Les brevets, un historique

Eliane Mandine

Marrakech 1994, une date importante. Se met en place l’OMC, organisation internationale à vocation d’établir des lois commerciales. Les pays contractants décident d’intégrer aux négociations un accord plus spécifique sur les services, pour amener plus de libéralisation dans les services publics par un accord multilatéral des échanges de services. Parmi les services se trouvent les activités de santé. Les activités de santé deviennent des activités commerciales ; les biens et produits de santé deviennent des marchandises relevant de l’OMC, sur un marché mondialisé.

L’idée que la santé est une valeur non marchande, d’une santé publique disparait, le vocable qualité des soins remplace le droit d’accès pour tous.  

C’est la mondialisation de l’appropriation des médicaments par les détenteurs de brevets. Fait suite à un lobbying des firmes pharmaceutiques, surtout US.

A la suite (toujours en 1994 à Marrakech) sont mis en place les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle (PI) qui touchent au commerce (ADPIC). Il est décidé que tous les états membres de l’OMC sont soumis aux mêmes droits de PI sur les médicaments, quel que soit leur niveau de développement ou capacité à produire des médicaments. Le brevet sur les médicaments est légitimé par le droit international, et contrevenir à ce droit est un délit.

Cet accord est ratifié par la France en 1995. En le ratifiant nous avons accepté que les services de santé deviennent des marchandises relevant du droit commercial international. Ce qui est en contradiction avec le fondement droit aux soins, qualifié de chose hors le commerce. En contradiction avec le code de déontologie médicale : « la médecine ne doit pas être considéré comme un commerce ».

Il existe un avant et un après 1994

Avant 1994, un pays ne possédant pas la capacité de développer un médicament ne délivrait pas de brevet. Pour ces pays l’importation d’un pays tiers, ou la production d’un générique (cas de l’Inde), même protégé par un brevet n’était pas qualifié de contrefaçon. Cette possibilité permettait aux pays pauvres d’avoir accès aux médicaments à des prix modérés, les génériques étant moins chers que les produits de référence équivalents protégés par les brevets.

Après la ratification des accords de Marrakech, produire la réplique d’un médicament encore sous brevet n’est plus autorisé. C’est un acte qualifié de contrefaçon (délit international passible de sanction). 

Ont été pénalisés tous les pays ne possédant pas les capacités de produire un médicament, principalement les pays  du Sud.

Les perdants :

L’Inde qui s’était doté d’une industrie capable de produire des génériques, au détriment d’infrastructures de recherche capables de développer de nouveaux médicaments, s’est vu pénaliser par ces accords, qu’elle a dû ratifier en 2005.

Les gagnants :

Les firmes pharmaceutiques des pays industrialisés : réduction de la concurrence pour leur produit

Puis il y a eu les procès en Afrique du Sud, suite à la pandémie du VIH. Possibilité, obtenue grâce à l’ampleur des protestations en Afrique du Sud et sur toute la planète, de produire des génériques bien que sous protection des brevets, au nom de la santé publique,

Suite à ce procès, des pays en développement demandent qu’une flexibilité soit introduite dans les ADPIC, que rien ne puisse empêcher les Etats de prendre des mesures pour protéger la santé publique de leur population. 

Ce sont les accords de Doha, en 2001 qui introduisirent la possibilité à un pays de produire des copies de médicaments même si protégés par un brevet en cas de situation d’urgence sanitaire nationale comme le SIDA, le paludisme, la tuberculose ou “d’autres épidémies : la licence obligatoire (ou licence d’office)

Une dérogation aux droits des brevets autorise les pays producteurs de médicaments génériques, comme l’Inde, le Canada ou le Brésil, à vendre des copies de produits brevetés à des pays incapables d’en fabriquer eux-mêmes.

Licence obligatoire (LO) : un défi à la puissance américaine certes mais pratiquement inefficace : 

Des organisations humanitaires comme Oxfam dénoncent très vite l’inefficacité de la licence d’office ; 

Les recours aux LO demeurent épisodiques : de 1995 à 2012 seulement 24 LO sont enregistrées ; principalement ce sont les pays du Sud à revenu intermédiaire qui y ont recours

Trop compliquées à mettre en œuvre pour les pays pauvres : un médicament peut être protégé par plusieurs centaines de brevets : des procédures à n’en plus finir, compliquées, onéreuses.

 4 années d’effort pour le Rwanda, avec l’aide de MSF, pour obtenir la production d’antirétroviraux génériques (produits par le Canada)

Si une licence obligatoire est délivrée,  une rémunération adéquate de compensation doit être donnée au détenteur du brevet, compte tenu de la valeur économique de l’autorisation

Des laboratoires pharmaceutiques ripostent avec l’exclusivité des données cliniques (durée 10 ans). Un générique, une fois produit doit être validé : il est comparé au produit de référence dans au moins un essai clinique. Ceci est rendu impossible si les données cliniques du produit de référence ne sont pas publiées. 

Maintenant c’est le secret des affaires qui est mis en avant : transparence assurée par les brevets  >  au secret industriel.

Compte rendu du débat

Malgré une météo peu clémente ce soir là, empêchant de nombreux invité(e)s, 30 personnes ont saisi l’invitation au débat durant un peu plus de 2 heures, dans le cadre convivial du café culturel et associatif du Lieu-Dit (Paris 20e).

L’introduction situe le contexte dans lequel les premiers signataires (un peu plus d’une centaine) ont décidé de rendre public ce manifeste « pour une appropriation sociale du médicament » : le rapport annuel d’Oxfam sur la concentration de la fortune des 26 plus riches milliardaires détenant autant d’argent que la moitié de l’humanité, les luttes à l’hôpital, le mouvement durable des gilets jaunes … Actualité en phase avec le sujet de la rencontre : comment sortir le médicament du carcan de la finance. 

Un constat fait l’unanimité : celui du changement de paradigme de l’industrie pharmaceutique, avec l’abandon du développement interne et l’adaptation totale de sa politique industrielle et de recherche à la financiarisation capitalistique de l’économie.  Les grands laboratoires ne veulent prendre aucun risque financier. Ils exercent de ce fait pression et ingérence sur la recherche publique pour que celle-ci prenne à sa charge les développements à risque. Ils déportent leur responsabilité d’industrialisation des procédés sur des start-up. C’est un détournement des moyens de la recherche publique alors que les budgets publics sont sans cesse en régression. 

La situation actuelle n’a donc plus rien à voir avec la période initiale de formation de ces groupes, antérieurement entreprises intégrées liant potentiels de la recherche et de la production. Aujourd’hui les milliards de profits réalisés sont distribués à 80% en dividendes vers les actionnaires ou en opérations financières (rachats d’actions, fusions/acquisitions, restructurations). Les Big Pharma s’octroient tout pouvoir pour la fixation des prix des médicaments, sans aucune transparence, remettant en cause l’égalité d’accès aux traitements. 

Les conséquences pour la vie humaine, insupportables, sont dénoncées. Que de vies brisées, de souffrances, dans le monde. Didier Lambert, co-président de l’association E3M, association des malades de myofasciite à macrophages, témoigne du coût humain de telles orientations. Rappelant que l’association est sans ambiguïté favorable à la vaccination, il fait un bref rappel historique de l’état des recherches menées par l’équipe de l’INSERM, experte en pathologie neuromusculaire, conduite par le Pr. Romain Gherardi . Le travail de cette équipe depuis les années 1990, a permis d’identifier les causes de cette maladie : les adjuvants aluminiques, adjuvants présents dans les vaccins. Ces travaux sont aujourd’hui repris par la communauté scientifique internationale, renforçant la recherche fondamentale faite de longue date par le Pr. Chris Exley (Grande-Bretagne) sur la toxicité de l’aluminium. Celui-ci vient de découvrir des taux d’aluminium extrêmement élevés dans le cerveau de personnes autistes, stockés dans des endroits inhabituels (en intracellulaire) et transportés dans le cerveau par des macrophages. La piste vaccinale comme pouvant être à l’origine de cas d’autisme, s’en trouve renforcée. Or les industriels, les pouvoirs publics et les autorités sanitaires, persistent dans le déni. Pourtant la solution est connue : le changement d’adjuvant. Le phosphate de calcium, connu comme étant au moins aussi efficace que les sels d’aluminium, était utilisé lorsque l’Institut Pasteur fabriquait les vaccins. Avant la privatisation de sa branche production, rachetée par le laboratoire Mérieux. L’enjeu est mondial. 

Laurence Cohen, sénatrice du groupe CRCE, vice-présidente de la commission des Affaires sociales, rappelle son expérience autour de la mission d’information sénatoriale relative à la « pénurie de médicaments et de vaccins » d’octobre 2018. Ce rapport met en évidence non seulement la responsabilité des industriels mais également le coût humain et financier qu’engendrent ces défaillances, notamment pour notre système de Sécurité sociale. Ces gros laboratoires touchent des fonds publics sans engagement de leur part en matière de santé publique. Or la majorité au Sénat a voté contre la publication de ce rapport. Elle souligne que dans l’hémicycle, chaque fois qu’il est question de maîtrise publique (ou de pôle public), il y a barrage quelque soit les gouvernements successifs, une volonté politique d’entraver. Les laboratoires ont ainsi toute puissance sur la fixation des prix des médicaments, en se masquant derrière une soi-disante intention de défendre la santé. Or le seul critère projeté est celui du taux de rentabilité actionnariale. Le groupe CRCE a considéré que le rapport n’allait pas assez loin. Un amendement proposant de rendre public l’historique des ruptures de stocks par laboratoire, a été déclaré hors sujet ! Les laboratoires produisent à bas coût dans les pays en voie de développement (PVD). Au moindre ennui, c’est toute la production qui est impactée, une des causes des pénuries de médicaments et vaccins. Pénurie qui constitue aussi des dépenses pour les services publics hospitaliers, dans la recherche des stocks disponibles (représente 16 postes temps plein pour l’APHP). 

Dans ce contexte, mettre en cause les brevets sur les médicaments, est juste mais c’est un « gros morceau ». Il faut être « bien armés » contre les Big Pharma, car leur lobbying est puissant, souligne une ancienne fonctionnaire à l’OMS chargée du dossier sur les médicaments essentiels. Elle invite à avoir effectivement une vision européenne et internationale, à intégrer cette remise en cause des brevets dans le combat plus global pour la santé. Cette politique industrielle pousse à breveter alors que l’efficacité de certains traitements ou médicaments est en question. La transparence sur les prix des médicaments est conjointement une grande bataille. Qu’est ce qu’un prix juste pour une industrie qui a déjà largement engrangé le retour sur investissements ? 

Deux intervenants témoignent de la situation actuelle en psychiatrie. Les médicaments prescrits sont soit très onéreux soit bon marché. Mais pour alimenter ce marché, les laboratoires en viennent à créer de nouvelles pathologies ou de nouveaux syndromes. Aux Etats Unis, on expérimente les psychotropes sur des enfants ou des jeunes, en prévision de troubles potentiels ! Les soins, ce n’est pas seulement prescrire les médicaments, insistent-ils. Les prix des médicaments sont « calés » en fonction des systèmes de santé. Donc nous ne sommes pas égaux devant la santé, la vie, la mort… Pourquoi pas un observatoire citoyen pour la transparence ? Sachant qu’il est nécessaire d’intervenir en amont sur les choix de recherche. 

Un débat s’instaure sur la visée ? Le médicament bien commun, ce n’est pas seulement pour la France ou l’Europe, mais un bien commun pour l’humanité, donc à l’échelle monde. L’absence ou la négation du rôle du citoyen en tant qu’individu ou représenté par les syndicats, les associations ou les élus, fait que ce qui domine en matière de brevets est la non transparence. D’où l’exigence de maîtrise publique et sociale. Il ne s’agit pas de produire des médicaments mais de produire des médicaments utiles, en fonction des besoins réels et du retour d’expérience, donc de l’avis des professionnels de santé et des citoyens, associations, patients. Pôle public à l’échelle européenne ? Cela fait débat …Il y a une certaine défiance. Service public du médicament où prime l’exigence de transparence ? Les participants s’accordent sur le fait que les luttes concrètes ou les alternatives doivent s’inscrire dans la visée de dégager la chaîne du médicament de la domination des Big Pharma. Avec les brevets, on s’attaque effectivement à la domination de la propriété y compris intellectuelle. Ce débat doit être public sous contrôle des citoyens. Pierre Dharreville, rappelle que le groupe des députés communistes est intervenu dans le débat parlementaire exigeant la transparence sur le prix des médicaments, pour rendre public la part du coût de la recherche dans le coût global. Ces exigences sont maintenant au devant de l’actualité. Ce qui explique que s’accentuent les pressions des Big Pharma, pour mettre beaucoup d’obstacles à la connaissance de la composition du prix. Il y a des failles qu’il faut utiliser : un contrôle efficace a pu mettre en évidence des pratiques frauduleuses. 

L’échange insiste sur la nécessité de se préoccuper des traités de libre échange. Eliane Mandine intervient pour rappeler l’historique. Marrakech 1994, une date importante. Se met en place l’OMC, organisation internationale à vocation d’établir des lois commerciales. Les pays contractants décident d’intégrer aux négociations un accord plus spécifique sur les services, pour amener plus de libéralisation dans les services publics par un accord multilatéral des échanges de services. Parmi les services se trouvent les activités de santé qui deviennent des activités commerciales ; les biens et produits de santé deviennent des marchandises relevant de l’OMC, sur un marché mondialisé.

L’idée que la santé est une valeur non marchande, d’une santé publique, disparait, le vocable qualité des soins remplace le droit d’accès pour tous.

A la suite (toujours en 1994 à Marrakech) sont mis en place les Aspects des Droits de Propriété Intellectuelle (PI) qui touchent au commerce (ADPIC). Il est décidé que tous les états membres de l’OMC sont soumis aux mêmes droits de PI sur les médicaments, quel que soit leur niveau de développement ou capacité à produire des médicaments. Le brevet sur les médicaments est légitimé par le droit international, et contrevenir à ce droit est un délit. C’est la mondialisation de l’appropriation des médicaments par les détenteurs de brevets. Il y a donc un avant et un après 1994. Les perdants ? Tous les pays ne possédant pas de capacités de produire des médicaments, principalement les pays du Sud. Les gagnants ? Les firmes pharmaceutiques des pays industrialisés. Les pays en développement ont demandé qu’une flexibilité soit introduite dans les ADPIC, pour protéger la santé publique de la population (Accord de Doha 2001). Depuis, les Firmes ont trouvé les moyens de contourner les dérogations au droit des brevets comme aux obligations des Licences d’office. Si Licence obligatoire est délivrée, une rémunération de compensation doit être attribuée au détenteur du brevet et les labos pharmaceutiques ripostent avec l’exclusivité des données cliniques (durée 10 ans). 

En conclusion, à la question posée de quelles suites ? Un souhait général d’approfondir les diverses pistes alternatives aux brevets, de coopération avec les divers collectifs déjà constitués, qui ont produit des travaux dans ce champ d’intervention. Des questionnements ont été émis :

  • Pour les brevets, il serait intéressant de différentier ce qui est propre au médicament de ce qui est recherche sur diagnostic. Définir un domaine d’interdiction du brevetage dont le domaine du vivant. Les tentatives actuelles sont très graves. Les licences d’office n’empêchent pas les brevets sur le vivant : concept de biopiraterie.
  • Revenir sur les droits d’usage ; Peut-on substituer à la notion de brevets celle de reconnaissance intellectuelle ?

Effectivement, à suivre …




Rencontre du 22 janvier

Introduction au débat

Par Thierry Bodin

Bienvenue à toutes et tous, merci de votre présence, malgré la météo, pour cette rencontre et merci au Lieu-dit café culturel et associatif qui nous accueille. 

La santé des populations à travers le monde ne serait se résumer à l’accès aux médicaments, nous avons bien conscience qu’elle est multifactorielle, conditions de vie, accès aux besoins vitaux que sont l’eau, l’électricité et l’alimentation, conditions de travail, environnement, mal bouffe, accès à un médecin et aux hôpitaux de proximité, sans oublier un aspect essentiel, la prévention des risques sanitaires.

Pour notre part, le groupe que nous avons constitué et que nous  vous invitons  à élargir,  s’est attaché à traiter la question de l’accès aux médicaments, avec l’ambition de conjuguer nos efforts avec toutes celles et ceux qui ambitionnent de faire de l’accès aux soins un droit universel sorti des griffes de la finance.

Les prix provisoires de 2 anticancéreux innovants dépassent les 300 000 € par patient. Ces prix sont fixés par le laboratoire en attente de fixation du prix par le CEPS.  

Il suffit également d’entendre  le cri d’alarme de l’OMS : « La résistance aux antibiotiques constitue aujourd’hui l’une des plus graves menaces pesant sur la santé mondiale, la sécurité alimentaire et le développement ». Et pourtant la très grande majorité des labos dont Sanofi ont abandonné les recherches dans ce domaine pour cause de rentabilité insuffisante.

Face aux prix stratosphériques de certains médicaments décidés par accord entre gouvernement /institutions d’état  et Big Pharma, face aux ruptures de médicaments essentiels, à l’absence de traitement efficace comme de nouveaux antibiotiques, les professionnels de santé, associations, certains politiques, se font entendre en France et dans le monde. Où est l’utilité sociale ? L’industrie du médicament illustre l’emprise croissante des marchés financiers. Elle détourne notre système de santé et de Sécurité Sociale, pour accumuler des profits faramineux, alors qu’elle doit être au service de la santé publique et des patients. 

Le brevet est le symbole de ce processus. Utilisés par les Big Pharma dans un « contrat social faussé » disposant d’une garantie publique, les brevets sont un outil, un instrument de chantage auprès des gouvernements,  un support de spéculation pour des prix exorbitants. Les brevets n’ont pas toujours existé. A l’origine, ils visaient à protéger les découvertes. C’est en 1959, que les brevets, dans leur conception de préservation d’un monopole capitalistique, ont été instaurés.

Ceci conduit forcément à des constats inacceptables :

  • Le choix des axes de recherche en fonction du maximum de rentabilité conduisant à une impasse sanitaire ;
  • Le prix des médicaments constitue un handicap majeur dans les pays en développement, pour de nombreuses populations du monde et conduit à des surcoûts inacceptables pour les systèmes de santé.

Le brevet permet aux labos pharmaceutiques de rentabiliser au prix fort  certaines,  « plus ou moins », avancées technologiques avec interdiction, sauf acceptation du détenteur du brevet, de pouvoir utiliser ces connaissances. Ainsi se constituent des monopoles capitalistiques gigantesques dans le domaine du médicament comme dans celui de l’informatique et  des communications. 

Les multinationales prétextent que les brevets financent la recherche. Ce n’est absolument pas le cas au sein des multinationales de la pharmacie puisqu’elles suppriment toutes des milliers d’emplois : 6300 effectifs en France dans Sanofi en 2008 et 3500 au mieux en 2020, malgré le milliard € perçu par Sanofi en Crédit d’Impôt Recherche durant ces 10 dernières années. Autant de moyens qui manquent cruellement à la recherche publique.

Il est urgent de changer. L’idée clé de ce changement, c’est la maîtrise sociale et publique de la santé et des pouvoirs. De l’Assemblée nationale aux agences gouvernementales, dans les partis politiques, dans l’opinion publique, il faut faire avancer cette idée de maîtrise sociale de la santé. Les labos ne doivent pas être hors des choix et du contrôle du citoyen, alors que nous les finançons.

Des questions sont alors posées : qui décide ? Comment contrôler ? On devrait pouvoir en discuter avec le grand public, les professionnels de santé, les salariés… La transparence doit être un programme d’urgence : la visée c’est la santé de tous, quels sont les besoins, les choix de recherche, comment produit-on? Quels sont les coûts de production ? Tout ceci est aujourd’hui de manière inacceptable, sous le sceau du secret. Secrets, scandales, racket des patients et des organismes de sécurité sociale, destructions de projets de recherche, pillage légal du bien commun….Le temps est venu d’imaginer une société plus humaine et plus juste.

Médicament bien commun.  Quelles conséquences ?  Quels choix ?  Qui décide ? Quel contrat social ? Peut-on breveter les biens communs ? En 1955, Jonas Salk, père du premier vaccin contre la poliomyélite, répondait à la question : qui détient le brevet : « Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ? ». Au vue des expériences internationales (exemple Afrique du Sud en 2001, Procès de Prétoria), la Licence obligatoire est-elle une solution durable, suffisamment efficace contre les pressions des Big Pharma, pour combattre le prix faramineux des médicaments ? 

Recherches, avancées des connaissances  et des procédés de production du médicament sans brevet : une propriété intellectuelle  pour la  société, refusant la propriété marchande ? Comment sortir la recherche médicale de la captation des Big Pharma ? Quels moyens pour soustraire l’industrie pharmaceutique des exigences des actionnaires et du marché? 

Quelles initiatives pouvons nous prendre (colloque, journée d’étude, ateliers), quelle dynamique pouvons nous créer pour faire converger toutes celles et tous ceux qui réfléchissent et agissent sur le médicament comme bien commun ?

Voici quelques suggestions, mais ne nous freinons pas – soyons inventifs. Il est urgent d’être audacieux – c’est de la santé, de la vie dont nous débattons.

Le temps est venu de rompre avec  le système et d’imaginer une société plus humaine et plus juste.


1000 milliards d’euros de profits en vingt ans : comment les labos sont devenus des monstres financiers

Nous vous invitons à la lecture de cet article publié sur le site BASTA / PHARMA PAPERS

Par Olivier Petitjean

Mis en ligne le 16 janvier 2019

Les laboratoires pharmaceutiques n’ont plus grand chose à voir avec ce qu’ils étaient il y a cinquante ans, ou même il y a vingt ans. De plus en plus gros et de plus en plus financiarisés, ils sont devenus des machines à siphonner des milliards d’euros ou de dollars pour les redistribuer aux actionnaires, notamment les grands fonds de Wall Street.

En 1955, Jonas Salk, père du premier vaccin contre la polio, à qui l’on avait demandé à la télévision qui détenait le brevet sur cette découverte, avait eu cette réponse demeurée célèbre : « Eh bien, au peuple je dirais. Il n’y a pas de brevet. Pourrait-on breveter le soleil ? »

Soixante ans plus tard, en 2015, Martin Shkreli, jeune homme d’affaires new-yorkais venu de la finance, fait scandale en multipliant du jour au lendemain par 55 le prix de vente du Daraprim, de 13,50 à 750 dollars. Il venait de racheter les droits exclusifs sur ce médicament classé essentiel par l’Organisation mondiale de la santé, utilisé pour traiter la malaria ou le Sida. « C’est une société capitaliste, un système capitaliste, des règles capitalistes », explique alors celui qui finira quelques mois plus tard en prison (non pas pour crime contre la santé publique, mais pour avoir trompé des investisseurs…).

En soixante ans, l’industrie pharmaceutique a profondément changé.

En soixante ans, l’industrie pharmaceutique a profondément changé. Les fabricants de médicaments figurent désormais parmi les plus grosses multinationales au monde, aux côtés des firmes pétrolières ou automobiles. Elles sont aussi les plus lucratives pour les marchés financiers. Et ce n’est sans doute pas fini. Des médicaments sont mis sur le marché à des prix toujours plus onéreux. En 2015, le Sovaldi, un traitement contre l’hépatite C du laboratoire Gilead, était vendu en France 41 000 euros pour trois mois de traitement. Il est ainsi le premier médicament à avoir été de fait réservé par les autorités de santé à seulement une partie des patients potentiels en raison de son prix. Désormais, les prix de certains médicaments présentés comme innovants atteignent le demi-million d’euros ! Parallèlement, les plans de suppressions d’emploi se succèdent. Toujours en 2015, Sanofi en était à son troisième plan social depuis 2009. Le quatrième vient tout juste d’être annoncé….

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Question écrite à Madame Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

Stéphane Peu 
Question N° 15532 au Ministère des solidarités

source

Question soumise le 25 décembre 2018

M. Stéphane Peu alerte l’attention de Mme la ministre des solidarités et de la santé sur la pénurie des médicaments. Sanofi France vient d’annoncer 750 nouvelles suppressions d’emplois, alors que le groupe a déjà supprimé 4 000 emplois sur tous les métiers, sans compter les cessions d’activités (Mérial, Zentiva). Ces 4 000 suppressions d’emplois représentent un manque à gagner de 100 millions d’euros annuels de cotisations pour les différentes caisses de la sécurité sociale. Or un rapport sénatorial publié en octobre 2018 dévoile que 530 médicaments « essentiels » manquaient en France aux malades l’an dernier. La cause de ces pénuries ou ruptures de stocks est connue : les choix industriels du groupe entièrement voués à la recherche incessante de rentabilité financière. Une des premières sources de rupture provient de problèmes d’approvisionnement des principes actifs de la majorité des médicaments. L’origine de ces problèmes vient de l’externalisation massive de leur production en Chine, en Inde, pour des raisons de baisse des coûts de fabrication. La généralisation de la sous-traitance et la précarisation des contrats de travail, mettent à mal la qualité et la sécurité de la fourniture. L’État doit être plus contraignant afin d’obliger Sanofi et autres laboratoires à assumer leur responsabilité en matière de santé publique. C’est une exigence des citoyens. L’industrie pharmaceutique devrait être sous le contrôle des pouvoirs publics. Professions médicales, société civile, salariés, devraient avoir leur mot à dire. D’autant que Sanofi est champion de la ponction des fonds publics : en 2017 Sanofi a fait 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires, reversé 5,8 milliards à ses actionnaires, pendant que l’État versait dans les caisses de l’entreprise environ 150 millions de crédit d’impôt dont 130 de crédit impôt recherche. Aussi, il lui demande comment le Gouvernement compte contraindre Sanofi et autres laboratoires (indépendamment du renforcement de la pharmacie centrale de l’AP-HP) à remplir leurs obligations de fournir aux patients les médicaments « essentiels », qui, selon la définition de l’OMS, doivent être disponibles en permanence en quantité suffisante. Enfin, il souhaite savoir comment le Gouvernement compte contraindre les mêmes laboratoires à cesser les suppressions d’emplois et d’activités en France, qui désorganisent cette fourniture et compromettent l’avenir de la recherche pharmaceutique en France.

Réponse émise le 15 janvier 2019

Les ruptures de stock de médicaments ainsi que les tensions d’approvisionnement ont des origines multifactorielles susceptibles d’intervenir tout au long de la chaîne de production et de distribution. Dans ce cadre, les laboratoires pharmaceutiques sont tenus de prévenir et de gérer les ruptures de stocks des médicaments qu’ils commercialisent. Ils doivent assurer un approvisionnement approprié et continu du marché national et prennent toute mesure utile pour prévenir et pallier toute difficulté d’approvisionnement. Pour autant, compte tenu de l’augmentation des signalements de ruptures et risques de ruptures de stock constatée ces dernières années, la loi 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et son décret d’application du 20 juillet 2016 relatif à la lutte contre les ruptures d’approvisionnement de médicaments a apporté de nouvelles mesures de prévention et de gestion des ruptures de stock au niveau national afin de redéfinir les instruments à la disposition des pouvoirs publics et de renforcer les obligations qui pèsent sur les acteurs du circuit de fabrication et de distribution. En ce sens, pour les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM) mentionnés à l’article L. 5111-4 du code de la santé publique et pour certains vaccins mentionnés par l’arrêté du 26 juillet 2016 pour lesquels du fait de leurs caractéristiques, la rupture ou le risque de rupture de stock présente pour les patients un risque grave et immédiat, les entreprises exploitant ces médicaments, sont désormais contraintes d’élaborer et de mettre en place des plans de gestion des pénuries (PGP) dont l’objet est de prévenir et de pallier toute rupture de stock. Ces plans prévoient ainsi par anticipation notamment la création de stocks de sécurité, le recours à d’autres sites alternatifs de fabrication des matières premières et des spécialités pharmaceutiques, l’identification de spécialités équivalentes à l’étranger en vue d’une éventuelle importation, etc. Ces dispositions sont entrées en vigueur en janvier 2017 et font l’objet d’une mise en œuvre progressive par les industriels concernés. L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) prend progressivement connaissance des documents et PGP ainsi élaborés afin de questionner, au cas par cas, s’il y a lieu, les mesures proposées si elles s’avèrent insuffisantes. De plus, les laboratoires pharmaceutiques sont également tenus d’informer sans délai l’ANSM de toute rupture ou risque de rupture de stock sur ces médicaments en précisant les délais de survenue, les stocks disponibles, les modalités de disponibilité et les délais prévisionnels de remise à disposition et l’identification de spécialités pouvant se substituer à la spécialité pharmaceutique en défaut. Ils sont également tenus, pour les MITM, de mettre en place, après accord de l’ANSM, les solutions alternatives prévues dans le PGP, permettant de faire face à cette situation, ainsi que des mesures d’accompagnement et d’information des professionnels de santé et des patients. Dans ce cadre, l’ANSM intervient lorsqu’une rupture de stocks ou un risque de rupture lui est signalé, afin d’assurer au mieux la sécurisation, au plan national, de l’accès des patients aux MITM ne disposant pas d’alternatives thérapeutiques, par l’accompagnement des laboratoires dans la gestion de telles difficultés (notamment par le biais de contingentement des stocks et de l’information des professionnels de santé et des patients). Pour autant, elle ne peut se substituer aux industriels en ce qui concerne la production ou le stockage de médicaments, ni imposer de contraintes précises en la matière à ce jour. De plus, il appartient à l’ANSM de publier, sur son site internet (www.ansm.sante.fr), la liste des MTIM ne disposant pas d’alternatives thérapeutiques appropriées ou disponibles en quantité suffisante pour lesquels une rupture ou un risque de rupture de stock est mis en évidence, et de décider si ces médicaments peuvent être vendus au détail par les pharmacies à usage intérieur des hôpitaux ou si les spécialités importées, le cas échéant, peuvent être délivrées en officine. L’ANSM tient également à jour sur son site internet, une rubrique qui recense ces médicaments faisant l’objet de difficultés d’approvisionnement en France, accompagnée d’un certain nombre de documents d’information à l’attention des professionnels de santé et des patients, sur la situation relative à l’approvisionnement de la spécialité concernée ainsi que sur les mesures mises en œuvre pour assurer le traitement des patients. Par ailleurs, la loi du 26 janvier 2016 impose désormais aux grossistes-répartiteurs qu’ils participent à la prévention et à la gestion des ruptures de stocks de médicaments, au titre des obligations de service public qui leur incombent. Dans ce contexte, elle prévoit également que ce n’est que lorsqu’ils ont rempli leurs obligations de service public, qu’ils peuvent vendre en dehors du territoire national ou aux distributeurs en gros à l’exportation des médicaments. Et en cas de rupture ou de risque de rupture de MTIM, ils ne peuvent pas vendre ces derniers en dehors du territoire national ou aux distributeurs en gros à l’exportation des médicaments. Enfin, le fait pour un laboratoire pharmaceutique de ne pas respecter l’obligation d’information de tout risque de rupture de stock ou de toute rupture de stock qui lui incombe ou le fait ne pas respecter son obligation de mettre en place des solutions alternatives ou des mesures prévues par les PGP et des mesures d’accompagnement des professionnels de santé et des patients s’expose à des sanctions financières prononcées par l’ANSM, pouvant aller jusqu’à 30% du chiffre d’affaires réalisé en France par le produit concerné. Dans le même sens, la méconnaissance pour un grossiste-répartiteur de ses obligations de service public est également passible de sanction financière. Pour autant, et même si ces dispositions ne sont entrées en vigueur qu’en janvier 2017 et ont fait l’objet d’une mise en œuvre progressive par les industriels concernés, ces mesures n’ont pas suffisamment permis de pallier les ruptures de stocks de médicaments. En effet, le bilan dressé en 2018 montre une augmentation de plus de 40% de rupture de stock et permet de pointer les axes d’amélioration qu’il convient de renforcer, notamment au regard des propositions issues du rapport de la mission d’information du Sénat n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool sur les pénuries de médicaments et de vaccins du 2 octobre 2018. En parallèle, l’ANSM continue d’échanger avec ses homologues européens afin de faire des propositions d’actions au niveau européen, le phénomène n’étant pas limité au seul territoire français.

Or un rapport sénatorial publié en octobre dévoile que 530 médicaments « essentiels »manquaient en France aux malades l’an dernier. La cause de ces pénuries ou ruptures de stocks est connue : les choix industriels du groupe entièrement voués à la recherche incessante de rentabilité financière. Une des premières sources de rupture provient de problèmes d’approvisionnement des principes actifs de la majorité des médicaments.L’origine de ces problèmes vient de l’externalisation massive de leur production en Chine, en Inde, pour des raisons de baisse des coûts de fabrication. La généralisation de la sous-traitance et la précarisation des contrats de travail, mettent à mal la qualité et la sécurité de la fourniture.

Le prix du médicament : Que représente le coût de la recherche dans ce prix

Le coût des médicaments fixé par les laboratoires est supposé prendre en compte les coûts de R&D, les volumes de ventes, les coûts de production et de commercialisation ainsi que le service médical rendu. Les entreprises justifient les prix relativement élevés de leurs médicaments sous brevet par la nécessité d’amortir leurs frais de recherche et de développement.

Pour rappel, le chiffre d’affaire annuel généré par le marché mondial des médicaments approche les 1000 milliards d’euros avec une rentabilité moyenne de l’ordre de 20% de profit net sur ventes.

Les industries pharmaceutiques évaluent à 1 milliard de dollars le montant des sommes engagées de la découverte d’un principe actif à sa reproduction industrielle, prenant en compte les nombreux échecs, une molécule sur 10 000 criblées est prometteuse, et le délai, entre 12 et 15 ans avant la mise sur le marché. Mais le coût réel de la R&D reste très difficile à évaluer en raison de l’opacité des laboratoires à ce sujet. Il apparait surévalué et avec certitude nettement inférieur aux dépenses de promotion du médicament.

La politique des prix des « Big Pharma » n’est pas plus transparente : les prix varient(parfois fortement) d’un pays à l’autre, aboutissant même quelquefois aux cas aberrants de médicaments vendus plus chers au Sud qu’au Nord. Une enquête sur un anti-ulcéreux de Glaxo montrait que son prix variait de 2 US$ en Inde à 132 US$ au Salvador et 196 US$ au Chili (plus cher que dans un pays industrialisé comme l’Australie 27 US$).

Sovaldi, traitement de l’hépatite C coûte aux US 84.000 $ la cure versus 41.000 euros dans l’hexagone.

Jusqu’aux années 1990, les grands laboratoires pharmaceutiques internationaux avaient mis en place de vastes centres de recherche où les équipes internes travaillaient différents axes de recherche très en amont en lien ou pas avec les institutions publiques

celles-ci apportant les connaissances scientifiques issues de la recherche fondamentale. Les laboratoires privés ont ainsi développé plusieurs médicaments issus de la recherchepublique générant une marge financière conséquente. Les équipes travaillaient sur des domaines thérapeutiques entiers : le cardiovasculaire, les maladies infectieuses etc. dans la perspective de développer des molécules blockbusters pouvant être commercialisées, et prescrites par les médecins du monde entier. Ces « blockbusters » ont dominé le marché et généré des milliards de dollars de bénéfices pour les propriétaires des brevets. Plusieurs domaines thérapeutiques ont fini par être saturés par ces molécules blockbusters et par la multiplication des me-too, ces molécules très proches les unes des autres sans apport médical supplémentaire à ceux existants (ex les statines). Le développement de ces me-too fort pourvoyeur financièrement s’est fait au détriment de la recherche de nouvelles cibles thérapeutiques répondant à des vrais besoins de santé.

De plus, on a assisté à des OPA multiples pour capter le C.A. des labos rachetés, récupérer les quelques projets en développement pouvant générer une belle rentabilité, mais toujours suivi d’une fermeture de ces centres de recherche et d’équipes de recherche. Ces OPAs ont été très néfastes pour l’ensemble des programmes de recherche dans le monde.

De fait il devenait difficile de trouver de nouvelles molécules à breveter et avec l’expiration des brevets pour les plus anciennes, les industries pharmaceutiques optèrent pour de nouvelles stratégies qui consistent à externaliser la recherche interne, jugée nonperformante, vers des petites sociétés fondées par des chercheurs (les « startup »), des instituts publics ou privés etc., en multipliant les partenariats ou les rachats. Ceci afin d’identifier des cibles innovantes en explorant de nouvelles pistes, de nouvelles méthodesqui prendraient dix ans à développer en interne alors qu’elles sont déjà mises en œuvre par d’autres, mais dont les résultats ne peuvent pas être exploités faute d’argent. Les « Big Pharma », fortes de leurs capacités financières, se manifestent à ce stade, telles des prédatrices, pour en assurer le développement pharmaceutique.

Ceci est d’autant plus vrai en France, où l’état ne consacre que 2.25% du PIB à la recherche publique, faisant de la France le 10ème pays au monde en matière de pourcentage du PIB consacré à la recherche scientifique, derrière notamment : Israël(4.39%), Finlande (3.78%), Suède (3.37%), Japon (3.26%), Allemagne (2.84%) Etats Unis(2.77%). Ce faible budget oblige les laboratoires publics à rechercher des financements auprès des entreprises privées, laissant toutes les possibilités à ces dernières d’influencerles axes de recherche à leur avantage, puis de faire main basse sur les fruits de la recherche publique. Le financement des multiples partenariats publics ou privés est utilisé pour justifier des coûts croissants de R&D, alors que, le taux d’attrition des projets étant plus élevé en recherche amont, en réalité la part de risque pour les entreprises, et de ce fait pour les actionnaires, est moindre. Sans compter que ce système permet aux firmes privées une substantielle économie sur la masse salariale, le salaire des chercheurs du public étant payé par la fonction publique et autres partenaires privés. Les risques de recherche sont externalisés les coûts fixes internes sont diminués et les coûts globaux de R&D sont donc diminués.

Parmi les nouvelles réorientations de recherche, il faut citer le développement de produits biologiques, stratégie considérée comme prometteuse pour de nouvelles thérapeutiques en oncologie, immunologie et inflammation. Là encore les preuves de concept sont établies par les laboratoires publics, supportant la prise de risque sur des financements souvent publics, au bénéfice de l’industrie lorsque le concept est validé, via les startups qui secréent à partir de ces nouvelles approches. Cette stratégie présente l’avantage que les formes génériques sont plus difficiles à produire, les brevets peuvent ainsi être détenus durablement,ce qui rend les molécules biologiques très rentables pour l’industrie pharma. La concurrence moins rude au niveau de la commercialisation se déplace vers le rachat des startups qui travaillent sur ces nouveaux candidats médicaments à la rentabilité prometteuse. Selon le stade de développement du projet, les prix d’acquisition seront plus ou moins forts. Exemple l’accord  de deux milliards d’Euros passé entre Sanofi et Regeneron, société américaine, pour le développement de nouveaux anticancéreux ou thérapies ciblées en immuno-oncologie. Ces dépenses sont évidemment mises en avant pour exiger des prix élevés des médicaments et garantir des profits faramineux. D’autres arguments tels les fortes contraintes juridiques etréglementaires pour la conduite des essais et les normes de qualité nécessaires sont utilisés pour justifier les coûts élevés dans ce secteur de la biotechnologie de la santé. Les prix très élevés de ces traitements sont dénoncés par nombre de spécialistes en France car ils nepermettent pas d’être prescrits à tous les patients au risque de détruire notre système de protection sociale.

Qu’en est-il en quelques chiffres

Ex Sanofi : rapport financier 2017.

Les activités principales de Sanofi sont la pharmacie, la santé grand public et les vaccins. Pour ces 3 activités les dépenses en R&D sont comme suit :


En moyenne, les dépense R&D chez Sanofi sont de 5.472 Mds pour un CA de 35milliards d’Euros, soit 15.6% du CA en 2017 (contre 15.3/ en 2016). Ce montant est réparti pour 3617 millions au développement clinique et 1218 millions à la recherche préclinique. Il ressort que seulement 22.3 % des dépenses R&D sont attribuées à la recherche pure, le reste étant pour le développement. Ainsi le coût de la recherche seule chez Sanofi est de l’ordre de 3.5% du CA en 2017 (taux stable au cours des années)

Ce chiffre est en accord avec ceux publiés par le ministère de la recherche en mars2017 sur les dépenses en R&D des entreprises du médicament en 2014 en France, dans le tableau suivant. Si on additionne les dépenses recherche fondamentale (0.6%) et recherche appliquée (2.9%), on retrouve 3.5% du CA consacré à la recherche.

Pour Sanofi, d’après les chiffres donnés dans le rapport 2017, les dépenses de recherche seule sont 10 fois inférieures à celles des frais commerciaux incluant la promotionet le marketing et celles de la R&D 2 fois inférieures. En effet les frais commerciaux etgénéraux s’élèvent à 10 058 millions d’Euros soit 28.7% du CA, (en augmentation de 6% par rapport à 2016), montant justifié par les dépenses marketing et commerciaux dans les pays émergents clés et les USA, ainsi que l’activité vaccins en Europe, et le lancement de trois produits (Dupixent, Kevzara et Xyzal).

Le tableau suivant montre que les autres grandes industries pharmaceutiques suivent la même stratégie, et ont des dépenses consacrées au marketing et la vente nettementsupérieures à celles de R&D (rapport 2 à 3).

Tableau 1. Dépenses de ventes et de marketing et de R et D en 2000 pour quelques grandes entreprises pharmaceutiques (en % du chiffre d’affaires)

Source : Rapports annuels d’entreprises, différentes années (Froud et al., 2006).

Une autre pratique de Sanofi, également commune aux autres groupes, est la politique de rachat d’actions. Ainsi en 2014, 71 % du résultat de Sanofi a été octroyé au rachat d’actions et sur les 24 derniers mois 3.2 milliards d’Euros y sont consacrés. Ce qui est supérieur aux sommes investies dans la recherche préclinique (1.218 Mdrs€). Egalement en2014 GSK a octroyé 78% de son résultat au rachat d’actions contre 22% consacrés à l’investissement.

Par ailleurs, si on regarde la répartition des effectifs chez Sanofi en 2017, sur un total de 106 556 salariés, 14 764 se consacrent à la R&D, soit 13.9% de l’ effectif total, contre
30 284 (28.4%) en force de vente et 21 101 (19.8%) en marketing et fonction support
(40 417 en production). Les efforts, en termes d’effectifs, sont là encore pour la R&D 3.5 fois inférieurs à ceux de la force de vente et de marketing. Il est vrai que cet effectif est en réalité grossi par les chercheurs du secteur public, ou des petites sociétés, impliqués dans lesprojets en collaboration avec Sanofi.

 A travers ces chiffres, la démonstration est faite que ce ne sont pas les coûts croissants de la R&D qui conditionnent le prix du médicament, mais plutôt les dépenses de commercialisation et de marketing. Les arguments évoqués par les laboratoires de la

nécessité de financer la R&D de nouveaux produits pharmaceutiques, ainsi que le recouvrement de leurs investissements sont des plus contestables.

Pourquoi une promotion intensive de molécules qui n’apportent pas toujours un progrès est-elle nécessaire ?

L’ensemble des entreprises pharmaceutiques travaillant sur les mêmes pistes scientifiques, actuellement les biotechnologies, la médecine génomique et les médicaments orphelins, un grand nombre de molécules très voisines et souvent ayant la même indicationprovenant des deux, trois, ou cinq laboratoires pharmaceutiques différents, peuvent être en développement sur une même période. Exemple, les antidiabétiques oraux inhibiteurs deDPP4 (dipeptidyl peptidase-4), avec le Galvus de Novartis, Onglyza d’Astra Zeneca, Januviade MSD, Trajenta de Boehringeer Ingelheim, Vipidia de Takeda. S’engage alors une coursede vitesse entre les concurrents, notamment pour se positionner avantageusement sur les marchés ou le prix du médicament est libre, aux Etats Unis1 et en Allemagne par ex. Réussir le lancement d’un médicament dans un pays où l’entreprise est en mesure de fixerlibrement les prix lui permet ensuite de les imposer dans les autres pays, la politique de fixation des prix la plus courante des pays de l’OCDE reposant sur des comparaisons internationales. En France, le Comité économique des produits de santé (CEPS) doit accepter le prix proposé s’il s’avère « cohérent » avec ceux pratiqués au Royaume-Unis,en Allemagne, Italie, et Espagne. Des politiques de commercialisation offensives s’imposent alors. Par ailleurs un marketing fort est nécessaire, du moins en France, pourconvaincre les leaders d’opinions, garder la mainmise sur l’information, la formation et le contrôle des prescripteurs, en ville et à l’hôpital, ainsi que la maitrise de l’environnement réglementaire et économique.

En réalité le médicament est considéré par les « Big Pharma » comme un bien de consommation comme les autres dont le prix de base devrait être fonction de l’offre et de la demande, comme dans n’importe quel business. Or le médicament ne peut pas être un bien marchand comme les autres et les thérapeutiques innovantes relèvent d’une nécessité et non d’un choix pour les personnes malades. L’industrie pharmaceutique doit revenir à ce qu’elle doit être, une industrie au service de la santé publique. Elle doit sortir des stratégies et politiques qu’elle mène depuis des années, celles qui n’ont pour réflexions et objectifs que la profitabilité à tout prix pour encore et toujours plus de rétribution de l’actionnaire.

1 Aux Etats Unis les laboratoires fixent librement leurs tarifs, sans contrainte, sans réglementation, sansjustification. Ces derniers suivent donc la loi du marché et fluctuent selon l’offre et de la demande. Et cettedernière se porte plutôt bien puisqu’en 2014, les prix des médicaments ont augmenté en moyenne de 14%, soit ledouble de tous les autres postes de santé (consultations, hôpital, etc.).

Annexe sur la fixation du prix du médicament

Pour assurer des taux de rentabilité de plus de 20% les firmes pharmaceutiques doivent obtenir des prix de médicaments élevés. Pour y arriver elles gonflent le coût de la recherche et développement du médicament pour convaincre les payeurs de payer plus cher.
Pour ce faire, les firmes pharmaceutiques intègrent les revenus financiers qu’elles auraient pu espérer gagner en investissant ailleurs qu’en R&D par exemple sur les marchés boursiers. Elles gonflent de plus ces chiffres en fixant des taux de rendement usuriers (de l’ordre de 10%).