industriel.

On se place dans une logique industrielle parce que, pour au moins certains produits, on ne pourra pas se limiter à la fabrication, par exemple, dans un centre hospitalier, ni s’appuyer sur la préparation pharmaceutique dans une pharmacie. Ces pratiques sont possibles pour certains produits, et c’est important de savoir lesquels, de pouvoir les cibler, mais pour d’autres, clairement, on a besoin de l’échelle industrielle.

Il s’agit donc de travailler à l’échelle industrielle, et afin d’assurer une autonomie sanitaire pour des produits particulièrement essentiels, de ne pas s’enfermer dans une logique nationale, qui n’aurait pas tellement de sens, mais se placer dans une logique territoriale régionale, au niveau européen par exemple. Tout en prenant en compte la logique écologique.

Il faut éviter de se retrouver dans une logique d’économie globalisée, de flux tendu, de concentration à quelques sites de production à travers le monde, système qui, comme on l’a vu dans le contexte de la pandémie de COVID-19, ne marche pas en cas de crise. Mais cette logique, en réalité, ne marche pas non plus hors des crises. Les mises en concurrence des acheteurs, que ce soient des États ou d’autres types d’acheteurs, pénalisent certains acheteurs, en permanence, pas seulement pendant une crise. Ainsi, pour certains petits pays d’Europe, ou pour certaines pathologies, des patients n’ont pas accès aux traitements parce que la production est dirigée vers les meilleurs payeurs.

Le réseau qu’on essaie d’imaginer s’appuie sur différents types de production. Des productions qui vont être publiques : par exemple, au travers de l’AGEPS, cette capacité de production au sein du réseau de l’AP-HP, ou de la pharmacie centrale des armées. Ou encore des productions hospitalières – dans d’autres pays européens on a voté, d’ailleurs, des dispositifs publics intéressants pour certains produits anti-cancéreux, par exemple.

Mais les producteurs peuvent aussi être des sites coopératifs. En France, dans le domaine pharmaceutique, il y a, par exemple, l’entreprise Bioluz, qui fait des consommables hospitaliers ; mais il existe aussi des expériences de coopératives dans d’autres domaines industriels. C’est une des pistes dont on discute, notamment pour des sites de production qui sont menacés ou en train de battre de l’aile en ce moment. Du point de vue des salariés de ces entreprises, il peut y avoir la volonté d’essayer de faire autre chose, à partir de sites existants.

Nous avons également besoin de nous appuyer sur des producteurs privés au sein du réseau. Il est important de distinguer les différents types d’acteurs qui existent au sein de l’industrie pharmaceutique. Les problèmes que l’on connaît sont dûs à la logique monopolistique, la volonté de contrôle et de niveaux de profit très importants d’une grosse poignée de multinationales qui contrôlent l’écosystème pharmaceutique, que ce soit à travers les brevets ou d’autres façons.

Mais lorsqu’on y regarde de plus près, concrètement beaucoup des actions nécessaires dans le domaine pharmaceutique sont réalisées par de petites et moyennes entreprises : recherche, développement, production. Parmi ces entreprises, il en existe avec lesquelles il serait possible de faire autre chose que ce qui se pratique actuellement ; des entreprises qui pourraient être prêtes à fonctionner avec d’autres types de règles que celles que favorisent les grands groupes, que ce soit le monopole, le secret, etc., ou cette logique de prix et de profit sans limite, pour laquelle il s’agit de faire toujours plus. Certains acteurs économiques qui veulent certes faire des profits, mais dans une certaine limite et accepter certaines limites aux profits.

Notre démarche vise à réfléchir à la constitution d’un réseau qui s’appuierait sur ces différents acteurs. Le schéma, ci-dessous, en donne une représentation.

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Dans ce document, chaque petit carré ou rond violet, à l’intérieur du diagramme, représente un bien commun qui correspond à un produit. Ces produits peuvent être fabriqués par des Scop/ Scic, des groupes coopératifs, par des organismes publics, dans différents pays. Mais ils peuvent aussi, ponctuellement, être fabriqués par des organismes privés, de petites ou moyennes entreprises (ronds verts à l’extérieur du diamant) travaillant seules ou en collaboration avec d’autres pour fabriquer des produits qui vont être des biens communs, c’est-à-dire produits selon un certain nombre de règles émises par le réseau.

C’est sur quoi nous travaillons : établir ce que devraient être ces règles, qui détermineront des pratiques au sein du réseau, mais aussi définiraient une espèce de label de « communs pharmaceutiques ». Des règles sans lesquelles il ne peut pas y avoir de communs.

Nous n’avons pas encore déterminé le nombre de produits qu’on pourrait essayer de produire de cette façon-là. Si nous pouvions en identifier une cinquantaine, ce serait une bonne base.

Nous cherchons à identifier les acteurs qui pourraient être agrégés dans un fonctionnement de ce type-là, qui soient en totalité orientés vers la production de communs pharmaceutiques, ou en partie seulement, pour certains produits seulement, au sein de leur catalogue, dans le cas d’entreprises privées.

Comme il ressort des travaux récents menés au Sénat sur les pénuries, il y a encore beaucoup d’acteurs PME pharmaceutiques en France, environ 200. Au sein de ces acteurs-là, que ce soit en partenariat avec les salariés de ces entreprises, ou directement avec les entreprises elles-mêmes, on peut essayer d’aller dans le sens de cette production de communs pharmaceutiques. C’est possible dès lors qu’on s’entend sur des règles, qu’on les aura fixées au travers d’une sorte de charte.

Pour ce faire, il faut travailler sur les points de blocage de l’économie pharmaceutique telle qu’on la connaît aujourd’hui, notamment ceux sur la transparence.

Il y a d’énormes problèmes de transparence dans l’économie pharmaceutique, que ce soit sur les investissements, les coûts ou les prix, sur les données à propos des effets positifs ou négatifs des médicaments. Il y a de l’opacité sur les brevets, il y a de l’opacité à tous les niveaux.

Travailler sur cette transparence est très important : que ce ne soit pas juste au niveau du CEPS qu’on ait des infos, mais qu’on arrive à savoir ce qu’est le prix au regard de ce que sont les coûts.

A partir des investissements des uns et des autres, du public comme du privé, des coûts de fabrication des produits, on peut établir des prix, en déterminant un niveau de marge, donc de profit, qui doit être une donnée partagée.

Que certains médicaments soient des biens essentiels ne doit pas être le moteur qui permet d’avoir des niveaux de profit, ou un appétit de profits jamais limité. Au contraire, ce doit être un domaine pour lequel le niveau de profit est fixé, et qu’on ne puisse le dépasser. Autrement, la fuite en avant se poursuivra, et on continuera à alimenter l’idée que c’est un domaine intéressant pour les spéculateurs, parce que qu’il n’y a jamais de limites au profit.

Au travers de la définition d’une charte des communs pharmaceutiques, ces questions peuvent être travaillées, ainsi que celles de la gouvernance, c’est-à-dire la gestion et le contrôle des ressources qui sont impliquées.

Ce sont autant de sujets autour des médicaments qui émergent comme centraux, politiquement, aujourd’hui : par exemple, la question de qui participe, qui est autour de la table. Il faut sortir de la négociation entre hauts responsables politiques et hauts responsables industriels qui vont s’entendre dans le cadre de partenariats qui ne sont jamais transparents. Ces questions de transparence, de contrôle démocratique, et aussi celles de travailler dans le cadre de normes écologiques et sociales qu’on estime bien ou, au minimum, acceptables, sont importantes à appréhender.

Comment peut-on tendre, de façon très concrète, assez rapidement, vers une nouvelle économie ?  Ces questions ont été soulevées à travers des travaux de la commission sénatoriale sur les pénuries, et aussi par le travail des experts désignés par la Première ministre. La modélisation sur laquelle nous travaillons nous permet de travailler ces questions et d’y apporter des réponses.

Trois expériences d’appropriation sociale des médicaments

Maurice Cassier, sociologue

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

 Je voudrais évoquer trois expériences d’appropriation sociale des médicaments : 1) au Brésil pour copier les médicaments contre le VIH/sida et les hépatites virales, à partir du début des années 1990 jusqu’à aujourd’hui ; 2) en Afrique du sud, où l’OMS a mis en place une plateforme de partage des technologies des vaccins à ARNm en juin 2021 pour copier le vaccin de Moderna ; 3) aux Etats-Unis avec l’expérience de Civica de regroupement des hôpitaux pour maîtriser les prix des médicaments et pour produire des médicaments génériques, en premier lieu l’insuline.

1. L’expérience brésilienne de copie des médicaments contre le sida et les hépatites virales (1990)

En 1971, le Brésil supprima toute propriété intellectuelle sur les inventions thérapeutiques. En raison de la suppression des brevets de produit et de procédé en 1971 et des politiques de subvention des opérations de « reverse engineering », l’industrie domestique créa de nouvelles capacités technologiques et industrielles dans les années 1980, lesquelles furent remobilisées en réponse à l’épidémie de VIH/sida pour produire des génériques, dans les années 1990. La non-brevetabilité des médicaments s’appliqua jusqu’en 1997, date à laquelle le Brésil rejoignit les accords de l’OMC sur la propriété intellectuelle, qui prescrivaient des brevets de médicament.

L’intégration entre les besoins de santé et la politique industrielle fut particulièrement forte lorsque des grandes villes du Brésil puis le gouvernement fédéral entreprirent, sous la pression des associations de patients « VIH/sida » et de leurs avocats, de distribuer gratuitement des antiviraux, au début des années 1990. La tension sur les prix alors très élevés de l’AZT puis des trithérapies à acquérir pour les programmes de distribution universelle incita très vite les industriels brésiliens à réaliser le reverse engineering de ces médicaments. C’est un laboratoire privé, Microbiologica, qui mit le premier l’AZT sur le marché, avant qu’un laboratoire public du Nordeste ne le suive. C’est ensuite le laboratoire fédéral Farmanguinhos qui étendit cette politique de copie, en coopération étroite avec des laboratoires privés, qui fournissaient les principes actifs aux laboratoires publics chargé de produire les formulations, tandis que des universitaires épaulaient les uns et les autres.

En janvier 2001, le New York Times fait l’éloge du modèle brésilien de lutte contre l’épidémie de sida : « Look at Brazil ».

Cette politique repose tout d’abord sur un droit d’accès universel et gratuit des patients à des molécules nouvelles, les antirétroviraux, distribués via le système public de santé (le SUS).

Pour assurer la viabilité́ économique de cette politique, ce modèle s’appuie sur un programme de production nationale de ces molécules afin de remplacer les médicaments propriétaires par des médicaments génériques. Les prix des 8 ARVs copiés par les laboratoires brésiliens entraînent une forte baisse des prix (- 72%).

Cette politique de production locale mobilise les laboratoires publics et privés à capitaux nationaux. En 2004, le laboratoire public Farmanguinhos rachète une usine pharmaceutique à GlaxoSmithkline pour augmenter ses capacités de production (sa capacité de production quintupla).

Les laboratoires pharmaceutiques publics constituent un fait remarquable du Brésil. L’État se fait ici entrepreneur et producteur pharmaceutique. On compte 18 laboratoires publics qui produisent des médicaments génériques au stade de la formulation et 2 laboratoires publics de fabrication de vaccins qui réalisent la totalité de la production de vaccins du pays à destination du programme national d’immunisation.

La politique du ministère de la Santé ne s’arrête pas aux portes des laboratoires publics. Les années 2000 voient émerger une politique de consortiums et de partenariats de développement de produit (PDP), qui vise à associer systématiquement laboratoires publics et entreprises privées de chimie pharmaceutique, prioritairement à capitaux nationaux, pour produire sur place les principes actifs d’une liste de « médicaments stratégiques » établie par le ministère de la Santé.

Quels sont les mécanismes de ces PDP ?

L’établissement d’un PDP permet d’introduire une exception de prix comparée au prix mondial, soit une majoration d’au plus 25 %, dès lors qu’il supporte des investissements de R&D pour apprendre une nouvelle technologie, ainsi que la création de capacités industrielles, y compris en termes d’emplois, pour installer une production locale du médicament jugé stratégique.

Le capital public avancé pour produire des médicaments essentiels vise prioritairement à augmenter le pouvoir d’achat des dépenses publiques du ministère de la Santé, à l’opposé de l’optimisation de la profitabilité́ du capital privé financiarisé qui prélève des rentes de monopole sur les payeurs publics. Le conflit entre ces deux régimes de valorisation est apparu sur la scène internationale lorsque les génériques brésiliens ont fait baisser les prix des antirétroviraux contre le VIH/sida de 72 % entre 1996 et 2000 et, plus récemment, entre 2018 et 2019, lorsque le laboratoire fédéral a bénéficié́ de la suspension des brevets sur les antiviraux contre l’hépatite C de Gilead, pour produire une version générique du Sofosbuvir 75 % moins chère que le médicament propriétaire.

La globalisation des brevets de médicament à la faveur de l’installation de l’OMC en 1994 et le changement de la loi brésilienne en 1997 ont en grande partie fermé cet espace de la copie, sauf à obtenir des dérogations pour suspendre les brevets ou à engager des épreuves de force juridique pour faire tomber les molécules dans le domaine public. En 2007, Le gouvernement du Brésil a décidé d’une licence obligatoire pour défaire l’exclusivité de Merck sur un antirétroviral très disputé et rouvrir ainsi une fenêtre de copie. Des fabricants de génériques alliés aux associations de patients ont fait opposition pour faire tomber des brevets médicaments dans le domaine public, ce qui autorise leur libre copie.

2. La plateforme OMS de transfert des technologies ARNm dans les PED lancée en 2021 en Afrique du sud.

Pour contourner les monopoles sur les vaccins Covid à ARNm, l’OMS a entrepris en avril 2021 de créer une plateforme de transfert de ces technologies. En juin 2021, L’OMS et le Medicine Patent Pool ont passé un accord avec le gouvernement sud-africain et avec deux firmes semi-publiques de production de vaccins, Afrigen et Biovac, pour copier le vaccin de Moderna et ensuite l’industrialiser. L’Afrique du Sud est justement le site de l’implantation de la première plateforme de transfert choisie par l’OMS et le Medicine Patent Pool. Le pays a l’avantage d’offrir un environnement scientifique et industriel propice à l’implantation de cette plateforme. Celle-ci est un outil de la politique de production locale visant à renforcer l’autonomie du pays et de la région.

Pourquoi avoir choisi le vaccin Moderna plutôt que Pfizer-BioNTech ? Le vaccin Moderna a été choisi parce que, initialement, la firme a déclaré́ qu’elle n’opposerait pas ses brevets à d’éventuels imitateurs, du moins le temps de la pandémie. Sollicitée par les initiateurs du centre de transfert de technologie pour les vaccins à ARNm de l’OMS, Moderna a néanmoins refusé tout partage de sa technologie, ce qui a contraint les opérateurs du centre de transfert à se lancer dans un processus plus fastidieux de copie du vaccin. Reproduire un vaccin sans bénéficier d’échanges directs avec le détenteur du savoir industriel allonge notablement le délai de duplication.

La réplication de la technologie suppose de partir de l’information disponible dans les brevets et de reconstituer en laboratoire les savoirs non divulgués ou incomplètement décrits, mais qui sont indispensables pour reproduire la technologie protégée. Il faut aussi s’assurer de la similarité́ avec le vaccin de référence.

En février 2022, Afrigen et le directeur général de l’OMS ont annoncé la mise au point d’une version sud-africaine du vaccin de Moderna, en cours de validation. Il faut insister sur le fait que le centre de transfert de l’OMS permettra d’implanter une industrie intégrée de production, de la substance active du vaccin jusqu’à sa formulation et son embouteillage, ce qui est une nouveauté́ en Afrique.

Cette alternative, lancée en Afrique du Sud, se déploie dans un réseau de 14 laboratoires de pays en développement répartis dans plusieurs régions du monde, en Afrique (Égypte, Tunisie, Sénégal, Nigeria, Kenya), en Amérique latine (Argentine et Brésil), en Asie (Pakistan, Inde, Indonésie, Bangladesh), en Europe orientale (Serbie et Ukraine). Les technologies sont partagées à l’intérieur du réseau de laboratoires.

Ce réseau de laboratoires construit autour des vaccins ARNm devrait permettre la création de capacités de recherche et de production de vaccins, distribuées dans les différentes régions du monde qui ont souffert de l’inégalité d’accès aux vaccins du Covid‐19, avec la perspective, également, de nouvelles applications thérapeutiques à long terme.

Si la copie donne lieu à un apprentissage très efficace dans cet écosystème d’innovation sud-africain, elle allonge notablement le délai de production du vaccin, encore augmenté du délai des tests cliniques pour sa mise sur le marché. Les acteurs locaux estiment qu’une coopération active avec Moderna aurait permis de réduire ce délai par deux (12 mois au lieu de 24). De plus, la situation de la propriété́ intellectuelle est incertaine : si Moderna a annoncé qu’elle ne poursuivrait pas les contrefacteurs « le temps de la pandémie », elle conserve ce droit.

La reproduction d’une technologie peut également déboucher sur des innovations, de procédé́ ou de produit, ce qui pourrait favoriser le contournement du monopole légal de Moderna ou des négociations avec la firme américaine comme l’espère le directeur général du MPP : « Il est possible qu’Afrigen développe plutôt un vaccin à ARNm de deuxième génération qui, en fin de compte, ne viole pas les brevets de ces compagnies » (Charles Gore). Des universitaires sud-africains s’attachent actuellement à développer un vaccin ARNm original, plus facile à conserver et moins cher que les technologies existantes, qui pourrait alors ne plus tomber sous le coup des revendications des brevets. Le hub sud-africain serait alors tout à fait libre de redistribuer cette nouvelle technologie vaccinale dans tous les PED.

3.L’expérience Civica aux Etats-Unis

Civica est une organisation de santé non profitable, une sorte d’association à but non lucratif, montée par des hôpitaux, des cliniques et des mutuelles, soutenue également par des fondations du monde de la philanthropie et de la recherche. Elle représente aujourd’hui plus de 1000 hôpitaux, soit 1/3 de la capacité hospitalière des Etats-Unis.

Les membres de Civica bénéficient d’un tarif unique et commun sur les médicaments qu’ils achètent, quel que soit le volume acheté. En contrepartie, ils prennent un engagement ferme et pluriannuel sur les volumes achetés. Cette visibilité́ sur les produits que Civica doit se procurer, lui permet une négociation avec les fournisseurs sur une base de volumes garantis par des contrats pluriannuels à prix fixe.

Les produits visés par Civica sont des produits en risque de rupture fréquente, critiques pour les patients, dont le prix a augmenté de plus de 50% au cours des 3 dernières années ou qui ne sont vendus que par un petit nombre de vendeurs.

Civica s’est également doté d’une usine pour intervenir au stade de la production des médicaments génériques. L’usine de Civica coopère avec un fournisseur de principe actif, Phlow corporation, qui a pour tâche de relocaliser aux États Unis une production de principes actifs utilisant les meilleurs procédés de fabrication, tandis que l’usine de Civica effectue le travail de formulation et de conditionnement.

Civica a passé un accord avec le gouvernement de Californie pour produire de l’insuline biosimilaire avec une réduction de prix de 90% sur les prix de référence ($30 l’unité au lieu de $300). Le gouvernement de Californie a investi 50 M $ pour le développement, la production et la distribution de l’insuline à bon marché de Civica.

C’est une expérience très originale d’auto-organisation des hôpitaux pour fonder une Compagnie pharmaceutique non profitable et intervenir sur la chaine d’approvisionnement, sur la production et sur les prix des médicaments génériques.

Le pôle socialisé du médicament, un projet politique global.

Frédérick Stambach, médecin généraliste

Intervention lors de la rencontre-débat du 21 octobre 2023, organisée par Médicament Bien Commun

Introduction

L’article que nous avons écrit avec mon ami et confrère Julien Vernaudon, médecin gériatre, s’intitulait « Pour un pôle socialisé du médicament » (paru initialement dans la revue Pratiques repris ensuite par le site Le Vent Se Lève[1]). Il s’inscrivait dans un contexte particulier puisque nous étions en pleine pandémie de COVID-19, qui avait montré l’état dramatique de notre industrie sanitaire.

D’ailleurs, même le président Macron avait été obligé de l’admettre devant plus 30 millions de français lors d’une allocution. Nous savons, trois ans après, ce que beaucoup d’entre nous savaient déjà en 2020 : il ne s’agissait que d’un discours complètement creux, du Macron pur sucre.

Les différentes interventions, ce matin, ont permis de mettre en évidence, à plusieurs niveaux, la financiarisation des grands groupes pharmaceutiques, notamment de Sanofi, comme le reste de l’économie occidentale en général et française en particulier. Il s’agit d’une tendance structurelle de fond du capitalisme néolibéral débutée, à partir des années 70, qui s’est accélérée depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, pour s’épanouir pleinement sous la présidence Hollande puis Macron.

Nous oublions souvent que la France a été un grand pays industriel ayant employé jusqu’à 30% de la population active, contre 15% actuellement. L’industrie pharmaceutique a suivi la même pente, en France comme en Europe, puisque dans les années 90, 80% des principes actifs étaient produits en Europe, contre 20% actuellement, nous rendant dépendant de pays tiers, en particulier la Chine et l’Inde, ce qui n’est pas sans créer de grandes inquiétudes stratégiques, dans un contexte où les tensions internationales montent (en particulier le conflit sino-américain) et où les populations européennes vieillissent, entraînant de plus en plus de pathologies chroniques nécessitant des traitements réguliers. En cas de conflit commercial ou militaire, la dépendance pharmaceutique des pays occidentaux (et de la France dans le cas qui nous occupe) à l’égard du reste du monde nous place dans une position de grande vulnérabilité.

Si nous nous trouvons dans cette situation en 2023, c’est parce que des décisions politiques extrêmement néfastes pour notre tissu productif ont été prises avec constance depuis 1983 et entérinés dans les traités européens. En revanche, ces décisions étaient parfaitement adaptées à l’objectif réel qui était poursuivi : la financiarisation de notre économie.

Pour que la finance, qui n’avait qu’un rôle négligeable dans le capitalisme d’après-guerre, puisse devenir dominante et imposer ses desiderata à toute la société, il est nécessaire d’évoluer dans un régime de libre-échange intégral, en particulier une libre circulation des capitaux. Cette liberté donne aux acteurs de marché, donc in fine aux actionnaires un pouvoir démesuré, tant sur le politique que sur les travailleurs. Cela permet de rentrer dans l’ère de la théorie de la valeur actionnariale qui a été évoquée ce matin plusieurs fois, ce qui signifie que toute la stratégie de l’entreprise est mise au service de l’augmentation de la valeur des actions, sans aucune autre considération, en particulier aucune considération de santé publique ou d’intérêt général pour le pays.

Il est nécessaire également d’avoir une monnaie forte et surévaluée (on considère que l’euro est actuellement surévalué [en 2023 –ndlr] d’environ 30 % par rapport à la productivité de l’industrie française). Cette surévaluation permet de justifier ensuite les délocalisations ou les fermetures d’unités de production en France. Toute dévaluation étant rendue impossible par la monnaie unique, dont la banque centrale est indépendante.

Il faut enfin « discipliner » les gouvernements par la dette, en obligeant les États à s’endetter auprès des marchés financiers[2]. Les États sont alors dans l’obligation de respecter les demandes de leurs créanciers, aiguillés par les fameuses agences de notation. C’est un point capital dans la compréhension de la situation actuelle car les demandes des acteurs de marchés ne sont pas compatibles avec la démocratie et les aspirations populaires en général. Par exemple, attaquer la protection sociale est une bonne chose du point de vue des acteurs financiers car cela ouvre des perspectives de profits (assurances privées, retraite par capitalisation, etc.) et donc cela rend les titres de la dette française attractifs, avec un taux d’intérêt bas. En revanche, augmenter la protection des travailleurs en améliorant le système de santé public ou en renforçant les retraites par répartition est très mal vu et entraînera une réaction inverse et des difficultés, pour le trésor public, à emprunter sur les marchés.

Cette architecture économique met les États européens, donc la France, dans un état de soumission complète vis à vis des marchés financiers. Ces structures sont agencées pour favoriser les intérêts des grands groupes trans-nationaux qui se portent d’ailleurs à merveille, avec des profits record en 2022. Ce n’est pas un effet collatéral mais bien le but qui était recherché par les différents gouvernements, ces contraintes structurelles sont dorénavant sanctuarisées dans les traités européens.

Il est donc important d’avoir cela en tête avant d’aborder la suite car il faut bien comprendre qu’un gouvernement qui aurait le projet de créer un pôle socialisé du médicament, tel que nous l’entendons, se heurterait très durement à ces contraintes. En effet, les acteurs financiers l’analyseraient, à juste titre d’ailleurs, comme un acte d’hostilité et utiliseraient tous les moyens à leur disposition pour s’y opposer (chantage à la dette notamment).

Il faudra donc, en parallèle, avoir un plan global pour se protéger des attaques financières, qui seront très violentes, avec toute une panoplie de mesures graduelles : protectionnisme, sortie ou suspension des traités et de la monnaie unique, réactivation des circuits du trésor, afin de libérer l’État de sa tutelle des marchés financiers…

Un projet de pôle socialisé du médicament implique un très haut degré de conflit politique, dont il faut avoir conscience. Il s’agit d’un projet politique global, qui demandera une implication d’une majorité de la population, préparée aux enjeux et aux difficultés. Car les acteurs du capitalisme financiarisé ne laisseront pas un projet menaçant directement les profits et surtout la puissance politique des grands groupes pharmaceutiques (parmi les plus rentables du monde) se développer tranquillement sans se défendre. Ils feront tout pour le faire capoter.

Sortir les produits de santé du marché : le pôle socialisé du médicament 

Notre proposition de pôle socialisé du médicament ne se veut pas en opposition avec la proposition de pôle public du médicament. Nous souhaitions plutôt pousser le concept d’appropriation sociale de la production de médicaments en soulignant les différences qui existent avec le projet de loi proposant la création d’un pôle public du médicament déposé par le groupe LFI lors de la crise COVID[3].

Dans les deux cas, le principe de base reste le même, il s’agit de sortir la production des produits de santé des logiques de marché, à l’aide d’une entité publique de production. Mais autour de ce principe, nous allons voir qu’il existe quelques différences qu’il nous a paru très fécond de mettre en évidence, car nous espérions ainsi provoquer un débat autour de ces questions. C’est souvent entre les partisans d’alternatives que se nouent les débats les plus intéressants, à l’instar des économistes : écouter un débat entre un orthodoxe et un hétérodoxe est souvent frustrant, en revanche un débat entre deux hétérodoxes est passionnant.

Les différences d’approche permettent de clarifier les positions et d’affiner les propositions alternatives, permettant de mettre en lumière des lignes de force politiques sous-jacentes et rarement explicitées.

Tout d’abord, les objectifs d’une telle entité publique devraient être la recherche fondamentale et clinique, la production de produits de santé et leur distribution à l’échelle locale, jusque dans les officines. En particulier, il faudra que tous les médicaments dont les brevets sont tombés dans le giron public puissent être produits.

Ces objectifs sont partagés par les deux concepts, en revanche il existe des modalités différentes concernant la gouvernance.

Dans le projet de loi du pôle public du médicament, il s’agit d’une administration publique « classique », avec un directeur qui est nommé par le pouvoir en place, avec une structure très verticale, assez typique des institutions publiques françaises. Dans notre proposition de pôle socialisé du médicament, nous souhaitons nous inspirer des institutions de la sécurité sociale lors de sa création et jusqu’en 1967. C’est à dire, une gouvernance plus horizontale, incluant toutes les parties prenantes : professionnels de santé, chercheurs, usagers, État. Il faudrait ensuite décliner cette configuration de l’échelle nationale jusqu’à l’échelle locale, c’est à dire départementale, exactement comme la Caisse nationale d’assurance maladie, qui est représentée par les CPAM dans chaque département.

Les représentants de chaque groupe devront être élus par leurs pairs, instaurant ainsi un début de démocratie sociale dans la gouvernance. Cette architecture est une protection contre les attaques potentielles, comme nous avons pu le voir avec la vente de la plupart des entreprises publiques françaises. Un tel pôle socialisé serait beaucoup plus difficile à dépecer, notamment si les citoyens ont réussi à s’en emparer.

Le financement d’un pôle socialisé du médicament devrait se faire, selon nous, grâce au principe de la cotisation/subvention. Nous nous inspirons là encore de ce qui a fonctionné pour la construction de tous les CHU de France dans les années 6070. D’après la proposition de loi évoquée, le pôle public du médicament serait financé par l’État et l’impôt. Ceci fait une différence politique très profonde, qu’il est important de bien comprendre. Si l’État doit financer le pôle public, cela signifie que, dans l’architecture actuelle du circuit monétaire, à un moment ou à un autre, il faudra en passer par des titres de dette publique contractés sur les marchés financiers, ce qui serait interprété par les agents de ces marchés comme un motif d’augmentation des taux d’intérêt et aboutirait in fine à une perte de souveraineté sur le pôle public du médicament.

En passant par la cotisation/subvention, comme cela a été fait dans le passé, nous court-circuitons le circuit bancaire actuel, parfaitement toxique, ce qui permet une reprise de notre souveraineté économique, actuellement confisquée.

Pour rester sur le versant économique, un gouvernement qui souhaiterait élaborer un tel projet se retrouverait devant des choix économiques assez radicaux. Dans l’histoire, il n’existe pas de pays qui aurait réussi à créer ou recréer une industrie publique, quelle qu’elle soit, dans un contexte de libre-échange intégral. D’autant que, dans notre cas, c’est précisément la liberté totale de mouvements des capitaux et des marchandises (sanctuarisée dans les traités de l’UE comme je l’ai dit en introduction) qui a détruit nos capacités de production. Il faudra donc protéger le pôle socialisé du médicament naissant (ou le pôle public) afin qu’il puisse se développer à l’abri de la concurrence et des attaques des grands groupes pharmaceutiques, qui se sentiront menacés, à très juste titre puisque l’un des objectifs est de créer un véritable rapport de force avec eux pour leur faire perdre une partie de leur pouvoir de nuisance. Avoir une capacité de production publique autonome permettrait, par exemple, d’activer la menace de la licence d’office comme cela a été expliqué dans les interventions de ce matin. En régime capitaliste, pour qu’un État puisse se faire respecter des grands groupes, il faut qu’il ait des capacités de production autonomes.

Ainsi, la création d’un pôle socialisé du médicament provoquerait un renchérissement du prix des médicaments génériques, actuellement produits au plus bas coût social et écologique. Cependant, comme l’a souligné Maurice Cassier dans les différents exemples qu’il a donnés[4], il ne faut pas s’arrêter au seul prix des médicaments mais regarder toute la chaîne de valeur. La création d’usines de production provoquerait de l’emploi bien rémunéré, donc une augmentation du nombre de cotisants ainsi qu’une baisse du chômage. Tout cela entraînant une augmentation de richesses qui contrebalancerait la hausse du prix des génériques pour la collectivité.

De plus, le phénomène inverse s’observerait concernant les molécules les plus récentes donc les plus onéreuses. Actuellement, le circuit financier qui permet l’apparition de nouveaux (onéreux) traitements est marqué par une classique privatisation des profits. Les nouveautés sont souvent issues de la recherche publique, rachetées ensuite par des start-ups qui sont ensuite introduites en bourse puis accaparées par les grands groupes pharmaceutiques. Ces derniers commercialisent ensuite les traitements au prix fort selon un processus de négociation opaque, qui n’a rien à voir avec le coût de production mais plutôt avec le rapport de force (très défavorable) qui existe entre les États et les grands laboratoires pharmaceutiques[5]. En ce qui concerne les pays occidentaux, ce sont les systèmes de santé publics qui assurent l’achat de ces traitements, ce qui signifie que les grands groupes profitent de l’argent public à deux moments clés : au moment de la recherche fondamentale, puis lorsqu’il faut payer les traitements, en empochant au passage des bénéfices colossaux.

C’est de cette véritable spoliation que permet de sortir un pôle socialisé du médicament, en permettant à la recherche publique d’avoir un débouché industriel non lucratif et en modifiant le rapport de force lors des négociations avec les grands groupes qui détiennent les brevets de molécules innovantes. La menace de la licence d’office deviendrait une réalité concevable tirant à la baisse les prix des nouveaux traitements[6].

Pour terminer, j’ajoute que cette proposition de pôle socialisé du médicament s’intègre pour nous dans un projet plus global de service public de santé territorial. Il s’agit d’une série de trois articles publiés sur le site ReSPUBLICA dont le pôle socialisé serait l’une des composantes[7].

A partir de l’analyse détaillée de l’évolution démographique des différentes professions de santé (médecins, sage-femmes, dentistes, infirmiers, kiné), nous concluons que la pénurie (en particulier médicale) est irréversible jusqu’en 2035. Nous devons donc libérer du temps de soins au « stock » de soignants dont nous disposons et permettre aux professionnels qui le souhaitent de se libérer du paiement à l’acte et de pouvoir être salariés, afin de limiter au maximum la perte de temps liée au travail administratif. Il est actuellement estimé entre 15 et 20 %, ce qui est énorme. Il s’agirait, encore une fois en se basant sur l’architecture de la Sécurité sociale version 46, de lancer la construction de centres de santé partout sur le territoire (pilotée par l’équivalent des caisses départementales de Sécurité sociale dans une version démocratisée), pour permettre aux professionnels libéraux de trouver facilement un poste salarié et de gagner ainsi en temps de soins.

Dans notre proposition, nous souhaitons intégrer les pharmaciens et tout le personnel des officines à ces centres de santé. Ces officines publiques pourraient s’approvisionner via le pôle socialisé du médicament. Nous souhaitons également permettre aux métiers du lien, tels que définis par la proposition de loi présentée par François Ruffin[8], d’intégrer les centres de santé leur conférant ainsi un statut digne de leur utilité sociale.

Conclusion

Comme nous l’avons vu, un pôle socialisé du médicament est un projet global, hautement politique, qui fait intervenir tous les aspects de notre vie publique : la démocratie, la macro-économie, la géopolitique et la santé publique, dans un domaine industriel stratégique, qui plus est pour des sociétés occidentales vieillissantes. Il demanderait une volonté et une vision politique qui seraient capable de redonner espoir à des citoyens plutôt habitués à se battre pour tenter de limiter la casse de leurs droits sociaux, sans grand succès d’ailleurs.

Il est également souhaitable de l’intégrer dans un projet politique plus global de notre système de santé, en voie d’effondrement si les logiques en cours se maintiennent.

Enfin nous estimons qu’un tel projet serait de nature à mobiliser des affects positifs beaucoup plus puissants que ceux mobilisables pour tenter de défendre ce qui existe, nous permettant de repasser à l’offensive. Il oblige à clarifier un certain nombre de positions, à prendre conscience des grands enjeux macro-économiques actuellement confisqués par l’UE et à remettre sur le devant de la scène nos expériences historiques de démocratie sociale. Nous pensons qu’il devrait être le cœur d’un programme de gauche pour avancer vers la République sociale que nous appelons de nos vœux.

[1]https://pratiques.fr/Pour-un-pole-socialise-du-medicament et https://lvsl.fr/pour-un-pole-socialise-du-medicament/

[2]Benjamin Lemoine, La démocratie disciplinée par la dette. La découverte, 2022

[3]https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/pole_public_medicament

[4]Maurice Cassier, Il y a des alternatives. Une autre histoire des médicaments (XIXe-XXIe siècle), Seuil, 2023

[5]Olivier Maguet, La santé hors de prix : L’affaire Solvaldi, Raisons d’Agir 2020

[6]Frédéric Pierru, Frédérick Stambach et Julien Vernaudon, Les brevets, obstacles aux vaccins pour tous, Le Monde diplomatique, Mars 2021

[7]Frédérick Stambach et Julien Vernaudon, Pour un service public de santé territorial en trois volets, journal en ligne ReSPUBLICA, Mai-juin 2022

[8]https://francoisruffin.fr/pour-la-reconnaissance-des-metiers-du-lien/

La réponse du député François Ruffin au PDG de SANOFI

Une de nos lectrices a trouvé, dans sa revue de presse, cette réaction du député François Ruffin, interviewé par BFM et RMC, interrompu en direct par le PDG de SANOFI France. Nous partageons car ce courrier confirme ce que nous avons à plusieurs reprises dit dans nos articles consacrés au groupe pharmaceutique français. 
Sur le blog de François Ruffin

De : François Ruffin,
Député, 1ère circonscription de la Somme

A Monsieur et Madame :
Paul Hudson, directeur général de Sanofi
Audrey Derveloy, présidente de Sanofi France

Copie à :
Apolline de Malherbe
2 Rue du Général-Alain-de-Boissieu
75015 Paris

Mesdames, messieurs, les dirigeants de Sanofi (et Madame Apolline de Malherbe),

C’est la magie du direct, paraît-il. Jeudi dernier, de bon matin, sur BFM-RMC, Apolline de Malherbe m’interrompait, en plein entretien : « Sanofi écoute. Ils nous écoutent, et ils viennent d’envoyer un message, à l’instant, pour vous répondre, en direct, sur RMC et BFM TV. Pour vous répondre que la production des médicaments Sanofi, pour 40 %, se fait sur le sol français… »Donnons nos chiffres, d’abord, avant de contester les vôtres.

Sanofi, ces dix dernières années, c’est 4 000 postes de chercheurs supprimés dans le monde, 2 000 en France.
Sanofi, c’est sept sites de « R&D » vendus ou fermés, à Evreux, Porcheville, Bagneux, Rueil, Strasbourg, Toulouse, Alfortville, plus Chilly-Mazarin (en cours). Sanofi, ce sont six sites de production fermés ou vendus, à Elbeuf, Neuville-sur-Saône, Vertolaye, Colomiers, Labège, Romainville.
Sanofi, c’est l’abandon de secteurs vitaux comme les antibiotiques, la cardiologie, la neurologie, la maladie d’Alzheimer, le diabète…
Sanofi, c’est un bâtiment flambant neuf du centre de recherche de Montpellier, 107 millions d’euros, détruit la veille de sa mise en service, pour un « changement de stratégie » d’entreprise.
Sanofi, c’est, depuis trois ans, 350 brevets vendus à la concurrence. Parce que, faute de rechercher et de trouver, faute d’innover, on peut encore solder les bijoux de famille pour augmenter la « marge opérationnelle brute».Sanofi c’est, maintenant, l’activité d’approvisionnement, acheminer les médicaments jusqu’aux officines, dans des conditions techniques parfois difficiles, dans des frigos spéciaux, c’est cette activité qui va être externalisée : cédée à… DHL !

Qu’on ne s’y trompe pas : ce réquisitoire, je le dresse par amour de Sanofi. Eh oui. Sanofi, longtemps public, et qui prospère encore sur l’argent public, Sanofi devrait être notre instrument de souveraineté sur le médicament. Un outil au service du pays, de ses citoyens. A la place, médiocrement, banalement, Sanofi est avant tout au service de ses actionnaires, dépensant chaque année des milliards en dividendes et en rachats d’actions.

Et encore, je ne mentionne pas les scandales sanitaires.
La Dépakine : 35 000 enfants atteints de malformations ou de troubles neuro-développementaux, qui souffrent d’autisme, parce que vous n’avez pas indiqué à leurs mères, enceintes, les risques qu’elles encouraient. Alors que vous saviez. Et derrière, votre refus d’indemniser les familles, de prendre votre part de responsabilité, malgré les milliers de dossiers constitués auprès de l’Oniam, les décisions de justice, les demandes des autorités, jusqu’à celle de la ministre.
Mourenx, votre usine des Pyrénées-Atlantiques, qui a rejeté pendant quarante ans dans l’atmosphère jusqu’à 190 000 fois plus que le maximum autorisé de bromopropane et de valproate de sodium, deux substances cancérigènes et mutagènes.

Le Lantus, le traitement à l’insuline, contre le diabète, que vous vendez à 1300 dollars pour un mois aux Etats-Unis, et que les malades ne peuvent pas s’offrir. Des parents ont déposé les cendres de leur enfant devant votre siège, là-bas.

Le Dengvaxia, vaccin contre la dengue, et ses effets secondaires qu’on accuse d’avoir tué des centaines d’enfants. Au point que les Philippines vous attaquent en justice, jusqu’aux mises en examen, dans cette affaire, de six de vos dirigeants.

Votre fiasco dans la crise du Covid, enfin, incapables de trouver un vaccin, un remède, à cause de vos années de retard dans la recherche sur l’ARNM. Et le gouvernement français vous a récompensé, pour ce naufrage, pourtant, avec des centaines de millions de subventions…

C’est qu’il faudrait dire votre poids politique. Sanofi rime avec Macronie. Votre ancien PDG, Serge Weinberg, était le parrain en affaires d’Emmanuel Macron. Qui, depuis l’Elysée, lui a bien rendu, avec légion d’honneur et consorts, allant jusqu’à héberger dans son palais de la République une réunion du Dolder, le lobby de Big Pharma. Cette influence, dans son « Journal », l’ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn la déplore : devant le cynisme de votre firme, le mépris de l’intérêt général, elle va jusqu’à souhaiter un « pôle public du médicament ». Qui n’était pas vraiment dans son tempérament.

Mon prêche, vous le connaissez depuis sept années, mais c’est en général dans le désert, sans écho – du moins de votre côté.
Jusqu’à ce jeudi matin, et « la magie du direct », donc.

Que nous racontiez-vous, dans le communiqué transmis « en direct, à l’instant », à Apolline de Malherbe ? On vous cite :

« 60 à 70% de notre production se fait en Europe, dont 40 % en France. 30 à 40% en dehors d’Europe (surtout US et Canada). 5% de nos principes actifs viennent d’Asie seulement. Cet été on a annoncé 1 milliard d’euros d’investissements dans l’outil industriel en France sur les 3 prochaines années. On est le 1er investisseur en R&D en France tous secteurs confondus : 2,5 milliards par an en France. »

Allons-y, donc, pour le fact-checking.
Pour une fois qu’on peut inverser les rôles…

« 60 à 70% de notre production se fait en Europe, dont 40 % en France. »

D’où sortez-vous ces chiffres ? On l’ignore. Car depuis des années nous demandons, justement, que soit faite la transparence sur la filière du médicament. Et notamment : où produisez-vous, quelles molécules, en quelles quantités ? Alors, poursuivez sur votre lancée : informez les parlementaires, les pouvoirs publics, les salariés et leurs syndicats, les associations de patients, sur ces données. Et qu’on puisse en discuter.

Et puis : qu’entend-on par « production » ?

Il y a, d’une part, la production des principes actifs, les molécules, la matière première essentielle à la confection d’un médicament (le « vrac », comme on dit dans le jargon). Là, ce que l’on sait, c’est que Sanofi a fermé tous ses sites en France, ou presque : il n’en reste plus que deux, à Aramon et Sisteron, qui subissent eux aussi des fermetures d’ateliers.

Et puis, d’autre part, il y a la production dite « pharmaceutique » : récupérer le vrac, la matière première, le mettre dans des tablettes, et apposer le tampon Sanofi dessus.
En d’autres termes : la « production » que vous évoquez, c’est surtout de la mise en boîte.
Car la fabrication de principes actifs, elle, a bel et bien été ravagée.

« Cet été, on a annoncé 1 milliard d’euros d’investissements dans l’outil industriel en France sur les 3 prochaines années. »

Là encore, faisons, ensemble, la division, même de tête : 1 milliard sur 3 années, cela revient à 330 millions d’euros par an. C’est, de suite, moins impressionnant.
Surtout, qu’est-ce, pour vous ? Votre chiffre d’affaires annuel s’élève à 43 milliards. Votre bénéfice net consolidé à plus de 10 milliards. Les dividendes aux actionnaires, à 5,5 milliards. Bref, vous allez investir 3,3 % de votre bénéfice dans l’outil industriel en France : cela mérite-t-il vraiment des applaudissements ?

« On est le 1er investisseur en R&D en France tous secteurs confondus : 2,5 milliards par an en France. »

Là encore, reste à savoir ce qu’on entend par « investir dans la recherche et le développement »
Car quelle est votre grande astuce, votre tour de passe-passe géant, depuis une dizaine d’années ? Faire passer pour de la « R&D » le fait d’acheter, très cher, des brevets clé en main à des start-up. Ou alors, nouer des « partenariats ».

Tandis que, dans le même temps, vous fermez très concrètement vos sites de « Recherche & développement ». Alors même que vous avez perçu, depuis dix ans, plus d’un milliard d’euros de l’Etat en Crédit impôt recherche – sans même parler du CICE et autres subventions.

On pourrait poursuivre ainsi longuement.

Mais on a une meilleure idée, que nous a soufflée, en fait, Apolline de Malherbe en personne.
« Moi, je suis prêt à avoir une discussion avec les dirigeants de Sanofi sur le sujet, je lançais, à l’antenne, en guise de conclusion.
– Et moi, je suis prête à l’organiser, répondait la présentatrice.
– Eh bien, organisez-la ! »

Alors allons-y : débattons, au grand jour, en pleine lumière, d’un sujet qui concerne tous les Français ! La production qui se balade à travers le monde, soumis aux aléas du marché et au profit des actionnaires ? Ou un grand pôle public du médicament, organisé, contrôlé par la démocratie, et au service des citoyens ?

Madame de Malherbe, la balle est dans votre camp !

Bien à vous,
François Ruffin.

Tour de France pour la santé

Tour de France pour la Santé

Soirée de lancement le 11 septembre 2023

à partir de 18H00 Salle Eugène Hénaff

29 boulevard du Temple. 75003 Paris. Métro République

La politique sanitaire du gouvernement aggrave toujours plus la crise de notre système de santé. Les tensions sur les services hospitaliers et les fermetures des services d’Urgences sur l’ensemble du territoire en témoignent. Le « Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale » promet un nouveau tour de vis, doublement des franchises médicales, participation forfaitaire d’un euro sur les consultations, quatrième jour de carence sur les arrêts de maladie, transfert des dépenses vers les complémentaires santé dont les prix vont encore exploser.

Une mobilisation citoyenne s’impose pour défendre le droit à la santé !

Plus d’une cinquantaine d’organisations et de collectifs se mobilise pour l’accès aux soins pour toutes et tous, pour l’obtention d’un budget de la Sécurité Sociale pour sortir de la crise sanitaire et répondre aux besoins des populations. Ils s’engagent dans la construction d’un « Tour de France pour la Santé ».

Le lundi 11 septembre, soirée de lancement avec des prises de paroles, témoignages, artiste(s).

Avec les témoignages de Christophe Prudhomme, médecin urgentiste, Olivier Milleron cardiologue à l’hôpital Bichat, d’une sage-femme de la maternité des Lilas, d’un-e membre de Médecins du Monde,

Avec Nicolas Da Silva auteur du livre « La bataille de la Sécu »
Et la participation de responsables syndicaux nationaux : Benoît Teste FSU, Murielle Guilbert de l’Union Syndicale Solidaires, nous attendons la réponse d’autres organisations. Avec des intermèdes musicaux : Thérèse, et d’autres…

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Twitter : @TourFranceSante
YouTube: https://www.youtube.com/channel/UC1Bm0r7y-oqojy5VqXKI6oA Cartographie des évènements du Tour de France

Faire du médicament un bien commun: une alternative aux Big Pharma ?

RENCONTRE-DEBAT

Organisée par Médicament Bien Commun

Samedi 21 octobre de 10 h à 17 h

Bourse du travail de Paris 3, Rue du Château d’Eau, Paris 10e

Salle Jean JAURES

Face aux pénuries de médicaments, notamment d’intérêt thérapeutique majeur, aux pressions du lobby pharmaceutique pour obtenir des prix de vente toujours plus élevés, force est de constater que le système actuel d’accès aux soins et aux médicaments ne répond pas à sa mission en France et dans le monde.

Les industries du médicament sont devenues des monstres financiers en situation de monopoles, ayant pour seule boussole le profit et la valorisation du capital, confortées dans cette stratégie par les politiques d’application des brevets sur les médicaments. Dans la tension de la pandémie, les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) se sont avérés être un obstacle à l’accès aux vaccins et aux médicaments, pour tous les pays.

Nous pensons nécessaire de questionner la validité des brevets, en particulier sur cet argument maintes fois répété, de stimulation ou de protection de la recherche & développement. De dénoncer les accords « ADPIC Plus » qui minent la capacité des gouvernements à réglementer le secteur pharmaceutique.

Nous considérons que les droits de propriété intellectuelle, relatifs aux médicaments essentiels et autres technologies médicales, ne doivent pas être régis par l’OMC et les accords commerciaux, mais par les acteurs impliqués (chercheurs, pharmaciens, soignants…), les institutions de santé publique et la société civile.

Avec d’autres, nous pensons nécessaire d’interpeller plus vigoureusement les responsables politiques(gouvernements, parlementaires) pour s’opposer aux conditions imposées par les lobbies pharmaceutiques, de production et de distribution des produits de santé dans le monde, génératrices de profondes inégalités d’accès aux médicaments. De plaider pour la gratuité de l’accès aux connaissances, la circulation de l’information scientifique, pour l’indépendance de la recherche par un financement public à la hauteur. De plaider pour un service public de la santé, incluant des modes de recherche et de production alternatifs de médicaments comme communs, accompagné d’une refonte de la Sécurité sociale.

L’objet de cette rencontre/débat est de comprendre et analyser les enjeux du modèle économique actuel, d’exprimer à plusieurs voix les alternatives possibles et de joindre tous les efforts pour convaincre une majorité. Ces questionnements seront abordés au cours de deux tables rondes portant sur

  • La caractérisation du modèle économique du médicament dans ses dimensions économiques, sanitaires et sociales. Le rôle de la propriété intellectuelle et l’application des brevets.
  • Les alternatives possibles pour rendre le médicament non-appropriable.

Chaque partie comprendra l’intervention d’acteurs.trices, analystes et témoins des faits étudiés. Une large part sera accordée au débat avec le public.

PROGRAMME

Accueil à partir de 9 h 30

10 h – 1ÈRE TABLE RONDE :

La caractérisation du modèle économique du médicament dans ses dimensions économique, sanitaire et sociale. Le rôle de la propriété intellectuelle et l’application des brevets. 

Avec les contributions de :

  • Fabien Mallet, syndicaliste Sanofi : Pourquoi les pénuries de médicaments, vu de l’intérieur d’une Big pharma.
  • Laurence Cohen, commission du Sénat : Lobby pharmaceutique ou du côté des politiques et décideurs.
  • Michael Sankara, juriste : Focus sur la propriété intellectuelle et son rôle pivot du modèle économique de l’industrie pharmaceutique.
  • Christophe Prudhomme, médecin urgentiste : Entre les prix élevés et les pénuries, les difficultés d’accès aux soins.

Échange avec le public

11 h 50 : Introduction à l’approche par les communs comme modèle alternatif au modèle économique capitaliste sur cette question de la santé et du médicament 

  • Contribution de Frédéric Sultan (Remix the commons)

12 h 45 -14 h : Pause déjeuner

14 h : 2ÈME TABLE RONDE :

Quelles approches possibles pour rendre le médicament non-appropriable

Avec les contributions de :

  • Gaëlle Krikorian, sociologue et Bernard Dubois, MBC : Produire autrement du médicament comme un commun, cas concret.
  • Maurice Cassier, sociologue : Appropriation sociale du médicament : 3 expériences alternatives dans le domaine de la R&D et de la production pharmaceutique.
  • Frédérick Stambach, médecin généraliste : Le pôle socialisé du médicament, un projet politique global.

15 h 30 : A VOUS LA PAROLE

Vos réflexions, vos propositions, pour construire ensemble ces alternatives

16 h 50 : CONCLUSION

Une Agence de l’Innovation en Santé : pour quoi faire ?

 

Dans la continuité du « plan innovation 2030 » de juin 2021, voulu par le président Macron, prévoyant 7.5 milliards d’euros pour faire de la France « un pays leader en innovation de santé et contribuant à sa souveraineté en santé », a été lancée, en octobre 2022, l’Agence de l’innovation en santé (AIS). Son objectif est de contribuer à poursuivre et simplifier les travaux visant à accélérer l’accès aux innovations de santé, poste clé de la compétitivité pharmaceutique française.

La mise en place de l’AIS est présentée, selon Antoine Largier[i], comme une prise de conscience, en France, de l’intérêt d’intégrer les innovations, en utilisant au mieux les potentialités, en vrac, de la thérapie génique, des biotechnologies, des exploitations des données de santé et de l’intelligence artificielle (IA), aux pratiques médicales et aux parcours de soins des patients. Les enjeux seraient l’efficacité du système de soins, la croissance économique et la souveraineté sanitaire française, l’objectif final étant le bénéfice du patient.

Bruno Bonnell (Secrétaire général pour l’investissement), chargé de France 2030, et Lise Alter (Directrice de l’Agence de l’innovation en santé)[ii] précisent « Accélérer l’accès des patients aux innovations en santé, cela passe […] par un soutien massif à la Recherche pour transformer [….] les passerelles public/privé » Ce qui se traduit par un budget supplémentaire de 1.2 milliards d’euros attribué par la puissance publique pour soutenir la recherche biomédicale dans l’hexagone.

Pour le Leem[iii], le secteur pharmaceutique en France serait sur une pente décroissante, nécessitant de fortes mesures pour augmenter l’attractivité du pays dans ce domaine. Elles correspondent aux exigences des entreprises du médicament, à la recherche de nouveaux débouchés, qui n’hésitent pas à faire jouer la concurrence entre les États pour obtenir des évaluations de médicaments simplifiées, des délais d’accès au marché raccourcis, la promotion des partenariats public/privé, ou encore la révision du financement des médicaments. Message reçu 5/ 5 par nos dirigeants qui en ont fait la feuille de route de l’AIS.

Parmi les missions de l’AIS figure la création d’un écosystème constituant une force  d’attractivité pour l’installation d’industriels de santé d’envergure internationale, à travers l’émergence de bioclusters conduisant à l’établissement de partenariats durables et productifs entre équipes académiques et industrielles. Cinq sont prévus sur le territoire. Le premier de ces bioclusters à voir le jour est celui de Paris-Saclay cancer cluster (PSCC), pour accélérer la lutte contre les cancers. C’est un regroupement de compétences sur un même territoire (Gustave Roussy, Institut polytechnique de Paris, Inserm, Sanofi, Université Paris-Saclay), la priorité étant donnée aux projets de recherche avec un fort potentiel de transfert rapide vers l’industrie.

Le tapis rouge est déroulé pour les entreprises. De l’aveu même du cofondateur et président de l’association PSCC, Eric Vivier, « [ce cluster] disposera d’une offre intégrée proposant aux entreprises de trouver ce dont elles ont besoin selon leurs projets : expertise, accès à une plateforme technologique, accès facilité pour le lancement d’essais cliniques, financement de jonction entre deux levées de fonds »[iv].

« Des supports financiers, immobiliers et juridiques sont également prévus pour faire de cet écosystème un projet global et cohérent délivrant rapidement de nouveaux médicaments. Le PSCC bénéficiera dans ce cadre d’un soutien étatique de 100 M€ maximum sur dix ans»[v].

La politique industrielle du plan Innovation Santé 2030, de mise au service des firmes pharmaceutiques, par l’AIS, des institutions de recherche (Inserm- CNRS), des institutions de régulation et des fonds publics profite-t-elle à la souveraineté sanitaire du pays ? Les entreprises privées jouent-elles vraiment le jeu de maintenir leurs activités en France, perpétuel motif de chantage : la production et des emplois maintenus dans le pays  contre des facilités permettant d’optimiser leur compétitivité.

Sanofi[vi], la seule entreprise du médicament, semble-t-il, au cœur du PSCC, devrait être la grande bénéficiaire de toutes les attentions qui y sont déployées. Elle affirme qu’il lui parait essentiel de participer à la création de cet écosystème R&D de Paris-Saclay et prévoit même des investissements pouvant aller jusqu’à 150 millions d’euros sur dix ans. Dans le même temps, en juillet 2022, l’entreprise[vii] décide la fermeture du site de Chilly‐Mazarin/ Longjumeau, à proximité du PSCC, laissant le président de l’agglomération Paris‐Saclay, Grégoire de Lasteyrie, dans la plus grande incompréhension, face à cette regrettable décision, de ce qu’il qualifie « une opportunité manquée de profiter d’un écosystème R&D unique en France»[viii]. Décision qui remet en question l’avenir de 1500 salariés travaillant sur le site. Au printemps 2023, Sanofi évoque la suppression de 265 postes dans les vaccins sur le site de Marçy l’Etoile, puis de 140 postes dans la fabrication de médicaments de synthèses sur les sites d’Aramon et de Sisteron, en fermant deux ateliers de production chimique polyvalents.

Sanofi serait-il un partenaire peu fiable, jouant sur les deux tableaux : intérêt pour des partenariats avantageux, accumulation des aides publiques de l’Etat – un milliard d’euros perçu en dix ans via le crédit impôts recherche (CIR) – tout en poursuivant imperturbablement sa politique de réorganisation pour « adaptation aux besoins des marchés », en appliquant une stratégie de délocalisation et d’externalisation hors de France de ses activités[ix]? Ou est-ce un scénario plus général?

Attiré par l’effet d’aubaine, le groupe Servier s’invite sur le plateau de Saclay avec un projet de regrouper la majeure partie des salariés de ses différents sites R&D (1500 à terme), mais au prix de quatre Plans de sauvegarde de l’emploi (PSE) impactant 67 emplois sur le site de Gidy et 80 sur le site d’Orléans.

D’autres entreprises, telles que Novartis, ont manifesté leur intérêt pour les bioclusters. En septembre 2021, cette entreprise avait jeté son dévolu sur le site des Ulis, centre de production de thérapies géniques et cellulaires, détenu alors par LFB[x], bénéficiant, pour accélérer la production de Kymriah[xi]puis de nouvelles thérapies en ophtalmologie, de 800 000 euros du plan de relance. En mars 2023, elle annonce qu’elle va arrêter la production de la thérapie cellulaire aux Ulis, mettant en sursis 209 salariés du site, qui vont s’ajouter aux 530 suppressions de postes en France, prévus par le  plan « transforming for growth » mis en œuvre début 2023.

Citons encore MSD, qui vante d’un côté la qualité des chercheurs, des soignants, et du réseau hospitalier en France, ainsi que son crédit impôts recherche, et de l’autre prévoit un PSE qui va supprimer 52 postes en santé humaine dans l’hexagone.

Il n’y a guère que Pfizer[xii], qui, considérant que les instituts de recherche publique français sont parmi les plus innovants au monde, promet d’investir 500 000 euros pour soutenir la recherche et la production en France, sans – pour l’instant-accompagner cette décision d’un plan de restructuration. Il est vrai que la situation de Pfizer est particulière : la vente du vaccin contre le Covid lui a fait gagner 31 milliards de dollars en 2022.

Les exemples cités confirment que ce n’est ni l’utilité sociale, ni le bien-être économique du pays qui guident les entreprises pharmaceutiques. Comme pour n’importe quelle entreprise capitaliste, seules les attirent les conditions qui favorisent l’essor de leurs activités permettant une accumulation des richesses. L’emploi, les conditions de travail, la rémunération et les horaires des salariés ne sont que des  variables d’ajustement de l’optimisation de la rentabilité.  Seule compte pour ces firmes la course à la compétitivité, et les innovations médicales leur sont essentielles pour se réinventer et se renforcer face à la très féroce concurrence des géants du Web, Google, Microsoft, Amazon, qui s’immiscent dans le domaine de la santé.

Ces géants bénéficient d’une colossale puissance financière et ont l’accès aux Big Data de la santé, fantastique mine à exploiter, véritable eldorado prometteur de croissance économique. Les industries pharmaceutiques (IP) entendent bien en profiter, en surfant sur leur bonne implantation dans l’écosystème de recherche en France et en Europe, et en s’attirant les faveurs des puissances publiques pour minimiser  leur prise de risque. Elles usent de leur position monopolistique pour exercer des pressions sur les pouvoirs politiques, afin que le droit et la fiscalité soient à leur avantage, sans pour autant se sentir redevables envers les États. Elles ne connaissent d’obligations qu’envers leurs dirigeants et leurs actionnaires aux appétits insatiables.

Il est alors légitime de se demander en quoi les mesures d’incitations décidées par l’AIS pour augmenter l’attractivité de la France en matière d’innovation sont bénéfiques aux patients. L’accent est mis sur l’accès précoce des patients à des thérapies innovantes, ce qui se traduit dans les faits par une évaluation clinique en vie réelle, qui amène à administrer des thérapies dont les effets secondaires ne sont pas connus[xiii]. Outre les problèmes éthiques que peuvent générer de telles pratiques (consentement éclairé du patient, critères d’inclusion dans l’essai), l’administration d’un traitement innovant exige une réorganisation des équipes hospitalières pas toujours anticipée en termes de moyens, pouvant mettre en danger la santé des patients. Malgré les efforts consentis par les institutions, de simplification de la réglementation et d’autorisation de mise sur le marché plus rapide, les IP persistent à commercialiser les thérapies innovantes à des prix exorbitants. Exemple : le Zolgensma[xiv] est vendu 9 millions d’euros la dose unique, le Nusinersen[xv] (Spinraza), un médicament à la balance bénéfice-risque incertaine, revient à environ 500 000 euros la première année, puis 250 000 euros par an les années suivantes, ou encore l’Hemgenix[xvi], commercialisé par le laboratoire américain CSL Behring[xvii], vendu 3,5 millions de dollars la dose unique. De leur point de vue, c’est justifié en raison de l’importance des investissements pour leur développement. Et de l’espoir offert – assimilé au prix de la vie- aux malades atteints de cancers ou de maladies rares (par exemple, l’amyotrophie spinale), jusqu’alors sans traitements efficaces, de guérison ou de survie plus longue avec une meilleure qualité de vie. Ces espoirs sont compromis par l’impossibilité de la sécurité sociale de rembourser ces traitements pour tous, l’obligeant à sélectionner les personnes pouvant en bénéficier. Cette mise à mal du système de remboursement par les assurances maladie ne fait qu’aggraver les inégalités d’accès aux soins, non seulement entre les pays du Nord et ceux du Sud, mais aussi entre toutes les populations de tous les pays.

Par ailleurs, toutes à leur nouveau paradigme de productions innovantes en santé, les entreprises du médicament délaissent les molécules plus anciennes, jugées d’une rentabilité insuffisante, le plus souvent tombées dans le domaine public, donc soumises à une réglementation de commercialisation moins avantageuse que celle des princeps, protégés par les brevets. Les patients sont ainsi confrontés à la double peine des traitements innovants à des prix trop élevés qui en limitent l’accès, et des pénuries de médicaments, notamment d’intérêt thérapeutique majeur (3750 spécialités manquent à l’appel en 2023 – 40 en 2008), causant des pertes de chance pour toutes les personnes malades.

Il est dans l’ADN néolibéral, incarné par le président Macron, de considérer que l’innovation est le moteur de la croissance économique et que de l’accroissement des richesses des entreprises résulte la prospérité des populations sur le territoire. Ce pourrait être vrai si les aides financières, fiscales, réglementaires, étaient soumises à des conditionnalités contraignant les entreprises à contribuer, à la hauteur de leur profit, à la modernisation du pays et au développement de la société.

Or il n’est pas imposé aux entreprises de prendre en compte les externalités, en l’occurrence négatives, de leurs décisions en matière d’emploi, ou de leur réponse à des besoins fondamentaux, tels que l’accès aux soins et médicaments, en pratiquant des prix justes. Sur le long terme, ce soutien inconditionnel aux groupes privés de la pharmacie présente des effets pervers, notamment en en privant les services publics de la santé et les hôpitaux entraînant leur dépérissement et aggravant les difficultés d’accès aux soins de la population.

Par ailleurs l’augmentation du nombre de start-up[xviii] dans le domaine de la santé, de 457 en 2013 à 720 actuellement, dont se glorifie